Cliffs Natural Resources: Des temps difficiles pour les retraités

Par Fanny Lévesque 12 octobre 2016
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Gordon St-Gelais, René Richard et Jean-Claude Pinet du comité de retraités de Cliffs Natural Resources.

Boîte à lunch à la main, ils ont contribué à bâtir Sept-Îles à l’heure où la ville naissait du développement minier. Cinquante ans plus tard, la tête grisonnante et quelques rides en plus, ils ne savent pas s’ils vieilliront tranquilles, comme il leur a été promis.

Reportage sur les retraités de Cliffs Natural Resources 

 

 

 

 

Pertes pour un retraité moyen (moins de 65 ans)

  • Moins 10 000$ d’assurance-vie
  • Abolition de l’assurance médicament, service ambulancier et chambre semi-privée
  • Prestation mensuelle diminuée de 21%

 

Rose et Aurélien Bernatchez : Être bien à deux

Rose et Aurélien Bernatchez

Rose et Aurélien Bernatchez

Si Rose et Aurélien Bernatchez savent une chose, c’est qu’ils sont plus forts à deux. L’éventualité du départ de l’un ou de l’autre amène son lot d’inquiétudes chez le couple, encore bien en santé et qui vit toujours dans maison. «S’il y a en a un qui tombe malade ou qui part, moi ici toute seule, je sais pas», exprime la dame de 75 ans.

Avec la pension de son mari réduite, le couple ignore s’il aura les moyens de déménager en résidence, rappelant le prix élevé des loyers. «On commence à penser à ça vraiment. Ça fait réfléchir», poursuit-elle. «Plus on va, plus on a des médicaments à payer aussi». Ils évaluent qu’ils perdent maintenant 400$ par mois avec les changements au régime.

«À nos âges, on ne peut pas dire qu’on reprend le marché du travail. Il faut vivre avec ce qu’il nous reste», ajoute Mme Bernatchez. «C’est l’incertitude, on se sent moins en sécurité», renchérit son époux, retraité en 1998. «C’est une humiliation pour ces hommes-là, ils ont travaillé avec l’espoir d’avoir une belle retraite».

Le couple dit se nourrir d’espoir pour la suite. «Le mot est grand, mais on espère», affirme M. Bernatchez. Ils souhaitent même une réelle relance des installations minières qu’appartenaient à Cliffs pour les générations futures. «Sept-Îles c’est une belle ville. J’espère que ça va reprendre, si les jeunes n’ont pas d’ouvrage, ils vont s’en aller».

Maria Bilhete : Vivre un jour à la fois

Maria Bilhete

Maria Bilhete

Maria Bilhete, 78 ans, vit seule depuis deux ans. Son mari a été l’un des premiers travailleurs de Wabush (Cliffs à l’époque) en 1962. Ils sont venus du Portugal pour jeter l’ancre à Sept-Îles et trouver du travail. «Il était fier», lance-t-elle avec conviction. Son époux habite en résidence, il souffre d’Alzheimer.

«Manuel, il disait tout le temps qu’il allait travailler le plus longtemps possible. Le travail, c’était sa vie». Quand elle repense à l’amour qu’avait son homme pour ce qu’il faisait, elle digère mal ce qui arrive. «C’est triste, j’ai de la colère envers la compagnie. Manuel a travaillé tellement d’années, il a payé sa pension et voilà, on coupe».

Avec lui en résidence, elle a dû reprendre les rênes seules. Elle dit puiser sa force à travers ses deux garçons et ses amis. «Il faut que je pense à moi, à Manuel. Il faut que j’aille la santé pour lui, pour aller le voir. Si je commence à trop penser, je vais me fatiguer et je ne pourrai pas gérer ma vie».

Une vie qu’elle dit mener «un jour à la fois» en ménageant ses économies. «Les dépenses, c’est le strict minimum», soulignant que les soins que reçoit son mari n’ont pas été réduits de 21% eux. «Si Manuel était en santé, il se serait battu», assure la dame. Ce qu’elle fait pour lui, à sa manière. «Qu’ils nous donnent ce qu’ils nous ont enlevé».

Louiselle Roy : Se tenir debout

Louiselle Roy

Louiselle Roy

«J’ai dit : «Non, non, non, on va se battre pour ravoir l’argent qu’ils (Cliffs) t’ont volé»». C’est ce que Louiselle Roy a lancé à son mari, retraité en 2007, lorsque le couple a appris en mars 2016 que les prestations de M. Roy allaient être diminuées de 21%. «C’est ça qu’ils ont fait, ils ont volé. Cet argent-là, elle était à nous autres, elle était déjà payée».

