Plaidoyer pour la renaissance de la pêche au phoque

Par Émélie Bernier 5:58 AM - 14 février 2023 Initiative de journalisme local
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Photo Gil Thériault, ACPIQ

Jadis partie prenante de l’économie de l’est du Québec, la pêche au phoque s’est étiolée depuis une trentaine d’années, minée par la mauvaise presse et le déclin du marché. Les conséquences sur la biodiversité sont graves, puisque le phoque, en surnombre dans les eaux du Golfe et de l’Atlantique, est un prédateur vorace dont l’appétit affecte les stocks de poissons commerciaux.


La désinformation et une législation américaine caduque nuisent à la renaissance de cette industrie à haut potentiel souhaitée par plusieurs.


Sur la Côte-Nord, la baisse de valeur sur les marchés a découragé les pêcheurs commerciaux au phoque, selon Guy Vigneault, directeur de la flotte chez Pêcherie Shipek, à Ekuanitshit (Mingan).
« On a eu plusieurs rencontres pour faire rouvrir la chasse avec les pêcheurs des Iles-de-la-Madeleine, mais depuis une quinzaine d’années, il n’y a plus de pêche commerciale au phoque. Quelques pêcheurs autochtones et allochtones vont chasser le phoque pour leur alimentation», indique M. Vigneault.
De nombreux pêcheurs détiennent toutefois des permis commerciaux, comme l’indique Maxime Robin-Boudreau, qui siège sur le c.a. de l’Association des pêcheurs de phoques intra-Québec (ACPIQ) et partage son temps entre Havre-Saint-Pierre et la Basse-Côte-Nord.
« Il y a des centaines de permis dans la région et il y a plusieurs dizaines de permis commerciaux. De Havre-St-Pierre jusqu’à Kégaska, le nombre de chasseurs actifs est à compter sur les doigts», indique M. Robin-Boudreau. Il estime cependant que sur la Basse-Côte-Nord, la culture autour du phoque reprend de la vigueur.
659 permis de pêche (ou de chasse) au phoque ont été émis en date du 24 janvier 2023, 341 pour usage commercial et 335 pour usage personnel.
«Pour les coasters (ndlr : résidents de la Basse-Côte-Nord), ça fait partie de la subsistances. Sur la Basse-Côte, on survit. Tout apport de nourriture est important, alors si tu as des phoques qui sont là, tu vas les prendre. Le phoque fait partie des habitudes autant pour les Autochtones que pour les Blancs. C’est naturel pour eux, ils en ont tous mangé », selon Marilou Vanier, directrice du Créneau d’excellence ressources, sciences et technologies marines (RSTM) de la Côte-Nord.
Avec l’ACPIQ et Exploramer, cette organisation est de celles qui s’investissent pour que cette pêche regagne ses lettres de noblesse.

Photo Yoanis Menge, courtoisie ACPIQ


Main dans la main avec les Premières nations


La collaboration avec les Premières nations est un maillon essentiel pour parvenir à remettre la pêche au phoque au goût du jour.


« Avoir une utilisation complète et totale de l’animal (voir texte ci-dessous), ça va avec les valeurs ancestrales des autochtones qui ne jetaient rien. Tuer un animal pour s’en nourrir, c’est la voie de l’acceptabilité sociale », dit Marilou Vanier.


Si la viande de phoque ne remplacera jamais le poulet ou le bœuf, elle est d’avis que développer le marché alimentaire ouvrira la porte à tout le reste. « Il faut utiliser les meilleures pratiques avec ce cachet d’authenticité qui va permettre de bypasser certains préjugés tenaces», insiste Marilou Vanier.
Guy Vigneault est également d’avis que cette pêche pourrait être relancée. «Si les prix montaient, les pêcheurs seraient intéressés à y retourner. Il y a de la demande du milieu de la restauration, un marché pour les peaux. Avec le phoque, c’est ça qui est beau, on ne gaspille rien », dit-il.


Mais pour ça, il faudra que toutes les régions concernées, la Côte-Nord en tête, s’investissent.
« Pour le moment, seules les Îles font les efforts pour déboucher les marchés. Est-ce que la Côte-Nord peut mettre l’épaule à la roue? Si plusieurs régions s’investissent, on multiplie les possibilités! », lance Marilou Vanier.


