Islamophobie: «Nous sommes des humains comme vous»

Par Fanny Lévesque 8 février 2017
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Nizar Aouini, Abdellatif Samir, Nabil Matrajji et Mohamed Hasnaoui, entre autres, ont accueilli Le Nord-Côtier au centre culturel musulman de la Côte-Nord, quelques jours après l’attentat de Québec.

«Nous sommes des humains comme vous. Nous avons des sentiments comme vous». Nizar Aouini répète ce qui pour lui semble l’évidence. Pourtant, il est grand temps de le dire et le redire parce que la mort de six des leurs le 29 janvier à Québec ne doit pas être vaine, elle doit servir à opérer un virage «complètement à 180 degrés».

Un peu avant la prière du soir, Nizar Aouini, un jeune entrepreneur de Sept-Îles, et quelques autres membres de sa communauté ont ouvert au Journal, les portes du centre culturel musulman de la Côte-Nord. La construction achevée quelque part à l’automne, le lieu de culte a été la cible d’actes de vandalisme, en octobre puis en décembre.

«On ne mérite pas ça», laisse tomber M. Aouini. En plus d’incidents lors des travaux, un saccage a été perpétré au centre de la rue Brochu. Juste avant les Noël, un homme a aussi tenté d’y mettre le feu. Dans les deux cas, la thèse du crime haineux a été écartée par les autorités. Une conclusion difficile à avaler pour les fidèles de Sept-Îles.

«Tous ces actes-là, c’est l’accumulation de beaucoup de choses, au niveau politique et social. D’où on est rendu, tout simplement», déplore Nabil Matrajji, un électricien de 33 ans. «Mais l’action de dimanche, qu’on a perdu six vies. C’est six papas, six familles. Je pense que ça va faire un changement, j’espère, complètement à 180 degrés».

Parce que depuis le 29 janvier, on découvre enfin les musulmans, explique Nazir Aouini. «Quand on voit ces familles à la télé, les gens vont sentir que nous sommes des humains comme eux. C’est ça le message qu’on souhaite, qu’au moins on réduise l’islamophobie. On veut qu’ils parlent avec nous, qu’ils nous découvrent. Ils vont trouver de bonnes personnes».

L’ignorance

Que ce soit la montée des groupes radicaux, l’influence de politiciens ou des médias, tous ces symptômes montrés du doigt depuis une semaine ne font partie d’un mal plus grand, celui de l’ignorance, disent-ils «Ça démontre qu’on ne se connait pas assez», avance M. Matrajji, qui habite Sept-Îles depuis six ans. «On sait qu’au Québec, il y a une histoire de religion, une sensibilité».

«Il y a certaines personnes qui jouent sur ce point-là pour faire peur au monde», illustre-t-il. Les médias ont aussi donné «une image de marque» à l’Islam, ajoute un autre. «On met toujours la photo de la femme en niqab, je pense qu’il a en 300 au Canada qui le porte, c’est rare même dans nos pays, mais le message négatif reste», dénonce M. Aouini.

Vivre en région

«Les réactions qu’on a vues à travers le pays (depuis dimanche), c’est rassurant», précise M. Matrajji. «Ça démontre l’ouverture de notre société, que la diversité, c’est notre richesse». Et est-ce que cette «ouverture» est la même en région? La réponse n’est pas unanime. «Je pense que c’est plus facile», lance d’emblée l’électricien d’origine marocaine.

«Ce qui est plus dur, c’est le regard des gens ici par rapport à Montréal par exemple et c’est normal parce que là-bas, c’est plus multiculturel», exprime Nazir Aouini, à Sept-Îles depuis juin. «Personnellement, je n’ai jamais vécu de problèmes, pas du tout», assure pour sa part Mohamed Hasnaoui, 22 ans, étudiant en soins infirmiers au Cégep de Sept-Îles.

«En région, la communauté est très proche (…) Je pense que le rapprochement est très facile», estime M. Matrajji. «Il y a toujours une certaine méfiance, il y a un petit morceau de glace cachée quelque part, qu’il faut faire fondre avec le dialogue». «Poser des questions sur notre culture, notre religion, les barrières vont tomber», ajoute M. Aouini.

Ne pas céder à la peur

Évidemment que les événements de la semaine dernière ont secoué les membres de la communauté musulmane de Sept-Îles, estimés à entre 60 et 80. Et même s’ils ne sont d’aucune commune mesure avec les actes de vandalisme subis au centre, il est difficile de ne pas céder à la peur. «Personnellement, j’ai peur à ma vie», confie M. Aouini.

«Parce que malheureusement, on a vécu ici deux actes très dangereux et les pénalités sont très légères. Si un musulman était entré dans une église, comment il aurait été puni?», ne peut-il pas s’empêcher de penser. «Il ne faut pas se laisser emballer dans cette peur-là, ça ne représente aucunement la société canadienne et québécoise», nuance M. Matrajji.

«J’ai vu la réaction des gens, rappelle-t-il, se nourrissant d’espoir. Ça démontre que demain sera meilleur. Il faut se baser sur ça pour construire des ponts et ne pas les détruire (…) pour l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants».

 

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