La Côte-Nord peine à recruter et retenir ses pompiers

Par Charlotte Paquet 6:00 AM - 15 février 2023
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Lorsqu’il est question de pénurie de main-d’œuvre chez les pompiers, les conséquences peuvent être dramatiques, rappelle JeanBartolo, coprésident de l’Association des gestionnaires en sécurité incendie et civile du Québec.

Les enjeux de relève chez les pompiers sont majeurs hors des grands centres au Québec. C’est particulièrement le cas sur la Côte-Nord, qui occupe le deuxième rang des régions où les défis sont les plus élevés, selon une étude commandée par l’Association des gestionnaires en sécurité incendie et civile du Québec (AGSICQ).

À partir des réponses obtenues à sept questions en lien avec l’attraction et la rétention des pompiers, la Côte-Nord a obtenu un indice de défi de 74 %, ce qui est identique au score du Nord-du-Québec. Seule l’Abitibi-Témiscamingue fait pire avec 85 %. La moyenne provinciale se situe à 64 %.

Plus la région est éloignée des grands centres et les municipalités sont petites, plus les défis sont nombreux, révèle cette enquête à laquelle 11 des 17 services des incendies de la Côte-Nord ont participé. Les difficultés de recrutement s’observent surtout chez les pompiers à temps partiel, mais pas uniquement.

« La population vieillit. Le bassin de main-d’œuvre devient moins important dans les plus petites municipalités, c’est vraiment un problème d’aller recruter », constate Jean Bartolo, coprésident de l’AGSICQ. «Chez vous ou dans certaines régions pas loin de chez vous, ça prend parfois deux, trois et quatre affichages pour trouver les bonnes personnes. Avant, on faisait un affichage et on pouvait avoir 15-20 personnes qui se présentaient. »

Des freins à la rétention

Toujours selon cette enquête, l’incompatibilité avec la vie familiale et les activités personnelles et la grande disponibilité exigée par la fonction sont les principaux freins à la rétention des pompiers.
Les besoins en matière d’entraînement et de formation continue ainsi que l’incompatibilité avec l’emploi principal (pour les pompiers à temps partiel) suivent cependant de très près sur la liste des huit raisons de quitter l’emploi.

L’AGSICQ a déjà saisi le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, au sujet des enjeux de la relève, mais aussi des solutions porteuses. « C’est pas une solution, il y en a plusieurs solutions, mais ce qui est important, c’est de travailler ensemble rapidement pour éviter des bris de services dans certaines régions du Québec. »
Parmi ces solutions, il y a l’organisation d’une campagne nationale de valorisation de la profession de pompier et la simplification du processus de formation. À cela, il faut ajouter la mise en place de nouvelles mesures fiscales pour les pompiers à temps partiel afin d’atténuer l’impact des quelques milliers de dollars qu’ils viennent ainsi ajouter à leur revenu principal pour avoir eu, comme le rappelle M. Bartolo, le cœur sur la main en s’investissant dans leur communauté.

Pénurie particulière

Oui, la pénurie de main-d’œuvre est généralisée dans l’ensemble des secteurs d’activités au Québec, mais la gravité de ses répercussions est différente chez les pompiers.

« Si je veux aller manger au restaurant un samedi soir et que le restaurant est fermé en raison d’un manque de personnel, c’est vraiment fâchant, mais c’est pas dramatique. Quand j’appelle au 911 pour avoir des services, ça pourrait devenir plus dramatique », illustre le porte-parole, en rappelant le rôle d’intervenant de première ligne des pompiers.

De la main-d’œuvre, il y en a, mais les pompiers qui sortent des écoles de formation ont tous l’espoir de décrocher un emploi à temps plein.

« On peut pas dire à des gens de la région de Montréal allez-vous en en Abitibi et on va vous donner un 3-4-5 000 $ par année », conclut celui qui favorise les regroupements de services d’incendie quand c’est possible.

Roulement et manque de disponibilité à Baie-Comeau

Le service de la Sécurité publique de la ville de Baie-Comeau pourrait s’enorgueillir d’afficher complet au chapitre de ses effectifs de pompiers à temps partiel, mais ce n’est pas le cas. La disponibilité apporte son lot de problématiques.

Aux 16 postes de pompiers permanents, il faut ajouter les 27 à temps partiel. « Sur papier, j’en ai 27 », indique le directeur du service, Alain Miville, en ajoutant que dans le quotidien, les diverses occupations liées au mode de vie se répercutent sur leur disponibilité.

« Sur la Côte-Nord, les anciens volontaires (l’ancienne appellation) ont vieilli et ont lâché le service des incendies. La nouvelle réalité de la société, c’est plus d’activités de loisir et familiales », fait remarquer M. Miville.

Évidemment, cette réalité a un impact sur le nombre de pompiers à temps partiel qui répondent aux appels. Il y a également un important roulement chez ces gens qui s’engagent pour le bien de leur communauté. « Aussitôt que j’en rentre six nouveaux, il y en a six qui sortent. Ils ne restent pas », déplore le directeur.

