Collision entre un kayak de mer et un petit rorqual : Mariève Côté se livre pour sensibiliser 

Par Shirley Kennedy 8:00 AM - 3 septembre 2023
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Au centre, Maude Richard St-Vincent tient Mariève Côté le long de son kayak en raison des blessures importantes. Elles ont été secourues par un couple et un kayakiste. Photo courtoisie Karine Contant

Mariève Côté de Baie-Comeau, n’est pas près d’oublier la journée du 8 juillet 2023. Pas plus que son amie Maude Richard St-Vincent. Elles ont accepté de partager leur mésaventure pour sensibiliser la population à l’importance de la sécurité nautique et aussi pour rassurer les nombreux amateurs de kayak de mer ou de planche à pagaie sur le fait que les mammifères marins n’attaquent pas les embarcations. Madame Côté s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Voici leur histoire.

Alors qu’elles effectuaient une sortie en kayak de mer à Pointe Mistassini, une baie près de Franquelin, un petit rorqual a percuté violemment le dessous de l’embarcation de Mariève, la soulevant et l’éjectant de son embarcation.

L’impact est d’une telle intensité qu’elle le compare à un accident de voiture. « Entre l’impact et le moment où je me suis retrouvée dans l’eau, je n’ai jamais senti ma jupette (partie prenante du kayak en caoutchouc qui empêche l’eau de s’infiltrer dans le kayak) tirer, et pourtant elle est très serrée. Ç’a été une question de secondes. »

Déstabilisée par le mammifère marin sous les yeux de son amie qui se trouvait seulement à quelques mètres, Mariève réussit à revenir à la surface de l’eau, mais constate rapidement qu’elle est gravement blessée. « Je n’ai pas perdu connaissance et c’est de façon volontaire que je suis restée dans l’eau. Nous étions conscientes Maude et moi, que de tenter de me sortir de l’eau et de m’embarquer dans le zodiac pouvait aggraver mon état », raconte-t-elle.

Maude Richard St-Vincent affirme qu’elle ne regardait probablement pas vers Mariève lors de l’impact. « J’ai entendu le souffle du petit rorqual et le bruit de l’impact avec le kayak. Mariève a été éjectée en une fraction de seconde. Ensuite j’ai vu la grosse tête du rorqual et sa grande gueule pleine. Il est ensuite reparti bien tranquillement. Il devait se demander ce qu’il avait bien pu frapper, mais s’il avait eu l’intention d’attaquer il serait revenu. »

Sauvetage réussi 

À l’aide de son sifflet, Maude alerte un couple à bord d’un zodiac à proximité des lieux de l’accident, soit à environ 500 mètres de la rive, et un autre kayakiste sur place. L’opération sauvetage s’amorce rapidement. Il faudra 45 minutes avant de regagner la rive.

Fort heureusement, Maude et Mariève possèdent une formation en kayak de mer ainsi que l’équipement de sécurité nautique adéquat pour bien gérer cette situation critique. « Le wetsuit (combinaison isothermique) m’a permis de ralentir le processus d’hypothermie en attendant l’arrivée des paramédics », précise la victime, qui a subi des blessures graves nécessitant un transfert en avion-ambulance et des soins spécialisés en traumatologie à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus de Québec.

Aujourd’hui hors de danger, elle a terminé son hospitalisation et poursuit sa convalescence à la maison.

Mariève Côté souhaite remercier chaleureusement ceux qui ont participé à son sauvetage ainsi que les paramédics de Baie-Comeau, le personnel médical de l’Hôpital Le Royer de Baie-Comeau et le département de traumatologie et de chirurgie de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus de Québec.

Que s’est-il passé? 

