Des grand-mamans innues veulent «guérir» leur communauté

Par Emy-Jane Déry 5 septembre 2017
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La marche des grand-mères. (Photo : Le Nord-Côtier)

Des grand-mères de Uashat mak Mani-Utenam marquées par les abus vécus en pensionnat marcheront dans l’espoir de guérir leurs petit-enfants qui vivent, encore à ce jour, les conséquences de ce terrible fléau.

L’histoire de Jeannette Vollant ressemble à celle de bien des familles innues. Déracinée de son village natal, elle a été envoyée au pensionnat, où on lui a coupé ses longs cheveux puis interdit de parler sa langue. On a caché sa petite valise de vêtements pour lui imposer un uniforme. On l’a violentée et abusée sexuellement.

«Ça se passait à la cordonnerie, où il y avait des fournaises, même dans la classe, ou au dortoir», se souvient-elle avec douleur, aujourd’hui âgée de 70 ans.

Maintenant arrière-grand-mère, elle a vu les impacts de ses traumatismes affecter ses enfants et ses petits-enfants. Plus jeune, elle a consommé avec son mari. Il y a eu de la violence et les enfants ont été placés dans des familles d’accueil.

«On se sentait coupable de ne pas avoir été capable d’élever nos enfants, de leur inculquer notre spiritualité, nos coutumes, nos croyances…Parce qu’on ne savait même pas, c’était quoi», a expliqué Mme Vollant. «On nous a appris une autre méthode de penser, de vivre. Nous avions comme deux identités et nous étions mêlés dans tout ça», a-t-elle illustré.

Le chemin de la guérison a été long pour Jeannette Vollant, qui aujourd’hui, s’inquiète pour les jeunes de sa communauté. Elle ressent de la culpabilité lorsqu’elle constate que les conséquences de ses traumatismes sont intergénérationnelles.

«Ils consomment beaucoup de petites pilules, de la drogue, la boisson, il y a de la violence. Ils s’entretuent à coup de poignard, c’est terrible ça», a-t-elle déploré, alors qu’un jeune de 23 ans est mort poignardé en juin, à Uashat mak Mani-Utenam.

Marche symbolique

Avec trois autres grand-mères de sa communauté, elle organise une marche symbolique qui prendra départ sur le site de l’ancien pensionnat de la réserve de Mani-Utenam et qui se terminera un peu moins d’une dizaine de kilomètres plus loin, à la pointe de Moisie, où les Innus habitaient dans des tentes avant la création des réserves. L’événement se tiendra le 22 septembre. Des cérémonies traditionnelles et un repas communautaire auront lieu à l’arrivée.

«On va retourner d’où on vient. On a eu mal ici, on va se guérir ici», a dit Mme Vollant.

La «marche des grand-mères», dites «kukuminash» en Innue, vise surtout à rassembler les membres de la communauté pour favoriser le dialogue sur les souffrances de chacun et ainsi initier la guérison.

Des intervenants du milieu de la santé seront présents pour épauler les participants qui décideront de témoigner.

«On parle beaucoup des Innus qui ont connu des sévices, qu’on veut la réconciliation avec la commission et tout ça. Mais nous, il faut qu’on se guérisse avant de se réconcilier avec le Blanc», a dit Mme Vollant.

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