2023: L’année de Paul St-Pierre Plamondon

Par Thomas Laberge 11:20 AM - 27 décembre 2023 La Presse Canadienne
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Le chef du Parti québécois Paul St-Pierre Plamondon joue avec un ballon de football dans le couloir lors d'une entrevue le jeudi 9 novembre 2023 à l'Assemblée législative à Québec. Photo Jacques Boissinot, La Presse Canadienne

Remontée fulgurante dans les sondages, victoire sans appel dans Jean-Talon, budget de l’an 1: l’année 2023 a été faste pour le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon qui a réussi à remettre son parti sur la carte. Mais comment l’homme de 46 ans, qui se décrivait comme un orphelin politique il y a encore quelques années, ambitionne maintenant de faire du Québec un pays? La Presse Canadienne trace un portrait de celui dont le surnom est désormais «PSPP». 

Lorsqu’il joue au football dans sa jeunesse, Paul St-Pierre Plamondon est du genre à foncer tête première. «Mon coach disait de moi: “C’est pas le plus gros, mais c’est lui qui frappe le plus fort”», raconte-t-il en entrevue à La Presse Canadienne. Sa témérité lui vaudra toutefois plusieurs blessures et commotions cérébrales. 

Faire des sports de compétition – il joue aussi au tennis – est un apprentissage qui lui sert encore aujourd’hui en politique. «Mais il n’y a rien de plus extrême que la politique», assure le chef péquiste, bien calé dans un fauteuil de son bureau de l’Assemblée nationale. PSPP en sait quelque chose: ses premiers pas en politique seront tout sauf un long fleuve tranquille. 

Son arrivée dans la première course à la chefferie du PQ en 2016 en a heurté plusieurs. Il reçoit un accueil «glacial» de la part de gens du parti. «Il se racontait toutes sortes de rumeurs sur moi, comme quoi j’étais un émissaire des fédéralistes», relate-t-il. Quelqu’un a même vandalisé sa voiture après un rassemblement militant. «Tout mon char avait été “scratché” avec une clé.»

C’est que PSPP est nouvellement péquiste et souverainiste. Dans le passé, il a critiqué le Parti québécois (PQ) et le projet d’indépendance.

Des chroniqueurs critiquent aussi son choix de se lancer dans la course pour succéder à Pierre Karl Péladeau. «Ce monsieur sorti de nulle part aspire à devenir chef d’un parti que les membres n’ont jamais entendu parler, ni vu aux instances, aux réunions et aux assemblées», écrit le chroniqueur Léo-Paul Lauzon dans le «Journal de Montréal» dans un texte vitriolique. 

Sans expérience politique, il est bien conscient qu’il a peu de chance de l’emporter. «Mon équipe, c’était genre trois chums dans mon salon», raconte PSPP en riant. Mais il n’a rien à perdre, si bien qu’il décide de demander conseil à France Amyot. Seul hic, elle est la directrice de campagne d’un adversaire dans la course, Jean-François Lisée.

«Je trouvais ça assez particulier. […] Je me suis dit: “il est nouveau là-dedans, il a une espèce de naïveté”. Mais en même temps, j’ai trouvé ça tellement intéressant», explique celle qui est aujourd’hui la directrice de cabinet de Paul St-Pierre Plamondon.

De voir cet inconnu se lancer dans la course malgré son passé fédéraliste n’a pas fait sourciller Jean-François Lisée à l’époque. En entrevue, il rappelle la célèbre phrase de Jacques Parizeau: «Que le dernier entré laisse la porte ouverte, s’il vous plaît».

«Je trouvais ça extrêmement audacieux. Le gars n’avait même pas sa carte de membre», lance Jean-François Lisée. Le jeune politicien a effectivement pris sa carte du PQ seulement quelques jours avant de se lancer officiellement dans la course. Jean-François Lisée remporte finalement la chefferie, alors que PSPP termine dernier avec le score honorable de 7 %.

Malgré la défaite, il fait bonne impression, si bien que le nouveau chef péquiste lui donne le mandat de consulter les Québécois pour comprendre comment relancer le PQ. Encore une fois, il aura droit à une leçon de politique en accéléré. 

«Je me suis fait engueuler pendant une heure»

Son rapport «Oser repenser le PQ» aura l’effet d’une bombe. On y retrouve des constats sévères: le PQ serait notamment devenu un parti «vieillissant», «figé» et «conservateur». Rien pour plaire à l’establishment péquiste. 

Il est rapatrié d’urgence pour s’expliquer au caucus. «Tout le monde se levait pour me rincer les uns après les autres. Je me suis fait engueuler pendant une heure», relate-t-il. 

«Ç’a été un exercice tellement difficile pour Paul, car il arrivait avec des constats sévères et il y avait des gens qui n’étaient pas contents et qui le lui ont fait savoir autour de la table du caucus», explique France Amyot.

