Un nouveau dictionnaire en ligne tente de faire le tour des québécismes

Par Caroline Chatelard, La Presse Canadienne 8:10 PM - 31 mars 2024
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Robert Vézina, directeur du TLFQ et professeur invité à l’Université Laval, dévoile les recommandations sur l'état du français au Québec, à la capitale nationale le mercredi 6 mars 2013. L'université Laval et l’équipe du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) ont lancé à la fin du mois une nouvelle version, numérique cette fois, du «Dictionnaire historique du français québécois». LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot t

Il n’y a pas un français, mais des français. Parlez de «bobettes» à l’un de nos cousins d’outre-Atlantique et il vous regardera avec des yeux bébêtes. Oui, la francophonie est riche d’une variété de déclinaisons. Et entre les débarbouillettes, les mouches à feu, les balados et les égoportraits, le français québécois en est l’un des porte-étendards.

L’université Laval et l’équipe du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) ont lancé à la fin du mois une nouvelle version, numérique cette fois, du «Dictionnaire historique du français québécois». Le DHRQ 2.0, comme ses artisans l’appellent, révise et enrichit de 150 nouvelles entrées la première édition, publiée sur papier uniquement en 1998, pour un total de 810 entrées au lancement de la version numérique. Un chiffre en constante augmentation.

Du moins relativement, car il n’y a eu, depuis la mise en ligne du DHRQ 2.0, qu’un seul ajout, avoue Robert Vézina en riant. Le directeur du TLFQ et professeur invité à l’Université Laval, qui codirige cette nouvelle mouture du dictionnaire, pèse ses mots – c’est peu de le dire – quand il dit que «c’est un long processus».

Chaque monographie de mot doit être révisée de façon méticuleuse avant de pouvoir être finalisée. «On retourne à chaque source sur toutes les citations qui sont faites dans une monographie pour s’assurer que la référence est bonne, que tout est transcrit correctement, explique l’universitaire. C’est donc quand même assez chronophage.»

En tête de liste des prochaines entrées: «blonde». Le terme est tant utilisé que M. Vézina s’étonne lui-même qu’il n’ait pas été intégré avant. Et — attention, divulgâchis — le terme vient… de France! Son usage est très ancien dans l’Hexagone, explique M. Vézina. «Vous aviez la chanson folklorique ‘Auprès de ma blonde’», mentionne-t-il.

Bien loin de conter fleurette, cette marche militaire, composée en 1704 par un lieutenant de la marine de Louis XIV, André Joubert du Collet, a traversé l’Atlantique à l’époque coloniale et son usage est resté dans la Nouvelle-France. Même si, précise le directeur du DHRQ, à l’époque, le terme désignait plutôt une maîtresse.

Vie et mort des mots

Les changements de sens, comme le changement non négligeable susmentionné, tiennent une place importante dans l’ouvrage numérique, tant ceux répertoriés déjà dans la première version que ceux venus entre les deux. «Il y a des mots qui se mettent à vieillir et à disparaître pour des raisons plus ou moins obscures, ça fait partie de l’histoire de toutes les langues depuis toujours. Les mots naissent et meurent. Dans certains cas, on peut comprendre pourquoi, d’autres fois pas du tout», raconte Robert Vézina.

La plus évidente des influences au Québec est bien sûr celle de la langue anglaise, intervenue selon le Pr Vézina dès la conquête anglaise de 1760. «Il y a des mots qu’on a pris tels quels, comme ‘sloche’, d’autres qu’on a pris par calque, qu’on a traduit directement ou fait des emprunts sémantiques, soit des mots tout à fait français, mais qui ont acquis un nouveau sens par influence de l’anglais», détaille-t-il.

Avant ça, nombreux ont été les emprunts aux langues autochtones. Certains sont restés et beaucoup de Québécois ne se doutent pas de l’origine de ces termes. Le linguiste évoque par exemple l’expression «c’est de valeur», au sens de «c’est dommage», qui est une traduction littérale d’une expression autochtone.

