« Innuiser » le territoire de Uashat mak Mani-utenam 

Par Sylvie Ambroise 9:28 AM - 3 mai 2024 Initiative de journalisme local
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Les étudiants en architecture de l’Université de Montréal et leurs propositions de projets pour le centre multifonctionnel Meshkenu. Photo Sylvie Ambroise

Dans le cadre du projet « d’Innuisation », le secteur de l’Immobilisation, Infrastructures et Habitation de ITUM veut construire un centre multifonctionnel qu’il entend nommer Mesheknu [direction]. Le bâtiment sera érigé dans le récent agrandissement de Ka uatshinakanashkasht [là où il y a des mélèzes], du nouveau secteur de Georges-Ernest qui est en plein développement. 

Le centre se voudra culturellement sécurisant et reflétera la culture, les symboles, la nature et les couleurs des Innus, affirme ITUM. C’est ce que signifie le terme « innuiser ». Le nouveau mot est de plus en plus utilisé par les Innus, afin que les non-autochtones comprennent mieux l’essence de leurs projets de développement.   

Plusieurs secteurs y seront présents pour combler les besoins de la communauté, dont le communautaire, le multimédia, l’administratif et le locatif.

« Nous avons rencontré tous les secteurs de ITUM pour connaître leurs besoins », explique la directrice du secteur de l’Immobilisation, Infrastructures et Habitation de ITUM et ingénieure, Thérèse Ambroise-Rock. « Aussi, les étudiants de la faculté de l’aménagement à l’école d’architecture de l’Université de Montréal ont rencontré les Innus, ils ont fait une immersion à Uashat mak Mani-utenam l’automne dernier. »

Ce sont quatre équipes d’étudiants qui ont proposé chacun un projet pour « Innuiser », ce futur bâtiment.

« C’est prendre en considération les besoins, les désirs de la communauté et d’être sensible et de vraiment penser à l’humain en premier lieu », dit Maria Moreno Ramirez, étudiante en troisième année du BAC en architecture. 

Elle fait partie de ceux qui sont venus à Uashat mak Mani-utenam, dans le cadre du projet. Achraf Ben Abas était aussi du lot.

« J’ai saisi cette chance-là pour pouvoir en apprendre plus sur une communauté que je ne connaissais pas et que je n’ai pas eu la chance de rencontrer », a-t-il dit. « À cause de la distance, et aussi, à cause de l’accessibilité (…) J’ai sauté sur l’occasion directement. » 

Les cours d’histoire

Les 11 étudiants qui sont venus à la rencontre de la communauté de Uashat mak Mani-utenam ont été surpris de constater à quel point ils ignoraient plusieurs notions historiques concernant les Innus. 

« On trouvait cela dommage que dans les cours d’histoire du Québec, on ne parle pas vraiment de la culture autochtone, c’est très superficiel la manière dont on approche les communautés. »
Justine Céline 

« On trouvait cela dommage que dans les cours d’histoire du Québec, on ne parle pas vraiment de la culture autochtone, c’est très superficiel la manière dont on approche les communautés autochtones » dit Justine Céline, étudiante en architecture à l’Université de Montréal. « Même que ça va au-delà de ça, on a de la difficulté à bien distinguer les communautés autochtones au Québec », poursuit-elle. 

L’étudiante estime que les allochtones auraient beaucoup à apprendre de la culture innue. Par exemple, l’importance accordée aux aînés. 

« C’est dommage qu’avec cette richesse-là, au Québec, on ne la sente pas. Ce serait bien que tout le monde ait le même point de vue que nous, après avoir visité la communauté et que l’on réalise à quel point, il y a des valeurs qui y sont véhiculées sont importante », déplore-t-elle. « Je pense notamment aux aînés, dans notre culture à nous ce ne sont pas des gens qui sont valorisés (…) Tandis que dans la culture innue, ce sont des gens qui sont vénérés même. J’ai l’impression que l’on a beaucoup à apprendre. C’est la petite frustration que l’on a ressentie après. On n’est tellement pas renseignés sur une culture qui pourrait nous apprendre davantage. »  

Un regard d’expérience

Ces projets d’innuisation au sein de Uashat mak Mani-utenam reflètent la longue démarche de la Réconciliation qui prend du temps et surtout de l’écoute, et ce, dans tous les domaines. Lauréat Moreau est un aîné et est le coordonnateur du Musée Shaputuan à Uashat. Il participe au projet en commentant les propositions des étudiants, avec sa vision d’expérience. 

« Cette démarche est issue de la vie traditionnelle de nos ancêtres, de l’innu-aitun. C’est pourquoi il est important que les aînés fassent partie de ces projets-là, car ce sont eux qui ont vu, et vécu la chasse, la pêche et connaissent les valeurs des Innus. Innuiser les murs, les escaliers, l’extérieur tout ça pour ne pas oublier (…) Ce travail est très important pour la fierté d’être innu et pour la pérennité », dit Lauréat Moreau.

C’est EVOQ Architecture qui a rendu possible cette collaboration avec la communauté innue. Ce cabinet, basé notamment à Montréal, a une expertise dans la conservation des patrimoines au Canada. Deux membres de la firme, dont un des fondateurs, sont enseignants à l’Université de Montréal. La division de l’architecture des Inuits et des Premières Nations cumule une vingtaine d’années d’expérience chez les Inuits. Elle réalise maintenant de plus en plus de projets au sud du 55e parallèle. 

Quant à celui du centre multifonctionnel Mesheknu, ITUM poursuit la recherche de financement afin de passer aux prochaines étapes. Il n’y pas encore d’échéancier précis, mais ITUM souhaite développer le secteur George-Ernest prochainement. 

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