Tueurs et mandalas

Par Emy-Jane Déry 6:00 AM - 28 juillet 2023
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Le curé Jérôme Thibault célèbre des mariages, baptise des enfants, enterre des paroissiens et offre des messes la fin de semaine, mais il est aussi « l’aumônier de tous » à l’intérieur des murs du pénitencier de Port-Cartier. 

« On ne peut pas bénir ton péché ou juste te condamner, on marche sur un fil, quelque part entre les deux », résume l’aumônier du pénitencier de Port-Cartier, Jérôme Thibault. Il a fêté sa première année en poste, la semaine dernière. 

Il écoute des tueurs, des agresseurs. La tâche ne paraît pas simple quand on la confronte à certains de nos principes. Il y a toute la notion « de l’impardonnable quand on fait le terrible », comme il l’appelle. 

« Je ne peux pas regarder le passé, je dois regarder le futur », dit-il.

« Quand on fait des mandalas, la seule affaire de grave qui peut arriver, c’est de dépasser. Si ça le [le détenu] plonge à prendre conscience de ses actes, pourquoi pas », relativise-t-il. 

J’avais l’impression qu’un homme qui se fait ordonner prêtre n’aspire pas en premiers lieux à aller écouter les péchés des pires criminels au pays. Dans ma série d’idées préconçues sur le mystérieux monde des délinquants dangereux, je ne les imaginais pas, eux, particulièrement croyants et partisans de Jésus. 

Les églises ne sont plus aussi achalandées qu’à l’époque, c’est un fait. À Port-Cartier, maintenant, il y a seulement des messes la fin de semaine. Ça permet d’ailleurs au curé Jérôme Thibault d’avoir du temps pour travailler au pénitencier.

Mais si les fidèles libres n’accourent plus à la messe en semaine, la liste des détenus qui veulent aller à la chapelle, elle, est longue. 

« Ça les fait sortir, ça leur permet d’échanger et d’avoir confiance en quelqu’un », dit-il.

C’est étonnant comment la foi peut revenir rapidement, selon l’aumônier. 

« On est heureux, les bras dans les airs, ou on a une badluck et un genou à terre, puis ça revient », illustre-t-il.

Il leur fait donc écouter des films : Les pouvoirs de la prière, Courageux, La résurrection du Christ… 

Les soirées cinéma sont de bons prétextes pour pousser à la réflexion, croit le curé. « Il y a plusieurs façons de prêcher », soutient-il. 

Un soir, un détenu qui avait déjà vu le film était plutôt désintéressé. Il se promenait dans la chapelle et il est tombé sur une affiche de « Justice réparatrice ». Ça l’a mené à faire une demande à l’aumônier pour entreprendre des démarches en ce sens.

Chaque détail devient important. Chaque déplacement, chaque occasion compte quand on est condamné aux quatre murs. 

L’aumônier de tous

À Port-Cartier, il y a une vingtaine de détenus musulmans, un peu moins d’une dizaine de bouddhistes. Jérôme Thibault a beau être le serveur de l’Église catholique, il répond aussi à leur besoin. 

« C’est mon travail », résume-t-il. « On grandit ensemble. Quand on sera de l’autre bord, on saura bien qui avait raison ! » 

Quand j’insiste avec mes questions sur comment il envisageait la suite de sa carrière et à quel point ça semble contradictoire un curé à l’écoute d’un détenu, il me rappelle gentiment qu’il y a une couple des apôtres et des fidèles de Jésus qui sont allés en dedans. Saint Paul et Saint Pierre, pour ne pas les nommer. L’ami Jean-Baptiste aussi !

Ça a fait 24 ans en juin que Jérôme Thibault a été ordonné prêtre. 

En bon curé, il me cite un chapitre de l’Évangile lu lors de cet événement marquant de son existence. 

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération… »

 « Cette parole de l’Écriture, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit », poursuit-il. 

Annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres… Tout est dans tout, comme on dit.