Le néologisme à la conquête du dictionnaire

Depuis la première édition de 1998, de nombreux mots sont déjà considérés comme vieillis, car les nouvelles générations les emploient peu, tandis que les néologismes prennent une place de choix. Robert Vézina les affectionne particulièrement, car ils sont la preuve de «la créativité très active du français québécois actuel».

L’emblématique «divulgâcheur», dont le charme très québécois lui a permis de se faire une petite place sur les lèvres françaises, en est un exemple. Cependant le DHQF 2.0 réserve son lot de surprises même sur ce front. Le Pr Vézina fait s’écrouler un mythe: «le mot ‘courriel’ est fortement associé au français québécois. On a toujours lu partout que ça avait été créé au Québec, mais la plus ancienne attestation qu’on a trouvée montre qu’il vient de France, c’est un Français qui l’a d’abord proposé. Donc on pourrait dire que ce n’est même pas un québécisme», s’amuse-t-il.

Pourquoi le terme a eu plus de succès ici qu’en France est un autre mystère à résoudre, bien qu’il soit la raison de cette confusion largement répandue, même si l’équipe du TLFQ n’exclut pas tout à fait que le terme puisse avoir été créé aussi au Québec par la suite.

« C’est un mot très courant, tout le monde connaît ça, donc il fallait le traiter, insiste M. Vézina. On travaille beaucoup maintenant sur ces mots-là, que les gens connaissent. Ils s’attendent à trouver des réponses sur ces mots-là dans le dictionnaire.»

Cette importance, dont il a bien conscience, ne tient pas seulement aux attentes du public, mais à quelque chose qui dépasse le «Dictionnaire historique du français québécois»: c’est de montrer à quel point le vocabulaire peut refléter l’évolution de notre société.

Les mots, reflet de leur société

L’universitaire donne en exemple le terme «habitant», faisant référence à l’origine à des fermiers qui exploitaient leurs propres terres, qui a glissé du valorisant au péjoratif. C’est, dit-il, à partir de l’exode rural que le sens va se retourner complètement et montrer l’évolution des mentalités, qui va associer la ruralité à une image négative à cette époque. Les exemples sont nombreux et tous méritent d’avoir leur entrée dans le DHFQ 2.0 si ce n’est pas encore le cas. «Des québécismes, il y en a des milliers, rappelle le professeur, donc c’est un travail qui pourrait prendre des années. »

Il note d’ailleurs une forme d’injustice dans les pages des dictionnaires: «C’est un peu comme quand on joue au Scrabble. Si un mot ne figure pas dans le dico, pour bien des gens, ça veut dire que le mot n’existe pas, qu’il ne mérite pas d’être dit ou utilisé.»

Or Gros Robert, Petit Larousse et autres poids lourds ou plumes du vocabulaire francophone, à plus forte raison lorsqu’ils sont conçus en France et vendus dans toute la francophonie, n’incluent pas ou presque pas les termes du reste de la francophonie. L’absence d’un mot dans le dictionnaire, explique-t-il, «crée d’entrée de jeu un préjugé défavorable. Ne pas être dans le dictionnaire, pour un mot, c’est comme une semi-condamnation à l’inexistence.» De ce fait, même si des efforts sont faits depuis quelques années pour intégrer de plus en plus de belgicismes, d’helvétismes, de québécismes, etc., Robert Vézina encourage vivement les concepteurs de dictionnaires à en faire plus.

La requête n’est pas des moindres cependant, ce n’est pas lui qui dira le contraire. Avec l’équipe du DHFQ, ils travaillent d’arrache-pied pour introduire toujours plus de nouveaux termes dans leur ouvrage numérique pendant que, selon l’apanage des langues vivantes, de nouveaux québécismes voient le jour. «C’est une entreprise qui n’est jamais terminée. Ça montre que la langue est un être vivant qui bouge toujours.»