Evelyne St-Onge : Défendre haut et fort la culture autochtone

Par Fanny Lévesque 26 novembre 2015
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Le jour où Evelyne St-Onge a renoué avec sa culture, effacée par l’époque sombre des pensionnats, l’Innue de Uashat mak Mani-Utenam s’est promis une chose : la défendre haut et fort. 

Attablée à la table de sa cuisine, l’aînée de 70 ans montre modestement le doctorat honoris causa que lui a décerné il y a une semaine, l’Université du Québec à Montréal pour son «engagement indéfectible» à la sauvegarde, au développement et à la transmission des savoirs autochtones.

«Je ne suis pas la seule à être reconnue là-dedans, c’est toute la nation autochtone qui l’est et c’est pour ça que je suis contente de le prendre», lance-t-elle, le sourire timide et fier. Mais, le grand calme, désarmant presque, qui l’habite maintenant n’a pas toujours été. Evelyne St-Onge a mené plusieurs combats.

Après onze années comme pensionnaire, une décennie dont elle se dit «survivante», elle quitte Schefferville, où ses parents résidaient, pour la ville. Infirmière, l’Innue pratique quelque temps à Montréal puis, l’ennuie des grands espaces la ramène dans sa communauté nordique. Elle est embauchée à l’hôpital de l’endroit.

«J’ai vraiment perdu la vocation rendue là, j’ai trouvé ça très dur». Rapidement, Mme St-Onge constate qu’il a beaucoup plus de racisme à Schefferville que dans les centres urbains.

«C’est à ce moment que j’ai commencé à dénoncer»

Elle parvient même à se faire élire sur le conseil d’administration de l’établissement.

Découragée du peu de changements, elle se tourne vers l’enseignement, mais le racisme est encore bien présent. «Les Innus étaient tous placés dans des classes dites inadaptées», raconte-t-elle. Mariée à un travailleur minier «québécois», elle s’installe à Mani-Utenam dans les années 80. Une nouvelle quête l’attend.

À l’époque, une autochtone qui mariait un  «Blanc» perdait son statut d’Indienne au sens de la Loi sur les Indiens. «Ç’a été un grand tournant dans ma vie, une crise identitaire très forte», affirme-t-elle. Si bien, qu’elle décide d’aller en forêt, redécouvrir ses origines, ses traditions.

«Je ne réalisais pas que le pensionnat m’avait autant éloignée de ma culture»

Plus tard, Evelyne St-Onge militera pour que les femmes dans sa situation puissent conserver leur statut, une bataille qui sera remportée en 1985. Elle poursuit son œuvre en éducation, travaillant notamment pour une école traditionnelle. En 1987, elle participe à la création de la première maison de production de vidéos autochtones au Québec.

Une quarantaine de documentaires sont ainsi réalisés pour contribuer à l’enrichissement et au rayonnement de la culture innue à travers la province. En l’an 2000, Evelyne St-Onge met sur pied un programme scolaire Shaputuan, toujours existant, qui favorise par l’apprentissage de la culture autochtone, le rapprochement entre les peuples.

«On parle de nous, on installe le shaputuan, les gens viennent à l’intérieur, on parle tout simplement de qui on est, nos légendes et notre langue»

Si l’on parle de plus en plus des autochtones dans la société, Mme St-Onge remarque aussi sur le terrain que «l’ouverture» est plus présente, chez les jeunes et les parents.

Evelyne St-Onge lors la remise de son doctorat. (Photo: Jean-François Hamelin - UQAM)

Evelyne St-Onge lors la remise de son doctorat. (Photo: Jean-François Hamelin – UQAM)

«Offrir» l’identité

Pour l’aînée, le mieux-être des Innus passe par les retrouvailles avec leur culture, leur identité. Les graves problèmes sociaux avec lesquelles les peuples des Premières Nations jonglent encore aujourd’hui sont autant de conséquences des «dépossessions qu’on a eues, le racisme subi aussi», souligne-t-elle.

«C’est ça qu’on doit donner aux jeunes pour qu’ils soient bien, ils doivent connaître leur culture et on ne leur enseigne pas, c’est dommage. Il faut leur offrir leur identité»

Réclamant un financement plus adéquat du secteur de l’éducation autochtone, Evelyne St-Onge croit également que la communauté doit faire sa part.

«La langue se perd, il faut faire l’effort de parler en innu à nos enfants», dit-elle en exemple. Elle s’en fait d’ailleurs un point d’honneur. Présent lors de l’entretien, son petit-fils de trois ans a échangé avec sa grand-mère en innu seulement. «Je lui parle toujours comme ça. Parfois, je lui dis en français, mais lui répète ensuite en innu».

Maintenant docteure honoris causa, Evelyne St-Onge rêve d’être reconnue, non pas pour son œuvre, mais pour l’Innue qu’elle est «dans son pays», pour que le «peuple invisible», devienne un jour bien visible.

Sur les traces de maman

Evelyne St-Onge a donné naissance à trois enfants, dont une seule fille, Michèle Audette. Impossible de ne pas faire de rapprochement entre le parcours de la leader autochtone et celui de sa mère. Mme Audette a d’ailleurs occupé la tête de l’Association des femmes autochtones du Québec, un organisme cofondé par Mme St-Onge en 1974.

«Michèle, elle a grandi là-dedans. Je l’amenais dans les réunions quand elle était petite et elle dormait là», se souvient Mme St-Onge, le regard rieur. «Ce que j’ai voulu être pendant des années, Michèle l’incarne tout à fait avec sa détermination, son assurance, sa confiance. Mes enfants, c’est ma suite, et je suis fière d’eux».


  (Photo : Le Nord-Côtier)

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