Les pavillons de ressourcement pour Autochtones sont sous-financés au pays

Par Ally Lemieux Fanset, Jack Wilson et Faith Greco La Presse Canadienne 12:00 PM - 20 avril 2024
Temps de lecture :

Des peaux d'ours, des tambours et d'autres objets traditionnels meublent une salle du pavillon de ressourcement pour Autochtones de Waseskun, l'équivalent d'un pénitencier à sécurité minimum. Photo Ally Lemieux Fanset

Les pavillons de ressourcement pour Autochtones qui, selon les Services correctionnels du Canada (SCC), «offrent aux délinquants des services et des programmes adaptés à la culture dans un milieu intégrant les valeurs, les traditions et les croyances autochtones», demeurent sous-financés, déplore l’enquêteur correctionnel du Canada, Ivan Zinger.

Pourtant, ces établissements pourraient contribuer à réduire le pourcentage élevé de détenus autochtones dans les pénitenciers fédéraux, ajoute-t-il.

Le nombre de détenus autochtones continue de croître, 25 ans après que la Cour suprême eut confirmé un article du Code criminel demandant aux juges d’examiner, «particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité».

La surincarcération des Autochones s’est aggravée au fil des années, souligne M. Zinger.

Les Autochtones comptent pour 32% de la population carcérale alors qu’ils ne forment que 5% de l’ensemble de la population adulte. La situation est encore plus alarmante pour les femmes autochtones, car celles-ci représentent la moitié de la population dans les prisons. «Un triste jalon», note M. Zinger.

Il y a 25 ans, les délinquants autochtones représentaient 17 % de la population carcérale, selon le Centre canadien de la statistique juridique.

M. Zinger dit qu’il existe un besoin urgent de mieux financer les établissements autochtones qui offrent une solution de rechange aux prisons conventionnelles. Près de 30 ans après la fondation du premier pavillon ressourcement pour Autochtones, il n’existe que 139 places disponibles dans les six centres gérés par une communauté autochtone. Le Service correctionnel s’occupe de 250 autres places de son côté.

«C’est un véritable problème pour cette stratégie. Cela n’est pas respectueux des principes de réconciliation, d’autonomie et d’autodétermination.»

Le Centre de guérison Waseskun, situé à Saint-Alphonse-Rodriguez, dans Lanaudière, est l’un des dix pavillons de ressourcement financés par les Services correctionnels. Il accueille des délinquants autochtones qui devraient être normalement enfermés dans un pénitencier fédéral. 

C’est le seul pavillon de ressourcement subventionné situé à l’est du Manitoba et l’un des six centres gérés par une communauté autochtone. Reconnu comme le succès par le ministère fédéral de la Sécurité publique, il compte 22 places réservées pour des hommes dont la peine d’emprisonnement dépasse deux ans.

Pour certains résidants, la plus grande différence entre le centre et d’autres établissements pénitentiaires est le fait de vivre uniquement parmi d’autres Autochtones. Dans les prisons du SCC, les détenus reçoivent une certaine aide psychologique, mais peu orientée sur le plan culturel.

«J’ai un non-Autochtone qui me dit comment je suis censé me sentir en temps qu’Autochtone, lance Steven, un Mi’kmaq qui est détenu à Wasekun. Personne n’y voit l’ironie? Cette personne n’a pas marché dans mes pas, elle ne connaît pas mon peuple. Elle ne sait pas ce que j’ai dû traverser.»

Les Services correctionnels offrent aux détenus un programme appelé «Sentiers autochtones» et dirigé par un Ancien. Toutefois, Stan Cudek, directeur général et fondateur du centre de Wasekun, dit que l’environnement peu sûr des prisons peut empêcher certaines personnes de s’ouvrir.

«Ici, les gens peuvent dévoiler les raisons de leur emprisonnement et parfois, ils racontent toute leur vie. On ne peut pas faire ça en prison. On risque de se faire tuer, avance-t-il. Ils viennent ici et ils réalisent après un certain temps qu’ils sont en sécurité. Personne ne va les battre.»

Les données sont limitées sur le sort de ces détenus une fois libérés. En 2016, un rapport du solliciteur général du Canada indiquait que 78% des délinquants provenant d’un pavillon de ressourcement étaient plus susceptibles de terminer avec succès leur période sous surveillance dans la collectivité comparativement à 63 % de ceux provenant d’un établissement à sécurité minimale traditionnel.

Malgré des demandes répétées pour l’accroissement du nombre de pavillons de ressourcement pour Autochtones, M. Zinger a constaté l’an dernier qu’il n’y avait que 53 places de disponibles de plus qu’il y a 10 ans.

Et il n’existe encore aucun établissement dans les territoires, en Ontario et dans l’Atlantique.

Les pavillons existants ne fonctionnent en moyenne qu’à 51% de leur capacité, signale M. Zinger, parce qu’on y transfère trop peu de détenus.

Dans son rapport, M. Zinger a découvert une discrimination dans le financement de ces pavillons. Ceux dirigés par une communauté autochtone ne reçoivent que 62 cents pour chaque dollar reçu par ceux dirigés par le SCC.

Un porte-parole du SCC, Chris MacMillan, dit que les pavillons gérés par l’agence fédérale reçoivent un plus grand financement parce que les besoins en matière de sécurité sont plus grands. De plus, le SCC doit assumer les dépenses pour les soins, ce qui n’est pas le cas pour les pavillons des communautés.

M. Zinger craint que cette disparité s’explique par des causes plus profondes.

«Pour moi, c’est de la discrimination, lance-t-il. Le SCC doit donner plus de contrôle et d’autorité aux pavillons de ressourcement dirigés par une communauté autochtone.»