Et on donne une chance à la biodiversité, insiste-t-elle. « Dans le Golfe, ce qui affecte le plus la biodiversité, c’est les phoques. À l‘heure actuelle Il y a un déséquilibre. Si le phoque avait un prédateur, on n’en parlerait pas. On dit « laissons la nature faire, elle va s’autoréguler un jour, oui, mais on veut préserver notre industrie et nos stocks de poisson. Pourquoi, après des années de moratoire sur la morue, on ne se relève pas? C’est à cause des phoques.»

Photo Gil Thériault. Courtoisie ACPIQ

Du museau à la queue

(EB) Les intervenants s’entendent sur le fait que toutes les parties du phoque peuvent être valorisées. « La viande, les os, les nageoires, les viscères, tout peut être utilisé dans le phoque! Le gras, c’est ce qui vaut le plus cher car c’est bourré d’oméga trois de source marine. Comme c’est un mammifère, l’assimilation est plus facile », indique Marilou Vanier du RSTM de la Côte-Nord.


D’ailleurs, on trouve une usine de transformation de l’huile sur les Îles-de-la-Madeleine. « Elle ne fonctionne pas à pleine capacité, parce qu’elle manque de matière première. La Côte-Nord pourrait très bien développer la viande localement et envoyer la graisse aux îles», illustre Mme Vanier.
Au cégep de Saint-Félicien, des études sont faites pour rendre le tannage des peaux plus écologique. La fourrure, jadis produit d’appel du phoque, est devenu un « déchet industriel ». Une autre filière prometteuse est l’alimentation animale.


« J’ai acheté de l’huile de phoque pour mes animaux à l’animalerie. Juste à côté, ils vendaient des os de kangourous! Sur la Côte-Nord, si je peux avoir des os de kangourous, pourquoi pas du phoque? », insiste Mme Vanier.

Pêcher le phoque pour soutenir la biodiversité

(EB) La remise en marche de l’industrie de la pêche au phoque n’en est pas à un écueil près. Un article de loi américain datant de 1972 interdisant l’usage de la chair de phoque comme appât pour d’autres espèces en est un parmi tant d’autres.
« Nos voisins du sud se posent en défenseurs de la biodiversité alors qu’ils invoquent leur loi de 1972, le Marine Mammal Protection Act (MMPA), pour empêcher les pêcheurs canadiens de se servir du phoque comme appât pour la pêche aux crustacés », résume le directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec (ACPIQ) Gil Thériault.


Marilou Vanier, directrice du Créneau d’excellence ressources, sciences et technologies marines de la Côte-Nord (RSTM), est elle aussi indignée par cette façon de faire.
« Aux États-Unis, on nous dit ‘’nous, on protège tous les mammifères marins, même le phoque!’’ On a aucun problème à protéger les cétacés, c’est très important de protéger, mais le phoque est une espèce nuisible, en surpopulation. On essaie de préserver un équilibre et une biodiversité affectés par les phoques », commente-t-elle.

Cette contrainte mine les efforts pour relancer la pêche commerciale au phoque.
« On travaille à l’essor de cette industrie, à renouveler la chasse commerciale sur la Côte-Nord. Un des débouchés, comme l’huile, la viande, la peau, est de pouvoir utiliser les viscères comme appât. C’est une façon naturelle et saine de valoriser toutes les parties de l’animal », renchérit Mme Vanier.
Les stocks de maquereau et de hareng, espèces historiquement utilisées comme appâts pour les pêches au homard et au crabe, sont d’ailleurs affectés par la prédation des phoques.


«Si nos pêcheurs de crabe et homard prennent des entrailles de phoque comme appât, on nous dit ‘’votre ressource ne sera pas certifiée en tant que ressource durable’’», se scandalise Mme Vanier.
À l’instar de l’Association des pêcheurs de phoques intra-Québec, le RSTM souhaite que le phoque soit exclu du MMPA.


«Les Américains décident ça de façon unilatérale alors que la science prouve sans l’ombre d’un doute qu’il y a une surpopulation de phoques. Ils le savent, ils veulent nuire à notre industrie des pêches, ce sont nos stocks de poissons qui sont concernés. Ils se drapent sous la vertu et le greenwashing pour protéger une espèce qui n’a pas besoin de protection», conclut Marilou Vanier.
«Il est grand temps que ce règlement américain soit scientifiquement remis en question par le Canada», affirme pour sa part Yoanis Menge, président de l’ACPIQ.