Les intellectuels nationalistes conservateurs contre-attaquent

Par La Presse Canadienne 2:38 PM - 18 février 2024
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L’auteur québecois Etienne-Alexandre Beauregard tient son livre “Le retour des Bleus, Les racines intellectuelles du nationalisme québécois” jeudi 15 février, à la bibliothèque de l’Assemblée nationale à Québec. La Presse Canadienne/Karoline Boucher

Les questions identitaires – langue, immigration, laïcité – sont le champ de bataille d’une guerre idéologique au Québec qui oppose les Bleus (les nationalistes conservateurs) et les Rouges (les progressistes libéraux). C’est ce que soutient le jeune intellectuel Étienne-Alexandre Beauregard qui vient de publier l’essai «Le retour des Bleus» où il retrace le parcours idéologique du mouvement nationaliste conservateur et critique les progressistes. L’ouvrage a beaucoup plu au premier ministre François Legault, pour qui l’auteur travaille par ailleurs.

«Être bleu, c’est assumer l’histoire du Québec, depuis la Nouvelle-France jusqu’à nos jours, sans baisser les yeux. C’est faire confiance à la démocratie et au peuple québécois plutôt que de les craindre. C’est défendre un modèle républicain de recherche du bien commun face à l’éclatement multiculturaliste. (…) C’est surtout refuser de baisser les bras au prétexte que la lutte serait perdue d’avance, que les Québécois sont condamnés à disparaître, avalés par un irrésistible ‘‘progrès’’», explique l’auteur dans son livre. 

Étienne-Alexandre Beauregard – qui ne cache pas son parti pris pour le camp bleu – fait débuter cette tradition philosophique avec l’historien François-Xavier Garneau et y inclut des gens comme l’abbé Lionel Groulx, les anciens premiers ministres québécois Maurice Duplessis et René Lévesque ainsi que François Legault. 

L’auteur, qui est aussi rédacteur de discours pour le premier ministre, fait d’ailleurs de la Coalition avenir Québec (CAQ) l’une des principales incarnations du courant bleu actuel au Québec. «Je constate que c’est une réussite de la CAQ que d’avoir fondé sa coalition sur des nationalistes, qu’ils soient souverainistes ou fédéralistes. (…) C’est quand même le parti de la loi 21 (sur la laïcité) et de la loi 96 (sur la protection du français)», soutient-il en entrevue avec La Presse Canadienne. 

Il met aussi le Parti québécois (PQ) dans ce camp et apporte une nuance. Selon lui, on peut être bleu sans être nécessairement souverainiste. «Une de mes thèses fortes, c’est que le nationalisme et l’indépendantisme ne sont pas la même chose», explique-t-il. 

Lors du lancement de son livre à Québec un peu plus tôt cette semaine – et où La Presse Canadienne était présente –, plusieurs élus et ministres caquistes étaient sur place, comme Bernard Drainville, Simon Jolin-Barrette, André Lamontagne et Jean-François Roberge. 

Le premier ministre a également assisté à l’événement et il ne tarissait pas d’éloges pour le jeune intellectuel. «Je vous le dis tout de suite, je suis un fan d’Étienne-Alexandre. (…) Je crois que cette lecture-là devrait être obligatoire pour tous ceux qui font de la politique, qu’ils soient rouges ou qu’ils soient bleus», a lancé M. Legault devant une petite foule réunie au bar l’Atelier sur la Grande Allée mardi. 

«L’homme comme un être sans attaches»

Étienne-Alexandre Beauregard définit ainsi ses adversaires idéologiques: «Du côté rouge, on envisage l’homme comme un être sans attaches, qui se définit avant tout par son individualité. Il penserait d’abord selon son intérêt rationnel et aspirerait à s’affranchir des ancrages qui lui font obstacle dans sa quête de liberté et d’authenticité. (…) Cette vision de la nature humaine rend les Rouges naturellement hostiles au nationalisme», écrit-il. 

«Il y a un véritable souci du monde commun chez les Bleus, que la pensée rouge croit impossible ou oppressif», ajoute l’auteur dans son livre.  

L’essayiste de 23 ans fait remonter la lignée philosophique des Rouges à Lord Durham. «Dès 1839, le progressiste Lord Durham écrivait que les Canadiens français devaient renoncer à leur nationalité au nom du progrès, qu’ils formaient ‘‘une société vieillie et retardataire dans un monde neuf et progressif’’», écrit-il. 

Dans le camp des Rouges, en plus de Durham, on retrouve plusieurs personnalités intellectuelles assez éclectiques comme l’ancien premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau, la chroniqueuse Emilie Nicolas et l’avocat et essayiste Frédéric Bérard. 

Et le jeune auteur ne se retient pas pour les critiquer. Dans un chapitre où il défend le populisme des Bleus, il écrit: «Les Rouges disent craindre la ‘‘tyrannie de la majorité’’, mais ils proposent ironiquement de la remplacer par une tyrannie tout court, soit l’imposition de la volonté d’une minorité à la majorité». 

Il accuse aussi les Rouges de flirter avec l’impérialisme en affirmant qu’au «cœur de l’idée impériale, il y a un constant désir d’expansion et de conquête de nouveaux peuples qui n’ont souvent rien en commun pour les assujettir à un même empire. Pour justifier philosophiquement un tel dessein, on ne saurait recourir à l’anthropologie conservatrice et à l’imaginaire de l’État-nation, qui trace ses propres limites dans la mesure où il vise le gouvernement d’une seule nation par et pour elle-même. L’impérialisme s’est donc historiquement fondé sur une anthropologie progressiste». 

«Pour penser, il faut toujours généraliser»

L’opposition bleu-rouge proposée par Étienne-Alexandre Beauregard, bien qu’elle soit pertinente, manque parfois de nuances. «Pour penser, il faut toujours généraliser. Quand on fait des dichotomies, ce sont des outils pour comprendre, ce sont des idéaux types. Il y a toujours des nuances. Quand je parle des bleus et des rouges, il y a toujours des gens plus modérés et d’autres plus radicaux», explique l’essayiste. 

Et bien qu’il soit un Bleu très critique des Rouges, il se défend d’avoir voulu en faire des hommes de paille, car il les a lus. «Je cite à peu près tout ce que Pierre Trudeau a écrit en matière de textes politiques. J’ai lu le rapport Durham. J’ai lu des livres d’André Pratte, etc.», indique-t-il.  

Il s’agit du deuxième livre d’Étienne-Alexandre Beauregard. Son premier, «Le schisme identitaire», paru en 2022, explorait des thèmes similaires. Avec ce nouvel ouvrage, l’essayiste continue de s’inscrire dans la lignée de jeunes intellectuels québécois inspirés par le sociologue conservateur Mathieu Bock-Côté (un autre auteur très apprécié par François Legault d’ailleurs). Parmi ce courant intellectuel, on peut aussi penser à quelqu’un comme David Santarossa qui a publié le livre «La pensée woke» en 2022. 

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