Schefferville peut-elle rêver d’une relance?

Par Fanny Lévesque 15 septembre 2016
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Le site minier de Tata Steel Minerals Canada.

À l’heure où Tata Steel Minerals Canada fait revivre l’arrière-pays de Schefferville en revisitant certaines des vastes propriétés ferreuses de la Compagnie minière IOC, les mêmes qui ont fait naître la ville dans les années 50, la municipalité est-elle en droit de rêver à une relance?

À l’invitation du géant  pour marquer la signature d’un protocole d’entente sur la formation des Autochtones, Le Nord-Côtier a visité la ville minière, il y a deux semaines. À bord de l’autobus qui nous mènera à la mine en plein développement, un regard aux alentours suffit pour comprendre que Schefferville n’est plus ce qu’elle a déjà été.

«Schefferville ne reviendra jamais une ville industrielle comme on a connu», admet l’administrateur de la municipalité, Ghislain Lévesque, ex-maire de Sept-Îles. «Sauf qu’elle peut revivre d’une autre manière, je suis optimiste». C’est que les terres rouges de l’endroit, en plein cœur de la généreuse fosse du Labrador, regorgent de richesses minières, rappelle-t-il.

La ville a perdu des plumes depuis 1981, année où la minière IOC a tiré un trait sur ses activités là-bas. La population a chuté drastiquement passant de 4 500 à quelque 240 âmes aujourd’hui, dont 80 sont issus des Premières Nations. Les communautés voisines de Matimekush Lac-John et de Kawawachikamach comptent autour de 600 membres chacune.

Boum passager

Le boum de 2011, lorsque la tonne de fer se transigeait à 189 $US, a fait la preuve que Schefferville pourrait renaître, selon M. Lévesque. Les grandes et plus petites sociétés minières ont multiplié leurs activités, certaines comme Tata Steel Minerals Canada ou Labrador Iron Mines ont réussi à attacher leur projet, d’autres les ont précisé.

Un vent de renouveau a soufflé sur Schefferville et la communauté de Matimekush Lac-John, contiguë à la municipalité, et celle de Kawawachikamach, la nation Naskapie située à 15 kilomètres au nord-est. De nouvelles résidences, un dispensaire et même un hôtel, entre autres, ont été construits pendant l’embellie. Les nations autochtones en ont aussi profité pour se développer.

Mais le marché a rechuté, refroidissant les ardeurs de certains joueurs. «Ce boum-là a mis beaucoup de pression sur nos services municipaux, même si les dépôts miniers étaient du côté du Labrador», explique Ghislain Lévesque. Assez pour apprendre que Schefferville devait se préparer à la relance du fer.

Schefferville en cinq dates

  • En 1895, un géologue montréalais décèle la présence d’importants gisements de fer
  • En 1947, l’Iron Ore Compagny (IOC) décide de lancer ses activités pour répondre à la demande d’acier d’après la Deuxième Guerre mondiale.
  • En 1955, la ville s’incorpore
  • En 1980, la ville foisonne de quelque 4500 habitants
  • En 1981, IOC ferme le site minier de Schefferville
Schefferville porte encore les marques des années du boum minier.

Schefferville porte encore les marques des années du boum minier.

Des projets et des défis

La table de travail déborde de projets. Le principal défi sera de jongler avec la désuétude des infrastructures municipales. Dans les cartons, la municipalité, qui dessert Matimekush et ses quelque 600 résidents, doit procéder à la réfection prochaine de son usine d’eau potable et de celle de traitement des eaux usées, évaluées à 15 millions $.

Un important projet pour brancher la fibre optique de Labrador City à Schefferville est également sur la planche à dessin et fait partie des priorités d’action 2015-2020 de la Société du Plan Nord. «Ça, ça serait un gros plus», affirme M. Lévesque. Les discussions se poursuivent aussi pour rajeunir la route intercommunautaire entre les communautés.

«Quand on met toutes les pièces du casse-tête ensemble, on se prépare», illustre-t-il. Mais la liste ne s’arrête pas là. Schefferville a dans sa mire l’embellissement de ses lieux. Des maisons rougies par la poussière, des résidences construites en moins de deux pour accommoder les travailleurs et d’autres laissées vacantes n’aident en rien le paysage.