Assise à la table de la cuisine, Louiselle Roy en a long à dire sur ce qu’elle et son conjoint, comme les autres retraités, vivent depuis les derniers mois. «On pensait qu’on allait être capable de profiter de la retraite, dit-elle. Aujourd’hui, s’ils coupent encore, qu’est-ce qui va arriver? On va en avoir (de l’argent) pour combien de temps?»

Mme Roy évalue ses pertes à 15 000 dollars par année parce qu’elle doit dégarnir ses placements pour combler le manque à gagner. «Cet argent-là, je ne la remettrai jamais», déplore-t-elle. L’incertitude pour la suite pèse lourd. «Honnêtement, il ne faut pas s’arrêter à penser à ça parce qu’on va virer en dépression».

Louiselle Roy parvient à canaliser sa colère en espérant que les retraités retrouveront leur dû au terme du processus légal. «Oui, ça vient nous chercher dans le cœur. Oui, ça nous choque, mais il faut se tenir absolument debout et se dire qu’ils vont nous donner ce qui nous revient. C’est à nous autres».

Un comité de retraités qui veille au grain

Gordon St-Gelais, René Richard et Jean-Claude Pinet.

Gordon St-Gelais, René Richard et Jean-Claude Pinet.

Il n’a pas fallu longtemps avant qu’un petit noyau de retraités se regroupe pour veiller au grain après la réception d’une première lettre, les informant que leur assurance-vie et médicaments étaient retirés. «Le téléphone s’est mis à sonner», raconte le président, Gordon St-Gelais, l’un des derniers retraités de Cliffs en 2015.

Lui et sa conjointe, et deux autres ex-collègues, ont pris le taureau par les cornes et ont mis sur pied le comité. Un choix naturel pour défendre leurs intérêts et ceux avec qui ils ont passé une partie de leur vie. «J’ai été plus souvent avec mon monde de Pointe-Noire qu’avec ma propre famille», n’hésite pas à dire M. St-Gelais.

Tous les jeudis matin, le groupe se rencontre. Ils font le point sur l’avancement du processus légal, traduisent les documents. Parfois, leur réunion se poursuit le samedi soir. Ce qu’ils apprennent, ils le transmettent via Facebook sur une page créée pour les retraités, où les syndiqués comme les cadres peuvent s’exprimer et faire connaître leurs tracas.

Mais le téléphone lui, il ne dérougit pas, assure M. St-Gelais. «Il y en a qui sont démunis, renchérit René Richard. Tu les écoutes, les réconfortes. Tu ne peux pas couper la ligne à ces gens-là». Du temps qu’ils prennent bénévolement pour faire avancer leur cause, même si deux d’entre eux bataillent contre la maladie.

Quelle est leur motivation? «La révolte», lance M. Richard. «C’est de l’argent qui nous a été volé, c’est de l’argent qu’on avait mis là, on s’était privé sur notre salaire pour avoir une belle retraite jusqu’à notre mort. Il fallait se battre», poursuit-il. «Tout ce qu’on peut aller chercher, on va y aller», renchérit M. St-Gelais.

En décembre 2015, le manque à gagner de la caisse de retraite se chiffrait à 27,7 millions $. Il est toujours impossible de savoir à quelle hauteur les coffres pourront être renfloués tant que le processus de restructuration de Cliffs Natural Resources n’arrivera pas à sa fin. Le prochain délai du contrôleur vient à échéance le 12 octobre.

Le syndicat des Métallos mène entre autres une bataille juridique pour que les retraités touchent une indemnité sur les assurances perdues. En septembre, le Bloc québécois et le syndicat ont uni leur voix pour réclamer une modification à la Loi sur les arrangements avec les créanciers pour éviter que d’autres «saccages» des régimes de retraite.

Une pétition pour donner de la force au projet de loi qu’entend déposer la députée de Manicouagan, Marilène Gill, pour que les retraités soient reconnus comme des créanciers prioritaires, doit circuler prochainement. Des discussions se poursuivent avec Québec pour que les revenus générés par l’achat des actifs de Pointe-Noire servent en partie à rembourser la caisse.

Les participants à la caisse de retraite

  • 783 ex-employés (qui ont quitté avant la retraite ou perte d’emplois)
  • 314 retraités actifs (au Québec)
  • 462 retraités actifs (au Labrador)
  • 129 veuves survivantes (au Québec et Labrador)

Chez les cadres

  • 150 cadres et 30 veuves survivantes (Québec)
  • Perte de 25% des prestations

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