(SK) Très prisée par les kayakistes et adeptes de planches à pagaie, la baie Mistassini qui est située entre l’embouchure de la rivière Mistassini et celle de la rivière Franquelin est très profonde et fréquentée assidûment par les mammifères marins. « Les conditions étaient excellentes, raconte au Journal madame Côté. Nous placotions et pagayions tranquillement. Le fleuve était calme et sans vent. »

L’hypothèse la plus plausible selon l’accompagnatrice et amie de Mariève, Maude Richard St-Vincent, kayakiste expérimentée qui possède une formation de biologiste, serait que le petit rorqual chassait probablement un banc de lançons (petites proies) situé tout juste sous le kayak de Mariève.

« Ça fait plus de 17 ans que je fais du kayak sur le fleuve et très souvent en compagnie des mammifères marins. Ce sont des bêtes curieuses, mais pas dangereuses. C’est peut-être pour ça que j’ai pu garder un certain calme durant le sauvetage afin de m’assurer que Mariève reste stable en tentant de la rassurer jusqu’à ce que les secours arrivent. Mais je dois avouer que les jours et les semaines qui ont suivi ont été chargés en émotions. Je suppose, comme un choc post-traumatique vécu suite à n’importe quel accident impliquant une personne blessée à qui l’on tient », confie-t-elle.

Explications

« Quand il se nourrit, le rorqual peut sortir de l’eau jusqu’à mi-corps, la gorge dilatée par l’eau qu’il vient d’engouffrer, car une de ses méthodes de pêche favorite consiste à se lancer par en dessous des bancs de poissons qu’il a repérés et peut-être rassemblée », cite Mariève, faisant référence à l’ouvrage du biologiste Pierre-Henry Fontaine, Baleines et Phoques, Biologie et écologie, parue en 2005.

Le dessous du kayak blanc combiné au ciel blanc caractéristique d’une journée brumeuse peuvent aussi avoir contribué au fait que le rorqual n’ait pas vu le kayak. « Il serait donc pertinent, sachant qu’il y a des mammifères marins à proximité, de faire du bruit dans l’eau avec sa pagaie et son kayak afin que la bête puisse bien nous localiser », estime la rescapée.

Une témoin sous le choc 

Le témoignage de Karine Contant concorde avec l’hypothèse de madame Richard St-Vincent. La randonneuse résidente de Montréal était près de la rive montagneuse de Franquelin où elle pratiquait la randonnée. Alors qu’elle prenait une pause en observant les kayakistes, elle a assisté au drame qui s’est joué devant elle, complètement impuissante et sidérée par l’horrible spectacle digne d’une scène de film. « Je capotais littéralement. J’ai vu le rorqual partir du large de la baie et se diriger directement sur le kayak de la madame. Il n’y a pas de doute là-dessus. »

Il est évident selon madame Richard St-Germain que la randonneuse ne peut savoir que sous le kayak de madame Côté se trouve un alléchant festin.

Le lendemain de l’accident, madame Contant a communiqué avec le Journal pour savoir si quelqu’un pourrait l’informer de l’état de santé de madame Côté. Elle a raconté ce qu’elle a vu, ajoutant qu’elle avait pris des clichés du sauvetage.

Il ne faut pas avoir peur des baleines 

Information vérifiée par Mariève auprès de différents spécialistes en mammifères marins, dont Robert Michaud, directeur scientifique au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), ce type d’événement est très rare et il faut spécifier que le petit rorqual n’attaque pas l’humain ou les embarcations nautiques. C’est un pur hasard que la bête se soit alimentée au même endroit où se trouvait la kayakiste. Cela confirme toutefois qu’il y a toujours un niveau de risque lorsqu’on s’aventure sur le fleuve St-Laurent.

« Lorsqu’on aperçoit des mammifères marins, il est essentiel de garder une distance minimale de 100 m et cette distance peut varier selon les espèces et les régions », ajoute Mariève, qui rappelle l’importance de s’équiper en fonction de la sécurité et non en fonction de la température lorsqu’on va sur les eaux du fleuve St-Laurent.

« La veste de flottaison individuelle (VFI), un sifflet, un cellulaire accessible dans un sac étanche, des cordes et une bonne combinaison isothermique peuvent faire toute la différence en cas d’accident en mer. »

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