«Un défi sera d’améliorer l’environnement visuel, l’esthétisme des maisons», explique l’administrateur. Des travaux de récupération de vieux pneus et de ferrailles ont été récemment lancés, en collaboration avec les Innus. «Il faut mettre ça, propre». La municipalité entend s’attaquer au problème des poussières rouges transportées par les véhicules de la mine à la ville.

Point stratégique

Malgré les défis devant lui, Ghislain Lévesque n’en démord pas, le futur de Schefferville sera beau en raison sa position stratégique, citant que la ville, en plus de ses ressources, est reliée au chemin de fer QNS&L, le seul qui relie Sept-Îles, et qu’elle possède un aéroport. «On est à 1h30 de Kuujjuaq en avion», dit-il. «Les infrastructures sont là».

«On peut rêver que le secteur minier va reprendre du poil de la bête, qu’il y aura des entreprises intéressées à développer les mines du Québec et que Schefferville est voué à un bel avenir. Il faut être prêt pour ce moment-là».

Jean-Philip Charron-Eineish, qui pose avec sa sœur, Marie-Céline, est retourné vivre à Kawawachikamach pour travailler à la mine de Tata Steel.

Jean-Philip Charron-Eineish, qui pose avec sa sœur, Marie-Céline, est retourné vivre à Kawawachikamach pour travailler à la mine de Tata Steel.

«Le temps de se former» pour la relève autochtone

Jean-Philip Charron-Eineish est retourné vivre à Kawawachikamach pour travailler à la mine de Tata Steel Minerals Canada, en développement dans la cour arrière de Schefferville. Si l’avenir de Schefferville tient à son fort potentiel minier, sa renaissance pourrait bien venir du dynamisme de sa relève autochtone.  

Jean-Philip, comme des dizaines d’autres, ont pu être formés grâce à la mise en place depuis 2011, de nombreux projets, réalisés en collaboration avec la minière et les institutions en place. «Tout le monde est content d’avoir du travail et de la formation, poursuit-il. Ceux avec qui j’ai grandi travaillent dans les mines à l’heure où l’on se parle», raconte le jeune opérateur minier.

Alors que les moins de 19 ans de Matimekush Lac-John et de Kawawachikamach composent près de la moitié des populations des deux nations, le potentiel de main-d’œuvre est plus qu’enviable à Schefferville, mais les défis sont nombreux. Le taux de diplômés est de moins de 50% chez les Naskapis et de 35% chez Innus.

La communauté innue de Matimekush Lac-John est contigue à la ville de Schefferville.

La communauté innue de Matimekush Lac-John est contigue à la ville de Schefferville.

Accès difficile

L’accès à de la formation adaptée est souvent le principal frein à l’éducation, une problématique à laquelle s’intéresse particulièrement la Commission de développement des ressources humaines des Premières Nations du Québec, qui vient de mettre en œuvre avec Tata Steel, un projet-pilote axé sur la préparation à l’emploi dans l’industrie.

«Quand il y a des initiatives ou des possibilités d’accéder à du travail, (les jeunes) sont extrêmement motivés, c’est faux de penser qu’en milieu isolés, ils ne sont pas assoiffés de travail, assure la directrice aux partenariats et aux communications de la commission, Odile Joannette. «Ils veulent le faire, mais les opportunités sont extrêmement limités».

Jean-Philip a notamment pu se former chez lui, dans sa communauté, grâce à une initiative du genre. «Il n’y a pas beaucoup de travail. Dans le nord ici, les gens vivent de la chasse et de la pêche. En grandissant, les jeunes se demandent quoi faire dans la vie, (la mine) arrive à un moment parfait pour les entraîner», dit-il. «C’est le temps de se former».

Se rapprocher des Autochtones 

Tata Steel multiplie d’ailleurs les actions pour se rapprocher des Autochtones, souvent déchirés entre la protection des terres ancestrales et les retombées qu’apportent l’exploitation des ressources. La minière a également investi dans divers infrastructures, comme l’aréna. L’équilibre est possible selon le travailleur de 28 ans, qui est ambassadeur culturel dans ses temps libres.

«Je représente la culture, je la partage aux autres et j’apprends aussi d’elle. (…) Les jeunes après avoir appris leur culture, apprennent aussi à vivre dans un monde moderne», conclu-t-il. La minière estime que le quart de ses quelque 400 employés sont issus des Premières Nations, une proportion que la société veut faire grimper à 40%.