Difficile d’instaurer le « jeu risqué » dans nos écoles

Par Marie-Eve Poulin 5:00 AM - 1 mars 2024
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Jeu risqué CPE

Grimper aux arbres et se déplacer en forêt font partie des jeux risqués. Photo Facebook CPE Ritourn’ailes, Merveille et Maisonnette.

Au fil des années, le jeu risqué s’est éclipsé dans les cours d’école pour laisser place à de nombreuses restrictions. La crainte des adultes face aux risques et la responsabilité civile des établissements limitent la mise en place du jeu risqué. Malgré une étude publiée en janvier par la Société canadienne de pédiatrie, énonçant les bienfaits sur la santé physique, psychologique et sociale des enfants, il est difficile d’instaurer le jeu risqué dans nos écoles. Le défi semble cependant plus facile à relever dans les centres de la petite enfance. 

Le milieu scolaire compte son lot de règlements : interdiction de jouer sur la glace, pas de roi de la montagne, modules de jeux et balançoires interdits dès le gel au sol et la liste des restrictions ne cesse de s’allonger au fil des ans.

« C’est en raison des accidents survenus par le passé », dit Richard Poirier, directeur du Centre de services scolaire du Fer. Des accidents, des plaintes et des parents plus craintifs sont majoritairement en cause de cette tournure des choses. « Notre enjeu, c’est la responsabilité civile », dit le directeur. 

Possible, mais…

Il croit tout de même que le jeu risqué est possible sous certaines conditions.

« Dans un contexte où on peut prévenir les blessures potentielles oui, c’est réalisable, mais il faut mettre en place les mesures pour les éviter », dit-il.

Par exemple, augmenter le ratio de surveillants, porter l’équipement nécessaire pour réaliser l’activité. C’est du cas par cas.

« Il faut que les mesures soient validées et assurées », dit Richard Poirier. « Si on ne met pas les mesures en place, on n’est pas couverts. » 

Advenant le cas que toutes les mesures de sécurité soient correctement mises en place, l’activité pourrait être réalisée. « Mais l’activité ne sera pas aussi risquée qu’elle l’aurait été de nature, comme on l’a déjà connu », admet le directeur.

Par exemple, pour permettre aux jeunes de jouer sur une surface glacée, on pourrait exiger le port de crampons, ce qui au final est contradictoire avec l’objectif d’apprivoiser les déplacements sur la glace. 

Malgré la présence d’affiches annonçant la fermeture des aires de jeux, M. Poirier affirme qu’il est possible de faire preuve de souplesse.

« Je vous donne un exemple. S’il tombe quatre pieds de neige molle en dessous d’un module, il pourrait être utilisé cette journée-là », dit-il. « Mais il faut s’assurer que le tout est sécuritaire, pour qu’en cas d’accident, on ne se fasse pas reprocher de ne pas avoir mis les mesures en place pour l’éviter. »

Certains jeux bien appréciés des enfants (Roi de la montagne, lancer des balles de neige, etc.) pourraient être permis occasionnellement, malgré qu’ils soient interdits dans la réglementation de l’école. Les établissements demeurent réticents à faire preuve de souplesse. Le problème avec les permissions occasionnelles, c’est qu’elles pourraient occasionner de la confusion chez les enfants. Ils pourraient croire que la permission est valable à tout moment, chose que les écoles veulent éviter. 

Un gros changement

Geneviève Giroux et Caroline Chouinard, toutes deux ergothérapeutes à Ma clinique de réadaptation à Sept-Îles, croient que les enfants bénéficieraient grandement d’un assouplissement des consignes dans les écoles.

« On a un peu vécu dans la peur, mais il faut en revenir aux bénéfices », disent les deux ergothérapeutes.

Selon elles, il faut accompagner les directions dans le calcul du risque.

« Ils vont vivre beaucoup d’anxiété. Il faut y aller tranquillement pas vite et repousser leurs propres limites », disent-elles. « Ce n’est pas du jour au lendemain que les écoles vont ouvrir les modules de jeux et encourager le jeu du roi de la montagne. »

Elles croient qu’il ne faut pas faire pression, mais plutôt faire l’éducation des bienfaits pour graduellement repousser les limites des zones de confort.

