Deux fois plus nombreuse qu’estimée, la population de bélugas du Saint-Laurent toujours en péril

Par Emelie Bernier 10:33 AM - 9 mai 2023 Initiative de journalisme local
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Photo courtoisie GREMM

La population de bélugas du Saint-Laurent a fait un bond du simple au double, mais ne sortez pas les confettis pour autant! La bonne nouvelle est davantage liée à des pratiques d’inventaire plus précises qu’à un véritable baby boom.

Le Symposium béluga 2023, qui s’est tenu du 3 au 5 mai, a réuni plus de 120 chercheurs, professeurs, spécialistes et étudiants et permis de dresser un état de la situation de cet animal emblématique du Saint-Laurent. Si les chiffres semblent encourageants de prime abord, la situation de l’animal demeure critique.

Robert Michaud, président et directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), consacre une bonne partie de sa vie professionnelle à la petite baleine blanche. Il a évidemment participé au Symposium.

« C’est un premier symposium scientifique pour faire le point sur l’avancement des connaissances scientifiques. Ç’a été un exercice extrêmement stimulant de comparer l’ensemble des données sur la santé animale, l’écologie, le trafic maritime, l’acoustique… »

Au chapitre des bonnes nouvelles, M. Michaud se réjouit que le cancer ne soit « plus un problème de conservation pour l’espèce », comme le professeur de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal Stéphane Lair  l’a démontré. « Les cancers ont disparu du radar, mais le béluga n’est pas tiré d’affaire pour autant. La série noire de mortalités des veaux et des femelles est préoccupante. Les veaux meurent à la naissance et les femelles en en donnant naissance. Cette tendance lourde hypothèque de façon importante l’avenir de la population, on pense qu’on commence déjà à voir les premiers signes de conséquences très inquiétantes», ajoute le directeur scientifique du GREMM.

Courtoisie Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent

Une trentaine de présentations étaient au programme.

« Ce qui m’a impressionné le plus, c’est de voir à quel point on a commencé à faire des connexions entre les séries de données longues. Beaucoup de présentations s’appuyaient sur le programme de récupération des carcasses qui date de 40 ans,  par exemple. Pour mieux connaître l’animal, les données longues sont extraordinaires, car elles permettent d’analyser un nombre impressionnant d’informations, sur la durée.»

Du simple au double

La chercheure Véronique Lesage détenait définitivement le clou du symposium. «Il y a plus de bélugas qui nagent dans le Saint-Laurent que ce qu’on pensait avant » a-t-elle annoncé durant sa présentation. Entre 1530 et 2180 bélugas nageraient dans les eaux du fleuve plutôt que les quelque 800 à 900 préalablement estimés. Mais la chercheure et ses collègues ne crient pas victoire pour autant.

Tout porte à croire que la population se maintient de manière plus ou moins stable depuis une trentaine d’années. «C’est préoccupant, car elle aurait dû presque doubler dans cette période », dit Robert Michaud. Des « stresseurs » sont en cause. « On parle de l’accès à la nourriture en qualité et en abondance, du dérangement et du bruit, et des contaminants. Ce sont les trois sources qui tiennent la population en échec, mais elle se maintient.

Le fait que les estimations aient fait bondir le troupeau du simple au double est « une bonne nouvelle mitigée ». « C’est rassurant quand même. Les bélugas du Saint-Laurent sont isolés des autres populations du nord, alors on compte seulement sur eux. En étant plus nombreux qu’on le croyait, l’impact relatif des différentes catastrophes qu’on peut vivre, comme la floraison d’algues toxiques de 2008 qui a causé au moins 10 mortalités et probablement beaucoup plus, est atténué.  C’est sûr que des événements épisodiques comme celui-là ont plus d’impact sur les toutes petites populations que sur les grandes. »

L’intelligence artificielle à la rescousse

La recherche sur le béluga, comme sur plusieurs mammifères marins, connaît des avancées importantes grâce à l’intelligence artificielle, ce qui donne beaucoup d’espoir à Robert Michaud et à ses confrères et consoeurs du milieu de la recherche. « La qualité des données qu’on peut obtenir grâce à l’utilisation de l’IA, qui accélère et précise les processus de traitement des photos aériennes par exemple, c’est extrêmement stimulant », dit-il évoquant les suivis sur la diète, les grossesses, les mises bas, les changements de comportements et la répartition des animaux entre autres. « On commence avoir des outils de plus en plus précis pour répondre de mieux en mieux à des questions plus précises. »

Une étude démontre d’ailleurs de manière « assez élégante » l’impact du trafic maritime dans le Saguenay, selon Robert Michaud. «  Lors des périodes importantes de passage des grands navires dans le Saguenay, les bélugas viennent carrément passer moins de temps dans le secteur. »

Courtoisie AML.

Un parc plus grand? Tant mieux

L’agrandissement du parc marin Saguenay-Saint-Laurent, annoncé en grandes pompes en mars à Tadoussac, est attendue avec impatience par les spécialistes.

«Oui, on a des attentes par rapport à cet agrandissement qui est une très bonne nouvelle. En particulier, ça pourrait nous donner des outils pour mieux protéger les femelles avec les jeunes, qui nous causent beaucoup d’inquiétude. On ne sait pas pourquoi ils meurent en grand nombre, mais un des facteurs qui peut contribuer à la mortalité est le dérangement des femelles. L’agrandissement ouvre la possibilité d’ouvrir des zones des tranquillité », résume M. Michaud. Une telle zone est déjà délimitée dans la Baie-Sainte-Marguerite, sur le Saguenay, mais il n’en existe aucune sur la rive sud. « L’extension du parc pourrait permettre des créer de nouvelles zones », espère Robert Michaud.

Le retour du symposium est souhaité par ceux qui y ont participé.

«Le milieu de la recherche sur le béluga est un milieu effervescent et qui travaille en colllégialité. Des ponts se sont faits, d’autres se sont solidifiés. Le symposium, de petite taille, a permis cela. C’est une première, mais ce n’est pas une dernière », conclut-il.