Il ne faut pas perdre de vue aussi que les pompiers à temps partiel occupent un autre emploi. Donc, quand une demande d’intervention survient, une partie des effectifs travaille, une autre pratique des loisirs et il en reste une dernière partie pour répondre à l’appel.

En 2022, Baie-Comeau a fait appel à deux reprises à l’assistance des pompiers de la péninsule pour aider au combat d’un incendie. Il y a quelques années seulement, ça ne se serait jamais vu, précise le directeur.

Plus de permanence

Même si le modèle hybride des pompiers permanents et à temps partiel fonctionne à Baie-Comeau, le rehaussement du nombre de postes permanents permettrait d’alléger la pression face à la main-d’œuvre à temps partiel, si difficile à conserver.

Deux étudiants de l’École nationale de pompiers travaillent comme pompiers à temps partiel l’été. Mais à la fin de leurs études, ils iront là où ils décrocheront un emploi permanent, selon Alain Miville.

Sept-Îles innove dans l’embauche

Le service des incendies de la Ville de Sept-Îles n’est pas épargné par la difficulté à recruter et à retenir ses pompiers, permanents pour la plupart. Mais grâce à l’innovation dans l’embauche, il y a de l’espoir.

« C’est un problème sur lequel on doit focusser et travailler fort. Il faut innover dans l’embauche », témoigne Joël Sauvé, en poste depuis à peine deux semaines comme directeur du service des incendies. Il œuvrait auparavant pour la municipalité des Îles-de-la-Madeleine.

Joël Sauvé, qui vient d’entrer en poste comme directeur du service des incendies de la Ville de Sept-Îles. Photo courtoisie

Sept-Îles voyait venir depuis longtemps la difficulté de recrutement de pompiers. Pour l’atténuer, un changement de cap majeur s’est opéré voilà quelques années pour convertir tous les postes de pompiers à temps partiel en postes permanents, sauf une poignée. « C’est un coût-bénéfice très profitable. On a toujours huit pompiers dans la caserne de disponibles », poursuit celui qui dirige une escouade de 28 pompiers permanents.

La situation s’est améliorée, mais n’est pas réglée à 100 %. M. Sauvé explique que le service des incendies a beau recruter des pompiers formés dans les grands centres, mais dès qu’un poste s’ouvre dans leur région d’origine ou dans une ville populeuse, ils quittent et le recrutement est à recommencer.

Unique au Québec

Pour mettre fin à ce roulement, Sept-Îles a mis en place en 2022 une solution unique au Québec afin d’attirer de nouveaux pompiers et les garder. Elle passe par le lancement d’une cohorte d’aspirants pompiers recrutés au sein même de la communauté. L’an passé, sept résidents ont été rémunérés pour suivre leur formation de pompier 1 et 2, pour un total de 380 heures, avec une garantie d’emploi de 15 à 20 heures par semaine. Deux hommes et une femme ont terminé le processus et ont été embauchés sous un nouveau statut, celui de pompiers éligibles, soit admissibles à un poste permanent.

Or, le roulement étant ce qu’il est, ces trois pompiers sont déjà devenus permanents. Une deuxième campagne de recrutement dans la communauté est en préparation. Joël Sauvé a notamment dans sa mire les étudiants du collégial qui remettent peut-être en question leur choix d’études.

La société change et la main-d’oeuvre se raréfie

« C’est une problématique à la grandeur des régions parce que nos services sont basés en très grande partie sur des pompiers à temps partiel. »

Ces propos de Micheline Anctil, mairesse de Forestville et présidente de l’Entente intermunicipale en incendie regroupant les municipalités de Colombier aux Bergeronnes, vont dans le sens des constats faits par l’Association des gestionnaires en sécurité incendie et civile du Québec.

En plus d’être présidente de l’Entente intermunicipale en incendie qui réunit six municipalités de la Haute-Côte-Nord, Micheline Anctil est vice-présidente du conseil d’administation de l’École nationale des pompiers du Québec, entre autres engagements. On l’aperçoit ici en compagnie de Martin Bouchard, directeur du service des incendies de la Ville de Forestville.

Comme d’autres, Mme Anctil explique la rareté de main-d’œuvre par les changements de société survenus au fil des ans. « On tente de recruter de la jeunesse, mais ces pompiers ont de grandes responsabilités familiales, ils sont impliqués dans les activités de leurs enfants. Ça change la donne. »

Pour consolider une équipe de 80 pompiers et pompières à temps partiel, six postes permanents ont été créés et sont basés à Forestville et aux Escoumins, poursuit celle qui est aussi vice-présidente du conseil d’administration de l’École nationale des pompiers du Québec.

En Haute-Côte-Nord, la disponibilité des pompiers à temps partiel se complique aussi par le fait que plusieurs d’entre eux peuvent travailler à l’extérieur de leur territoire, que ce soit dans les mines au nord ou encore sur des chantiers de construction ici et là.

Même si le recrutement est un défi permanent, Mme Anctil ne manque pas de louanger le travail des pompiers à temps partiel. « Il faut rendre hommage à ces hommes et ces femmes qui s’engagent à se former et qui doivent aussi répondre. »