Dans son livre «Rebâtir le camp du Oui», PSPP raconte avoir dû passer de «longues soirées» à appeler des présidents de circonscription pour s’excuser de son rapport. «J’ai été exclu du congrès qui allait trancher sur le rapport “Oser repenser le PQ”», dit le chef péquiste en entrevue. 

D’orphelin politique à premier ministre? 

De son propre aveu, rien ne prédestinait celui qui a étudié à Oxford et à McGill à devenir un «militant indépendantiste engagé au Parti québécois». Toute sa famille a voté «Non» en 1995, sauf lui (il a 18 ans au moment du premier référendum). Il rejoint ensuite le camp fédéraliste. Dans son livre «Des jeunes et l’avenir du Québec» publié en 2009, il accuse le projet d’indépendance d’avoir «scindé le Québec en deux».

L’animatrice Marie-France Bazzo le voit aller avec son groupe «Génération d’idées» – un regroupement non partisan fondé en 2008, visant à intéresser les jeunes au débat public – et le recrute pour son émission comme chroniqueur. Il y participe durant six ans. 

Un autre collaborateur de l’émission, Vincent Marissal – alors chroniqueur à La Presse –, s’étonne du choix de Paul St-Pierre Plamondon lorsqu’il se lance dans la première course. «PSPP n’a jamais été membre du PQ (il affirme avoir été fédéraliste, avant de devenir “fédéraliste déçu”), il avait hier pour ce parti des critiques très dures et il est totalement inconnu dans les rangs péquistes», écrit-il en 2016. 

Encore aujourd’hui, celui qui est devenu député solidaire de Rosemont ne comprend pas complètement le choix de son collègue. «Son discours a changé, il est devenu beaucoup plus militant. C’est normal, sinon il ne serait pas à sa place, mais il a vraiment bu le “Kool-Aid” […] et je ne sais pas où son passage s’est fait», explique-t-il au bout du fil. 

D’autres y ont simplement vu la suite logique de son implication. L’actuelle directrice générale du PQ, Génifère Legrand, a connu Paul St-Pierre Plamondon au moment de «Génération d’idées». «Il a toujours eu à cœur le bien-être du Québec. La capacité du Québec de prendre sa propre décision», assure-t-elle.

Questionné sur sa décision de joindre le Parti québécois plutôt que d’en fonder un autre, PSPP parle aujourd’hui d’une décision pragmatique. «Le nouveau parti, c’est toujours la promesse des idéaux de tout le monde sans compromis […] mais ce n’est pas ça la réalité», explique-t-il. 

En 2016, il réalise que c’est le Parti québécois qui le rejoint sur l’essentiel. «Et mes désaccords pointus, je vais aller les dire dans la course à la chefferie», dit-il en précisant que la décision de se lancer s’est faite sur un coup de tête. 

Et l’essentiel, c’est aussi l’indépendance. En 2007-2008, alors qu’il est avocat chez Stikeman Elliott, Paul St-Pierre Plamondon travaille sur des poursuites découlant du scandale des commandites. Il raconte dans son troisième livre avoir eu accès à des documents confidentiels du gouvernement fédéral et des témoins de la commission Gomery. Son devoir de confidentialité l’empêche toutefois de donner les détails, mais il écrit que ce qu’il a observé à l’époque «a influencé à jamais» sa vision du Canada.

Des rencontres avec plusieurs indépendantistes, comme Joseph Facal, Camil Bouchard ou encore Jacques Parizeau à Bazzo.tv, vont aussi l’inciter à revenir dans le giron souverainiste. 

«Le jour, j’étais confronté au scandale des commandites dans ma job, et le soir, je parlais avec des indépendantistes qui ont consacré leur vie à ça», explique-t-il. 

En octobre 2011, PSPP fait installer 260 balais devant l’Assemblée nationale pour réclamer une enquête publique sur la corruption dans la construction. Cette «opération Balais» va également contribuer à sa conversion vers l’indépendantisme. 

Bien qu’elle aussi ait de la difficulté à bien saisir le cheminement de Paul St-Pierre-Plamondon vers l’indépendance et le PQ, Marie-France Bazzo dit aujourd’hui ne pas être surprise d’où il est rendu. «Paul, c’est quelqu’un qui cherche un aboutissement aux idées. L’histoire doit avoir un sens», dit-elle en entrevue. 

PSPP affirme que sans Marie-France Bazzo, il ne serait pas devenu chef du PQ. «Elle m’a ouvert une porte qui a fait en sorte que je suis devenu très actif et ça m’a amené où je suis rendu. Elle a également dit dans son émission qu’un jour j’allais être premier ministre.» 

Aujourd’hui, Marie-France Bazzo doute que le Parti québécois soit la meilleure formation politique pour que PSPP accède à la plus haute fonction de la politique québécoise. «Très franchement, je crois encore qu’on aurait besoin d’un leader comme lui à la tête du Québec, mais honnêtement, il a beau être au PQ, je ne sais pas encore dans quel véhicule ni par quel chemin il va s’y rendre», affirme-t-elle au bout du fil. 