Permis en CPE

Il est plus facile pour les centres de la petite enfance (CPE) d’instaurer le jeu risqué chez les enfants, que dans les écoles. La pédagogie par la nature y est pour beaucoup, puisqu’à l’intérieur des murs du CPE, les règles ministérielles viennent aussi limiter les possibilités de jeux risqués. 

Karina Vigneault, directrice des CPE Ritourn’ailes, Merveille et Maisonnette, croit qu’en CPE, les occasions sont plus nombreuses en ce qui concerne le jeu risqué. Les enfants ont toute la journée devant eux pour explorer et jouer, contrairement à l’école, où le temps de classe prend la majorité du temps.

De plus, la pédagogie par la nature ouvre aux déplacements sur les terrains accidentés et à l’utilisation d’outils comme de petites scies. L’encadrement et le respect des règles de sécurité sont la clé pour une réussite du jeu risqué. Avant une sortie, le terrain est inspecté, le ratio est respecté, les éducatrices ont en tout temps une trousse de premiers soins, etc. 

« On a une saine gestion du risque. L’éducatrice accompagne l’enfant, ils ne sont pas libres de tout faire », dit la directrice. 

En trois ans de pédagogie par la nature, le plus gros « accident » a été une écharde au bout d’un doigt, assure-t-elle. 

Karina Vigneault croit que d’avoir fait la promotion de la pédagogie par la nature et de prendre le temps de bien renseigner les parents dès l’inscription fait en sorte qu’ils se sentent en confiance. Elle n’a jamais eu vent qu’un parent était craintif envers les opportunités de jeux risqués proposées aux enfants. « J’ai même des parents qui demandent à ce que leur enfant puisse intégrer le CPE qui fait des sorties en forêt ». 

La directrice affirme que le ministère est de plus en plus à l’écoute des études sur le jeu risqué, ce qui joue en leur faveur. 

Pas à l’intérieur des murs

« Il n’y a pas beaucoup de prise de risque à l’intérieur de nos murs », dit toutefois Mme Vigneault. Dans la cour, un peu plus et dans la forêt, encore plus. C’est qu’à l’intérieur, tout est selon les normes ministérielles pour que les installations soient sécuritaires pour les enfants. Dans la cour, c’est la même chose, mais les sols amortissants sous les modules de jeux permettent un peu plus le jeu risqué. « On ne laisse quand même pas l’enfant grimper sur le toit du module, mais ils peuvent explorer un peu plus librement. »

Bénéfique pour les enfants

Le 25 janvier dernier, la Société canadienne de pédiatrie a émis des directives en faveur du « jeu risqué ». Les avantages dépassent les risques de blessures et les bénéfices sont importants pour la santé physique, mentale et sociale des enfants, selon l’organisation. Il semble toutefois difficile de mettre en place le jeu risqué dans une société où le jeu structuré et les activités planifiées ont remplacé le jeu libre, à travers le temps. La crainte des adultes et la responsabilité civile des établissements freinent ce mode de jeu essentiel au développement des enfants. 

« Le jeu risqué désigne des formes passionnantes et stimulantes de jeu libre dont l’issue est incertaine et qui comporte une possibilité de blessure physique », peut-on lire dans l’étude. 

On parle de jeux tels que grimper, sauter, glisser, faire du vélo à grande vitesse, utiliser certains outils, jouer près d’un feu, faire de la lutte, explorer la forêt sous une supervision limitée, etc. 

Il est toutefois important que l’adulte soit en mesure de distinguer le risque du danger. Lorsque l’enfant peut reconnaître et évaluer la difficulté pour ensuite opter pour un plan d’action, on parle d’un risque. Un danger est lorsque le risque de blessure dépasse la capacité de l’enfant à le percevoir comme tel. Bien évidemment, le jeu risqué doit être minimalement encadré par un adulte en fonction de l’âge de l’enfant. Il n’est pas laissé à lui-même. L’adulte accompagne l’enfant. Le jeu risqué ne consiste pas à ignorer les mesures de sécurité ni à laisser les enfants sans supervision dans des situations au potentiel dangereux. 

Avantages

Selon l’étude, l’influence de la nature et du jeu extérieur a des effets positifs sur le bien-être et la diminution de la perception du stress. Des impacts sur le système immunitaire ont aussi été démontrés. La santé mentale et les habiletés sociales en retirent aussi des bienfaits. Ils ont une meilleure gestion de leurs émotions, sont plus autonomes, ont une bonne estime de soi et plus de facilité à résoudre les conflits. 

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