Montréal et les régions: «Il y a deux Québec», se désole Yves-François Blanchet

Par Michel Saba, La Presse Canadienne 9:40 AM - 14 janvier 2024
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LE Chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet. Photo La Presse Canadienne/Spencer Colby

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, se dit «extrêmement inquiet» lorsqu’il constate que Montréal et le reste du Québec sont en train de «se détacher l’un de l’autre».

«Il y a deux Québec. Malheureusement, c’est en train de devenir vrai», a-t-il déclaré dans une entrevue avec La Presse Canadienne en reprenant les mots d’une question visant à préciser sa pensée.

Il y a d’abord Montréal, «un Québec», qui est en train de devenir «une ville au mieux bilingue, possiblement multilingue, de façon très passive, où l’histoire, la langue, les valeurs, la culture de la très généreuse société d’accueil se marginalisent».

«Et il y a un Québec qui regarde Montréal comme si Montréal est en train de devenir un lieu étranger.»

Déjà, juge-t-il, Montréal n’est plus la deuxième plus grande ville francophone au monde. Dans la métropole, «on abandonne une grande partie de ce que nous sommes au bénéfice de ce qui devrait l’enrichir» plutôt que de l’«intégrer», a-t-il dit.

La situation est «dramatique, (…) très grave», a dit M. Blanchet, confiant en faire de «l’anxiété». «Il faut que ce soit une seule culture, une seule nation, avec toute sa diversité. C’est ça le Québec. Et on est en train d’échapper ça.»

Deux Montréal ?

Pour le professeur de science politique de l’Université de Sherbrooke Jean-François Daoust, qui se spécialise dans les sondages d’opinion publique et le nationalisme, d’un point de vue électoral, «c’est une évidence» que Montréal se distingue du reste du Québec.

Du même souffle, il juge cette dichotomie «simpliste» puisqu’il y a «au minimum (…) deux Montréal» tant les variations y sont «énormes». L’est de l’île tient, dit-il, «un discours» beaucoup plus proche de celui du reste du Québec que l’ouest.

Cela s’explique notamment par les clivages sociodémographiques. La langue, par exemple, est «l’un des plus importants prédicteurs» dans le vote bloquiste.

M. Daoust affirme néanmoins que, dans l’ensemble, les Montréalais se distinguent du reste du Québec par des valeurs et des opinions dites plus progressives ou libérales. «Quand on est plus libéral, on vote davantage pour un parti qui est en ligne avec ces valeurs», a-t-il évoqué.

Son collègue de l’Université Laval, Éric Montigny, nuance cependant que le Bloc n’est pas réputé pour être un parti d’une droite morale. «C’est un parti qui se positionne plutôt à gauche sur le plan social».

De même, il n’est pas non plus résolument de droite économique, si bien qu’un électorat montréalais davantage à gauche ou au centre gauche ne constitue «pas une terre hostile», sans compter que la formation parle beaucoup des questions environnementales qui résonnent bien dans la métropole.

Quant aux réflexions sur le multiculturalisme et l’interculturalisme, le professeur Montigny juge qu’«un des défis d’un chef politique ce n’est pas de jouer à l’anthropologue ou au sociologue, c’est d’essayer de rassembler à travers un discours politique».

«On ne renoncera pas à Montréal»

Le chef bloquiste estime justement que c’est à Montréal que sa formation à le plus de pain sur la planche. «On ne renoncera pas à Montréal», a-t-il insisté.

Le Bloc détient actuellement 32 des 78 sièges au Québec. Or, il n’en a qu’un seul dans la métropole, soit la très francophone La Pointe-de-l’Île qui recoupe essentiellement Pointe-aux-Trembles et Montréal-Est.

Des 17 autres circonscriptions fédérales de l’île, 16 sont libérales et une — Rosemont—La Petite-Patrie — est néo-démocrate.

Alors qu’il s’apprête à souligner mercredi ses cinq ans comme chef, M. Blanchet s’est réjoui d’avoir relevé un parti donné pour mort et a déclaré qu’il aimerait maintenant en faire «sans nuances» la voix du Québec à Ottawa.

C’est que les troupes de Justin Trudeau comptent 35 députés dans la province, trois de plus que les bloquistes qui avaient cependant recueilli davantage de votes.

Devenir le premier parti en termes de sièges implique de réaliser des gains et compenser d’éventuelles pertes aux mains des conservateurs qui, eux, chassent sur les terres bloquistes de l’extérieur de Montréal, a expliqué le professeur Montigny.

Le Bloc doit donc, selon lui, cibler des circonscriptions où il a eu une histoire, une présence. «Et c’est le cas sur l’île de Montréal: à partir de l’est de Montréal jusqu’au cœur de Montréal», insiste-t-il.

Parmi les anciennes percées, il note celle de l’ancien chef bloquiste Gilles Duceppe qui s’était fait élire dans Laurier—Sainte-Marie, une circonscription constituée de portions du Plateau-Mont-Royal. Et même dans les communautés culturelles, Osvaldo Núñez, un candidat d’origine chilienne, s’était fait élire en 1993 dans Bourassa, qui comprend notamment Montréal-Nord.

Le professeur Daoust prévient cependant que le territoire où le Bloc peut espérer faire des gains «recule de plus en plus vers l’Est» et ne serait «certainement pas» plus à l’Ouest que dans ses meilleures années où il détenait jusqu’à sept circonscriptions au terme d’élections générales.

Historiquement, le BQ a aussi détenu, parfois fort brièvement, certaines circonscriptions, comme Rosemont—La-Petite-Patrie, Hochelaga-Maisonneuve, Ahuntsic, Papineau, Anjou-Rivière-des-Prairies ou Jeanne-Leber.

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