Ouragan 

Succéder à des gens comme René Lévesque et Jacques Parizeau n’est pas une mince tâche et PSPP en est bien conscient. «Il est perfectionniste et exigeant avec lui-même», explique Génifère Legrand.

Le chef péquiste admet qu’il prend son rôle très à cœur. «On ne peut pas me qualifier de cynique. J’ai tendance à prendre tout au premier degré», dit-il, ajoutant qu’il apprend de plus en plus le laisser-aller. 

Mais ceux qui le connaissent hors de la joute partisane savent qu’il est capable de lâcher son fou… et parfois peut-être même un peu trop. 

Dans l’autobus, après une journée intense de campagne électorale en Gaspésie, Paul St-Pierre Plamondon s’adonne à l’un de ses passe-temps favoris avec le candidat péquiste Pascal Bérubé: le karaoké. France Amyot comprend que son chef a besoin de décompresser, mais trouve que le party est pogné pas mal fort, surtout que les journalistes qui couvrent le PQ sont présents dans le même autobus. 

«Ça n’avait vraiment pas de bon sens. J’ai bousculé la porte et je les ai regardés comme des enfants d’école et j’ai dit: ”Arrêtez!”» relate-t-elle. 

«Pascal Bérubé pis moi on avait l’air de deux petits gars de 10 ans qui disaient: “Ok, on ne le fera plus”», se rappelle le chef péquiste. 

Sa passion pour le karaoké remonte à bien plus loin. Alors qu’il est jeune avocat, son collègue, un certain Marc Tanguay (aujourd’hui chef libéral), se souvient être tombé des nues quand PSPP s’est mis à chanter la chanson de la série «Démétan la petite grenouille» dans la langue originale, c’est-à-dire en japonais. «On avait tous les visages éberlués. Ça sonnait comme la toune et il la faisait avec passion.» Le principal intéressé indique qu’il chantait plutôt au son. 

Durant l’entrevue avec La Presse Canadienne, le chef péquiste ne peut d’ailleurs s’empêcher d’interpréter un autre de ses succès de karaoké: «Ouragan», de Stéphanie de Monaco. 

Déjouer les pronostics

La deuxième course à la chefferie du PQ en 2020 sera bien différente de la première pour PSPP. Avant de se lancer, il rencontre une quinzaine de péquistes dans un sous-sol de restaurant. «On demande à ma femme Alexandra et moi de se présenter à cette chefferie-là. Et la décision revenait essentiellement à ma femme.»

Paul St-Pierre Plamondon accorde beaucoup d’importance à l’opinion d’Alexandra, qui l’accompagne depuis 2012. Au début de la chefferie, un sondage suggère qu’il a bien peu de chance de gagner. Le couple est alors dans un motel à Gaspé et sa femme est à deux semaines d’accoucher de leur deuxième enfant. 

Découragé, l’aspirant chef lui demande s’ils ne seraient pas mieux de tout abandonner. «Et ma femme me répond: “Paul, on a pris la décision de faire ça et on va le faire jusqu’au bout pis j’accoucherai quand j’accoucherai”», relate-t-il. Maurice voit finalement le jour durant la course.

«Son épouse Alexandra l’appuie à 150 %. J’ai rarement vu un couple aussi soudé dans la décision de faire une vie politique en même temps que familiale», confirme l’ancien chef péquiste Jean-François Lisée, qui le conseille de temps à autre.

Paul St-Pierre Plamondon causera finalement la surprise et deviendra le dixième chef du PQ, au terme d’une longue course marquée par la pandémie de COVID-19 et le confinement. 

Le chef péquiste apprécie visiblement l’exercice de replonger dans ses souvenirs et n’hésite pas à prolonger l’entrevue pour ajouter des détails, bien qu’il soit attendu ailleurs. 

Autour de lui, dans son bureau bordélique, plusieurs reliques commémorent des moments marquants de son parcours atypique: une photo de René Lévesque; une biographie du roi Charles offerte par le chef libéral Marc Tanguay; une couverture personnalisée de la bande dessinée Paul qui «remercie des dépliants» (une référence à sa victoire inattendue dans la circonscription de Camille-Laurin).

Depuis son élection comme chef, PSPP n’a cessé de surprendre et de déjouer les pronostics, comme lors de l’abolition du serment au roi. «Ce n’est pas parce que c’est un tacticien génial. C’est parce qu’il croit dans ce qu’il fait malgré la difficulté qui est devant lui», analyse Jean-François Lisée.

Alors que le PQ a pratiquement été rayé de la carte en 2022, certains pensent aujourd’hui que PSPP est en train de devenir l’alternative au premier ministre François Legault, malmené dans l’opinion publique.

«Les notions de possible et d’impossible en politique sont invraisemblablement flexibles et élastiques», philosophe le chef péquiste.