Les dépouilles d’un ancien cimetière innu en danger

Par Émélie Bernier 6:00 AM - 23 janvier 2024 Initiative de journalisme local
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Courtoisie Archeo-Mamu

Au gré de aléas météorologiques, des dépouilles inhumées il y a plus de 500 ans au cimetière historique de la Pointe-du-Vieux-poste, sur la rive est de la rivière Natashquan, se retrouvent exposées. Les ossements ainsi libérés sont patiemment recueillis et entreposés en attendant de leur offrir une sépulture pérenne. 

La situation est préoccupante pour le conseil de bande de Nutashkuan et l’équipe d’Archéo-Mamu. Les premiers ossements ont émergé de leur gangue sablonneuse en 2016. À l’époque, les résidents du secteur avaient appelé les forces de l’ordre en renfort, croyant avoir affaire aux traces d’un meurtre ou d’une noyade. Il faut savoir que l’existence du cimetière n’était pas connue. 

Spécialisé en archéologie et travaillant de façon étroite avec les communautés autochtones de la Côte-Nord, l’OBNL Archéo-Mamu Côte-Nord a été investi du dossier.

« L’organisme a commencé à intervenir en 2018, en situation de sauvetage. On soupçonnait un cimetière, mais on ne savait pas exactement quel était son emplacement. Les interventions réalisées et les informations recueillies par Roberto Wapistan (voir autre texte) ont permis de le localiser et d’estimer sa superficie », explique Vanessa Morin, directrice générale d’Archéo-Mamu et archéologue.

Les datations au carbone 14 (*)  révèlent que certains individus exhumés dans le cimetière sont datés entre 1522 et 1575, selon la marge d’erreur. « D’autres expertises ont été réalisées et nous attendons les résultats afin d’avoir une idée du nombre de sépultures pouvant se trouver dans la partie encore intacte du cimetière », explique Vanessa Morin.

Le dossier est une course contre la montre, le vent, le gel et les grandes marées menaçant constamment l’intégrité des lieux.

Au cimetière de la Pointe-du-Vieux-poste, on s’affaire à récupérer les ossements qui sont victimes des intempéries. Photo courtoisie Roberto Wapistan

« Depuis 2019, on fait à la fois des interventions et des sauvetages. On essaie d’intervenir avant que de nouveaux corps déboulent de la dune. On tente aussi de prélever les ossements déjà sortis de terre », explique Vanessa Morin. Le soutien de la communauté est important.

Sur place, des vigies veillent au grain pour éviter que les ossements mis à nu ne soient éparpillés et disparaissent. « On a la chance incroyable de travailler avec la communauté de Nutashkuan dont M. Wapistan, qui effectue régulièrement des tournées. Il recueille les ossements, nous les amène au laboratoire afin que nous puissions procéder aux analyses et à la conservation », précise Vanessa Morin.

Les ossements sont préservés sur place. « Actuellement, nous les conservons dans le laboratoire. On va compléter les analyses. Il y a une valeur scientifique inestimable de ce côté-là. Une fois les analyses complétées, tous les ossements seront rendus aux membres de la communauté. Ils vont procéder à la réinhumation des corps au lieu de leur choix », indique Mme Morin. 

Chaque étape est laborieuse et… coûteuse. « Va-t-on envisager d’extraire les corps encore en place avant qu’ils ne soient perturbés ? Est-ce qu’il y a des mesures d’atténuation qui peuvent être envisagées et mises en place rapidement afin de limiter les impacts de l’érosion ? », s’interroge Mme Morin.

Pour ajouter à la complexité, le terrain où se situe le cimetière est une propriété privée.

« Le secteur des dunes, bien que sur le Nitassinan de Nutashkuan, appartient à une famille européenne et c’est l’un des enjeux », confie Vanessa Morin, consciente de s’aventurer sur un terrain glissant.

Mais l’enjeu éthique est beaucoup trop important pour baisser les bras. « On parle de sépultures qui dévalent la dune, on parle de leurs ancêtres ! Pour la communauté, la préservation du site et des corps qui y sont enterrés est vitale ! On l’a bien compris et on veut travailler dans la confiance et le respect avec la communauté », conclut Mme Morin.

* La datation au carbone 14 est une méthode de datation radiométrique fondée sur la mesure de l’activité radiologique du carbone 14 contenu dans la matière organique dont on souhaite connaître l’âge absolu, c’est-à-dire le temps écoulé depuis la mort de l’organisme (animal ou végétal) qui le constitue. Source : Wikipédia

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