Jean-Yves Noël, un pionnier du Complexe hydroélectrique La Romaine

Par Sylvain Turcotte 5:00 AM - 26 octobre 2023
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Photo courtoisie

Jean-Yves Noël, un pilier du volet santé-sécurité au travail au Complexe hydroélectrique La Romaine. 

Jean-Yves Noël, numéro d’employé 558 pour le chantier/complexe hydroélectrique La Romaine. Depuis le début des travaux en 2009, le projet a généré plus de 14 000 emplois directs et indirects. Le Septilien y était au jour 1, même avant. Il y est encore, animé par la passion. « J’ai l’âge de mes histoires ! », dit-il. 

Le complexe hydroélectrique situé dans l’est de la Minganie a été inauguré il y a deux semaines. Les turbines sont en fonction. La construction s’est déroulée entre 2009 et 2023, au coût de 7,4 milliards $.

Pour les mois à venir, ce sont les « touski », ce qui reste comme travail aux alentours ; l’embellissement du site, la plantation d’arbres, l’asphaltage, rebâtir le milieu après l’avoir détruit par obligations. Des bâtiments sont déjà en processus de démolition, d’autres serviront ailleurs, notamment à Fermont et en Beauce.

Jean-Yves Noël en a plus de faits sur le site que ce lui reste de travail à La Romaine, site de sa deuxième famille. Il y aura été opérateur (de machinerie lourde), délégué de chantier et coordonnateur pour la FTQ. Ils sont environ 125 employés encore là-bas. Il quittera dans les prochaines années avec le dernier travailleur.

L’homme maintenant âgé dans la soixantaine est là depuis même au-delà du commencement du chantier, il a travaillé au niveau des relevés techniques en 1975, lorsque le projet ciblait Churchill Falls, au Labrador, et La Romaine.

Depuis 2016, il est le représentant en santé-sécurité du travail. Un poste qu’il a pris après un quatrième décès sur le chantier, les deux derniers en l’espace de quatre mois.

« Pour moi, ç’a été un défi. Il a fallu que je bâtisse mon travail. Il n’y avait pas trop de modèles sur un chantier éloigné. Un chantier éloigné, c’est une communauté. Tu vois les personnes, tu vis avec elles », explique-t-il. « Je me souviens du dernier décès (Luc Arpin – décembre 2016) qu’il y a eu, tu rentres à la caf (cafétéria), tout le monde a la tête basse, c’est un de leur famille qui est parti. Pour Steeve Barriault (mars 2015), un ami, sa famille m’a demandé de bâtir une équipe [de porteurs de cercueil] pour la cérémonie. »

« Dans mon travail, je parle de ces gens régulièrement. Quand quelqu’un me dit qu’il n’y a pas de problème, je dis qu’on avait quelqu’un d’extrêmement compétent et c’est arrivé. Aujourd’hui, on est ailleurs. J’ai assisté aussi au virage santé sécurité à Hydro-Québec. On a pratiquement arrêté le projet », soutient le Septilien. Jean-Yves Noël a d’ailleurs été récompensé l’an dernier, dans la catégorie Leader aux Grands Prix CNESST.

Une firme externe a posé un diagnostic comme quoi toutes les cinq heures, il y avait possibilité d’accident grave ou mortelle sur le chantier. « On a réappris à travailler de la bonne façon », dit-il. « Il n’y a pas de plaisir à construire et que des gens meurent. On peut tout faire ça correctement. »

Un legs

Le Complexe La Romaine, mené à terme, représente beaucoup pour le Septilien. « Je revois la vie, les travailleurs. C’est le début de la fin. Ma perception : quitter c’est très facile, rester et essayer d’évoluer puis régénérer là-dedans c’est mon défi personnel. J’ai une satisfaction qu’on l’a apporté [le projet] », affirme M. Noël. « En même temps, je pense à mes confrères qui sont partis et aux travailleurs qui ont passé là, j’ai un peu de tristesse, je suis un peu déchiré. La fierté du projet, c’est de l’avoir livré correctement et d’avoir bâti des façons de faire pour les autres projets à venir », poursuit-il, rappelant aussi que les équipes ont été frappées solidement par le contexte de la COVID. La fin de La Romaine, il le voit comme le début de quelque chose pour les travailleurs qui se disent angoissés. « Ce qu’on a appris ici, il faut l’apporter ailleurs. Je dois les garder ancrés jusqu’à la fin. »

Il soutient que le projet La Romaine en est un positif, « mais ça prend une table [de concertation] pour regarder ce qui est vraiment bon et ce qu’on aurait pu faire de mieux, un constat pour les projets à venir. Hydro-Québec a besoin de nous pour développer. Il faut laisser des traces pour ceux qui prendront la relève. »

M. Noël remercie aussi sa famille qui l’a épaulé, qui ne lui a jamais dit qu’il était toujours parti. « Mes enfants ont grandi, mais à tous les soirs à 7 h, je leur parlais. Ils m’ont laissé vivre ces choses-là. Je vais trouver un moyen de leur dire merci un jour. »

En hommage

Dans la prochaine année, Jean-Yves Noël compte rendre hommage à ceux qui sont partis et remercier ceux qui sont restés. « Quand les accidents [décès] sont arrivés, les familles disaient sortez d’ici, tu vas mourir là-bas. Non, il faut rester, on va prendre les moyens qu’il faut. Si vous vous en allez tous, on recommence avec du monde qui arrive. Ça prend des historiques pour travailler. Tu peux changer les choses, mais il faut comprendre pourquoi on les fait de telles façons. »

Il travaille pour ériger un monument au KM 1, qui servira aussi de lieu de recueillement. Ce sera un hommage à Jean-Yves Oaks, Dany Burgess et Germain Vaillant, décédés le 1er septembre 1975 lors de l’écrasement d’un avion lors des relevés techniques. Dans les années de la construction lancée en 2009, quatre travailleurs ont perdu la vie, Gaétan Saucier (9 février 2010), Steeve Barriault (11 mars 2015), Alex-Antoine Proulx (16 août 2016) et Luc Arpin (9 décembre 2016).

Cinq moments marquants pour M. Noël

1. La première pelletée de terre lors de la présence de Jean Charest. « Steeve Barriault était à bord à La Romaine 2. Quand je revois ça, je parle à mon chum, il rêvait d’un avenir là-bas. »

2. Le virage santé sécurité pour le bien-être des travailleurs qui ont construit le Québec.

3. Son entrée en poste en santé-sécurité. « Je peux peut-être faire la différence. On ne sait pas si on a évité un accident, mais la chose qu’on est sûr c’est qu’il n’y en a pas eu (depuis). »

4. « Avoir pu développer ma passion dans mon métier, dans ce que j’aime. J’ai eu la chance d’évoluer dans ça pour le meilleur et pour le pire. » Il sent la passion des autres employés et il les valorise. Il parle de « Coup de cœur » en prenant quelqu’un qui a un rôle dans l’ombre et lui dit merci. « Que tu beurres des toasts le matin, ce n’est pas valorisant, mais ta façon de le faire, et de dire merci, tu fais bien ça, et ton sourire donne le goût d’aller travailler. »

5. « L’amour du métier. J’aurais pu gagner ma vie ailleurs, ce n’est pas une question de salaire. La fierté de terminer et livrer ce projet au Québec et de motiver les gens pour rester là. »

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