Les crevettes en mode survie

Par Alexandre Caputo 4:00 PM - 18 avril 2023 Initiative de journalisme local
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L'industrie de la crevette est en chute libre. Photo : Produits de la mer du Canada

Avec un écosystème précaire et une économie en chute libre, rien ne va plus pour la crevette nordique du golfe du Saint-Laurent et son industrie.

Chaque année, depuis 1990, une estimation de la biomasse de la crevette nordique est effectuée dans les zones de pêches.

« Les estimations des dernières années concernant le nombre de crevettes nordiques [dans le golfe du Saint-Laurent] sont les plus basses jamais enregistrées », affirme Hugo Bourdages, biologiste à l’Institut Maurice-Lamontagne, un centre de recherche de Pêches et Océans Canada. 

Selon le spécialiste, le premier facteur à considérer pour expliquer cette diminution est le réchauffement des eaux profondes, où vivent habituellement les crevettes. Pour s’adapter, elles n’ont d’autres choix que de s’approcher un peu de la surface, pour aller rejoindre la couche intermédiaire froide, ce qui rapetisse exponentiellement leur milieu de vie.

L’augmentation de la température de l’environnement du petit crustacé amène aussi une diminution de l’oxygène dans l’eau, ce qui impacte directement la croissance de l’organisme, et donc, sa survie. 

« Si on regarde la tangente et les cycles de mouvement de l’eau dans le golfe [du Saint-Laurent], ce serait très surprenant que l’eau refroidisse dans les quatre ou cinq prochaines années », note M. Bourdages. 

Le retour en force du sébaste 

Comme si la crevette nordique n’avait pas assez de problèmes, son prédateur le plus féroce, le sébaste, effectue quant à lui un retour marqué. La pêche commerciale de ce poisson a été interdite au cours des 28 dernières années pour lui permettre de survivre, mais les experts s’entendent pour dire que lever cette interdiction pourrait permettre aux crevettes de respirer un peu. 

« La prédation de la crevette [par le sébaste] est présentement beaucoup plus dommageable que la pêche », mentionne Patrice Element, directeur de l’Office des pêcheurs de crevettes du Québec. « Le retour de la pêche au sébaste commerciale pourrait faire partie de la solution, d’autant plus que les pêcheurs de crevettes sont déjà équipés pour le faire », explique-t-il. 

Une industrie qui bat de l’aile

« Il y a moins de crevettes, elles coûtent plus cher à pêcher, et nous ne les vendons pas plus cher », résume M. Element. 

Ce dernier mentionne qu’en raison des chaluts utilisés, l’augmentation du prix du carburant est plus dommageable pour les pêcheurs de crevettes que pour les autres pêcheurs. 

« Un bateau qui traîne un chalut rempli est comparable à un camion qui traîne une roulotte », image-t-il. « Ça coûte beaucoup plus cher de gaz que de rouler léger ». 

Contrairement au crabe des neiges, qui a vu ses prix exploser avec la pandémie, le marché de la crevette nordique s’est quant à lui effondré. M. Element explique ce phénomène en notant des différences entre les contextes de consommation des deux fruits de mer. 

Il mentionne que les Américains, qui sont les principaux consommateurs de crabe des neiges, avaient déjà l’habitude d’acheter le crabe pour le déguster une fois à la maison. 

« Alors que la crevette nordique est principalement consommée en Grande-Bretagne et dans le nord de l’Europe, dans les événements sociaux et les restaurants », note-t-il. « Donc, lorsque les commerces ont été fermés et les événements annulés, ça a fait très mal au marché. »

Les pêcheurs avaient espoir de voir la demande revenir à la normale avec la fin de la pandémie, mais hélas, l’inflation qui frappe l’économie mondiale et les habitudes plus casanières que la population a développées pendant le confinement font en sorte qu’on ne prévoit rien d’encourageant à moyen terme.