Cancer du sein: Gymnastique quotidienne pour opérer sur la Côte-Nord

Par Fanny Lévesque 3 novembre 2016
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La chirurgienne Dre Marion L’Espérance a tiré la sonnette d’alarme.

Depuis plusieurs mois, les patientes de la Côte-Nord en attente d’une mastectomie doivent se faire opérer les lundis et mardis avant 14h sinon, elles risquent de devoir attendre de 6 à 8 semaines avant de débuter leur traitement. Une situation inacceptable qu’a dénoncée la chirurgienne Dre Marion L’Espérance dans une lettre publiée dans La Presse.

La Côte-Nord est une région «orpheline» de pathologistes, les postes sont à pourvoir à Sept-Îles et Baie-Comeau. Il revient donc au CISSS de «négocier» un corridor de services pour la pathologie, mais ceux qui pourraient aider se font rares. Les chirurgiens, tout comme les gestionnaires, doivent alors se soumettre à une gymnastique quotidienne pour que les analyses des mastectomies soient faites dans les temps.

«C’est inacceptable», a martelé la chirurgienne, qui pratique à Sept-Îles depuis 2009. «Peu importe où le patient habite, il a le droit d’avoir une analyse (de son cancer) faite dans des délais raisonnables et où l’on connaît aussi les pathologistes qui la fait», poursuit-elle.

La situation sur la Côte-Nord s’est détériorée depuis janvier, après que «l’entente transitoire» mise en place avec Rimouski pour l’analyse des échantillons ait pris fin en décembre 2015. La région n’a eu d’autres choix que de faire appel à un laboratoire privé de l’Ontario pour l’examen des tumeurs retirées. «On a frappé à toutes les portes», soutient la directrice des services professionnels, Chantale Baril.

Depuis l’automne, le CIUSSS du Saguena-Lac-St-Jean a accepté d’analyser une partie des «pièces» de la Côte-Nord, mais pas plus que deux par semaine. Le CISSS de la Côte-Nord dessert des patients de Sept-Îles et Baie-Comeau, mais aussi ceux de la Minganie et Fermont, entre autres. «Il y a une semaine, il y en avait sept à opérer», note Dre L’Espérance.

«Ce n’est pas acceptable de dire à une madame: «Cette semaine on en a trois, alors vous ne serez pas opéré même si j’ai le temps et que le bloc est disponible». C’est impensable». Au-delà de deux cas, les échantillons prennent le chemin de l’Ontario. «Il faut vérifier avec eux que le test arrive dans les délais alors on manage du cancer chaque semaine à la pièce», rajoute Mme Baril.

Les analyses doivent être expédiées par avion pour être reçues dans les 72 heures suivant l’ablation. «On paye pour toutes les pièces, ça coûte une fortune», assure la directrice des services professionnels. «C’est compliqué, on gère des pièces toutes les semaines pour savoir où on va les envoyer (…) Le corridor de services n’est pas optimal parce qu’il y a des délais».

Contrainte du temps

Avec la contrainte de temps, les opérations ne peuvent qu’avoir lieu les lundis ou mardis et avant 14h, sinon pas de transporteur. Ce qui occasionne forcément des délais dans les chirurgies. «Quand on a un cancer, on veut être opéré hier», illustre la chirurgienne. «Des fois, avant, ça s’organisait dans la même journée et c’est salvateur pour un patient».

Pour les tumeurs analysées en Ontario, les patientes doivent attendre cinq semaines pour leurs résultats plutôt que deux dans la normale. «Avec tout le côté pratico-pratique, ça veut dire qu’on ne peut pas commencer la chimio avant 6 à 8 semaines après la chirurgie», indique Dr L’Espérance, alors que le délai raisonnable est de 4 semaines.

Pas le même service

Selon Chantale Baril, «quelqu’un devra faire le ménage» pour que la situation se résorbe. «Sur la Côte-Nord actuellement, on n’a pas, avec nos impôts, le même service que la patiente qui se fait opérer à Québec. Ça ne peut pas continuer», lance-t-elle. Mme Baril est d’avis que le problème se situe bien au-delà de son pouvoir.

«C’est le CISSS qui négocie ses corridors de services. La négociation devrait plutôt se faire entre le ministère (de la Santé) et l’Association des pathologistes du Québec», soulève-t-elle. Une proposition qui fait écho chez la Dre L’Espérance, qui réclame la mise en place d’une politique «de couverture pan provinciale» pour la pathologie qui «fera fi du code postal du patient».

Le ministère de la Santé et des Services sociaux indique que la situation survient «dans un contexte où les pathologistes sont très sollicités» alors que le nombre de postes vacants, dont ceux de Sept-Îles et Baie-Comeau, atteint 17 à travers la province. Québec rappelle qu’une réorganisation «importante» au CIUSSS du Saguenay-Lac-St-Jean entraîne «pour le moment certaines contraintes».

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