De jeunes Septiliennes dans l’enfer de la prostitution

Par Marie-Eve Poulin 6:01 AM - 24 janvier 2024
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photo iStock

Bien que la Côte-Nord soit une région éloignée où il fait bon vivre, de jeunes femmes, parfois mineures, y sont prises dans l’enfer de la prostitution. Cette réalité très tabou existe bel et bien chez nous. 

Les jeunes en centre jeunesse sont particulièrement des proies faciles pour les proxénètes, selon les différents intervenants locaux rencontrés par le Journal. 

« Les jeunes plus vulnérables peuvent effectivement être touchés par la problématique, particulièrement lors d’une fugue », affirme Pascal Paradis responsable des communications du CISSS de la Côte-Nord. « Des outils pour évaluer le risque sont utilisés par nos équipes et une mesure d’empêchement de fuguer peut être appliquée au besoin », dit-il. 

M. Paradis ajoute que des rencontres de sensibilisations sont aussi effectuées dans les centres jeunesse. 

Si on se tourne vers les intervenants du milieu communautaire de Sept-Îles, ils s’entendent tous pour dire que la prostitution est présente et que la communauté autochtone est aussi aux prises avec cette problématique. 

Léa Gentes, intervenante au Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Sept-Îles, affirme que le proxénétisme est un sujet dont elle entend beaucoup parler. 

« C’est une réalité vraiment très présente à Sept-Îles », dit l’intervenante, qui confirme aussi que des cas à risques sont traités au CALACS de Sept-Îles. 

Les deux travailleurs de rue de Uauitshitun confirment eux aussi la présence de la prostitution dans la région, mais ne peuvent se prononcer à savoir s’il s’agit d’un réseau ou non. 

« On a déjà eu des gens de la communauté qui ont dénoncé ça, mais de là à le prouver », dit l’une d’eux, Jennifer Fequet. 

Elle assure que les intervenants de Uauitshitun sont formés pour ce type de problématique. 

« On a des intervenants qui sont dans des dossiers avec des personnes qui pourraient être à risque. On a des formations, des ateliers, les intervenants sont bien formés », dit-elle. 

Communauté autochtone

La directrice du Centre d’hébergement Tipinuaikan, Émilie Legault, constate la présence de prostitution sur la communauté.

« C’est très tabou, mais on sait qu’il y a de la prostitution », dit-elle. « On sait qu’il y a des choses qui se passent et que des jeunes filles autochtones sont ciblées, parce qu’elles sont plus vulnérables que la population blanche ».

Elle témoigne  « qu’il y a du danger et que les rues ne sont pas très sûres ». 

Elle affirme connaître de jeunes filles qui font de la prostitution.

« Quand je les vois entrer dans une voiture, j’ai peur qu’elles ne reviennent pas », confie Émilie Legault. Une jeune fille en particulier l’inquiète. « Chaque fois qu’en équipe de travail on en discute, on se demande si elle est toujours en vie, ou si elle s’est fait faire du mal ».

Mme Legault affirme que la population autochtone s’inquiète de la problématique de prostitution et elle s’attend à ce que des filles viennent frapper à sa porte pour demander de l’aide. 

« Avant Noël, on était auprès de jeunes filles qu’on se doutait [qu’elles font possiblement de la prostitution]. On envoyait des messages de sensibilisation et prévention. On essayait de mettre des filets de sécurité », dit la directrice. 

La « prostitution de sofa » est aussi un phénomène présent, note-t-elle. Des femmes vont offrir des services sexuels pour avoir un toit. Il s’agit d’une forme d’itinérance « invisible ». 

Prévention

Émilie Legault annonce que des projets sont prévus en collaboration avec les écoles et d’autres partenaires. Le consentement, les dangers de l’argent facile, les risques de l’exploitation sexuelle, la violence conjugale, sont parmi les sujets qui pourraient être abordés. 

Un projet de prévention en matière de drogue du viol est aussi prévu au Centre d’hébergement Tipinuaikan. « On sait que des jeunes filles se font beaucoup droguer et se ramassent dans des lieux pas sécuritaires du tout et se font faire du mal », dit la directrice. 

Mme Legault croit que la sensibilisation ne se passe pas qu’à la maison. C’est une responsabilité de société. « Si quelqu’un voit quelque chose, il doit dénoncer », dit-elle.

En tant qu’intervenante, elle aimerait pouvoir faire plus, mais elle explique que la confidentialité ne lui permet pas de dénoncer, sauf s’il y a un danger immédiat. Il est possible de mettre un filet de sécurité, mais sans plus. 

« C’est difficile être intervenante, parce qu’on vit souvent des conflits de valeurs », dit Mme Legault.

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