Étudiantes autochtones en enseignement: «On veut être des acteurs de changements»

Par Fanny Lévesque 31 mars 2017
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Blanche Kaltush, Rosina Mark, Sue-Hélène Thirnish, Jade Rock-Pinette, Britanny Mestokosho et Jade McKenzie, toutes étudiantes en enseignement à l’Université du Québec à Chicoutimi, campus de l’est de la Côte-Nord.

Les bancs du programme d’enseignement du campus de l’est de la Côte-Nord de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) sont pour une première fois majoritairement occupés par des étudiantes autochtones.

«On veut être des acteurs de changement dans nos communautés», clame Jade McKenzie, de la communauté innue de Matimekush, à Schefferville. Elle et quelques-unes de ses camarades ont accepté l’invitation du Journal. Réunies au pavillon Alouette, elles en avaient long à dire sur leurs rêves, leurs défis de futures enseignantes.

«On ne veut pas se contenter de suivre la vague, on veut que nos enfants aient tous les outils nécessaires, que le prof soit présent», poursuit-elle. Cette année, sur la trentaine d’étudiantes inscrites à la formation en éducation préscolaire et enseignement primaire, elles sont 17 à être issues de sept communautés innues de la Côte-Nord. C’est une première pour un programme régulier.

Elles veulent enseigner, pour la plupart, chez elles où le taux de roulement d’enseignants est souvent grand. «Il y a beaucoup de non autochtones aussi, remarque Britanny Mestokosho, qui vient de Pakua Shipi, à quelque 800 kilomètres de Sept-Îles. C’est difficile de trouver des enseignants, des fois ils viennent et repartent rapidement».

Parce qu’enseigner dans des communautés isolées de la Basse-Côte-Nord ou nordiques n’est pas fait pour tout le monde, expliquent les étudiantes. «Par exemple à Schefferville, souvent les enseignants sortent de l’école. On leur propose un travail, mais quand ils voient les particularités, l’accès difficile, ils abandonnent», ajoute Jade McKenzie.

«Des fois même, les écoles embauchent des gens qui n’ont pas de diplôme à cause de la difficulté de recrutement», renchérit Mme Mestokosho. «Tout ça vient affecter le cheminement des enfants». La barrière de la langue y fait aussi pour quelque chose, selon elles. «Il y a des écoles où les enfants ne parlent qu’en innu en première année».

Elles espèrent donc, œuvrer auprès de la jeunesse des communautés et elles savent qu’elles pourront faire la différence. «C’est plus facile d’entrer en contact avec les enfants, veux veux pas, on vient de la même place», affirme Jade Rock-Pinette. «Tu peux facilement savoir d’où arrive ton enfant quand il est dans ta classe», ajoute sa collègue.

Un lot de défis

Évidemment, la transmission des valeurs autochtones, des traditions et surtout de la langue fait partie des missions qu’elles se fixent. Mais elles font face elles aussi à leur lot défi, assises sur les bancs universitaires où l’apprentissage se fait en français, leur langue seconde. «Chaque jour est un combat», exprime Sue-Hélène Thirnish. «Il y a toujours de nouveaux mots à apprendre», poursuit-elle.

«C’est pas adapté pour les autochtones», renchérit Jade Rock-Pinette. Blanche Kaltush de Nutashkuan effectue pour sa part un retour aux études à l’âge de 48 ans. «C’était difficile au début. Tranquillement, ça va mieux. On travaille en équipe et ça débloque», dit-elle. C’est que les filles ont appris à travailler ensemble et à s’entraider.

Et la collaboration se fait aussi avec leurs camarades non autochtones. «Au début, les blanches étaient d’un bord et nous de l’autre», soutient Jade McKenzie. «On s’est dit que le rôle d’enseignant, il commençait maintenant pas dans quatre ans. On va réussir en gang. On s’enseigne l’une et l’autre. (…) On partage plein d’affaires avec elles, sur notre culture aussi. C’est bien parce qu’on veut leur donner le goût de venir enseigner chez nous. Ça va faire de bonnes enseignantes et nos enfants vont en profiter».

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«Des battantes»

Le directeur du campus universitaire de l’est de la Côte-Nord, Roberto Gauthier, n’hésite pas à qualifier les étudiantes autochtones rencontrées de «battantes». «Elles ont un souci de contribuer à l’émancipation de leurs communautés, c’est une évidence. C’est un défi immense pour elles», indique-t-il.

À Sept-Îles et au Saguenay, les étudiants autochtones peuvent être accompagnés par le centre des Premières nations Nikanite, une organisation universitaire rattachée à l’UQAC. Le centre offre le bac en éducation préscolaire et enseignement au primaire avec suivi personnalisé, mais aussi deux certificats aux critères d’admission plus flexibles.

La majorité des étudiantes s’inscrivent au certificat d’aides-enseignants en milieu autochtone qui correspond à la première année du bac régulier. Elles suivront ensuite le second certificat offert et c’est à la troisième année qu’elles pourront intégrer le bac. «Elles doivent être aussi performantes que les autres», assure M. Gauthier.

Le directeur note entre autres l’exigence de la réussite du test de français, le TECFÉE. «J’estime franchement qu’on devrait être plus souple», explique-t-il. «Le ministère pourrait faire un pas dans ce sens-là en abaissant par exemple le seuil de succès. C’est leur langue seconde. Ce serait une mesure de discrimination positive», dit-il.

Le certificat seulement ne fournit pas aux étudiants autochtones le permis d’enseignement, mais est reconnu dans leurs communautés. Il faut savoir que l’éducation chez les Premières Nations est sous la responsabilité des conseils de bande. Les élèves sont par contre soumis aux examens du ministère de l’Éducation.

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