Val-d’Or : La mémoire des Innues remuée

Par Fanny Lévesque 28 octobre 2015
Temps de lecture :
Mike Mckenzie

Photo prise le 9 mai de la route 138 à 20 kilomètres à l’est de Baie-Johan-Beetz.

Le reportage de l’émission Enquête, où des femmes autochtones de la région de Val-d’Or allèguent avoir été victimes d’abus par les policiers de la Sûreté du Québec continuent à faire couler l’encre, une semaine après sa diffusion.

Sur la Côte-Nord, leurs témoignages ont réveillé de vieux démons. Trois Innues de la Côte-Nord ont tenu à se confier au Journal et ainsi faire parler leur mémoire, silencieuse depuis des dizaines d’années. Puisqu’elles songent à porter plainte, elles ont choisi de préserver leur anonymat.

Réunies dans un salon de Uashat, elles allument de la sauge qu’elles font bruler un peu avant de disperser la fumée autour d’elles, un rituel autochtone qu’elles ont tenu à faire avant de retourner dans leur dur passé.

Mme Jourdain* est à la première à prendre la parole. «J’avais le goût de vomir, le cœur me levait». Le reportage d’Enquête a remué en elle un vieux souvenir d’il y a trente ans. Elle allègue qu’elle et sa sœur ont été abusées par un policier à Schefferville, à la sortie d’un bar. «On avait bu, il nous a amenés au poste».

«J’étais dans une cellule et ma sœur dans l’autre, il était avec elle. Elle criait, pleurait (…) J’avais vécu des abus dans ma jeunesse et je savais ce que ma sœur était en train de vivre, je ne voulais pas ça». Après un long silence, elle reprend. «Un moment donné, il est venu m’ouvrir la porte, il m’a taponné les seins, j’étais comme figée».

«J’ai eu très peur, confie-t-elle les sanglots dans la voix. Il m’a dit : «tu sors», il a fait la même chose avec ma sœur, même la sortie c’était très humiliant, je ne pense pas qu’on a touché à terre». Peu de temps après, Mme Jourdain quitte Schefferville, laissant derrière elle son passé. «C’est la première fois que j’en parle aujourd’hui».

 «Ma vie a été un enfer après, je consommais, je consommais (…) J’ai fait une tentative de suicide, j’ai été dans le coma pendant trois jours. En me réveillant, j’ai entendu ma fille me dire qu’elle avait besoin de moi. C’était la première fois que je sentais que j’étais d’une certaine façon importante pour quelqu’un».

C’est à ce moment que Mme Jourdain a traversé la tempête qui l’habitait. «J’ai travaillé sur moi pour être capable de vivre et pas juste survivre». Elle parle maintenant pour sa petite-fille. «Je peux pas croire que j’entends des histoires comme ça, en 2015».

La barrière forte de la peur

Depuis la diffusion de l’émission Enquête, Geneviève* a été replongée dans un profond questionnement. Dans son cas, les autorités attendent son feu vert pour entamer des procédures contre son présumé agresseur, son professeur de l’époque.

«Toutes les démarches sont faites, la plainte est déposée, la police m’a rappelée et ça fait trois mois que je ne suis pas capable de prendre une décision», lance-t-elle.

«J’ai peur qu’on me reconnaisse, qu’on me dise que je n’ai pas assez d’éléments, j’ai peur de perdre, c’est tout ça mon inquiétude»

Il y a une vingtaine d’années, son enseignant, un autochtone, l’aurait amené dans le bois pour lui demander «de faire quelque chose». Encore aujourd’hui, elle peine à mettre des mots sur l’abus dont elle aurait été victime. «Quand je me parle, je me dis : j’avais 15 ans, il n’avait pas le droit, il était en position d’autorité».

«(Les abus) c’est tellement banalisé, qu’on se banalise en tant que personne, on va vivre avec ça, en niant (…) C’est de la honte qu’on vit», poursuit-elle.

 La confiance brisée

Shayanna* salue pour sa part le courage des femmes de Val-d’Or qui ont pris la parole en public. «Ça prenait ça pour avoir une sorte de libération», assure-t-elle. L’Innue dit avoir été confrontée à un très jeune âge à des actes de racisme dans les bars, il y a plusieurs années. Une grande colère a grandi en elle, à l’époque.

Selon elle, les autorités ne mettent pas les autochtones sur le même pied d’égalité. Elle raconte un épisode où elle aurait été victime de viol par un homme de la communauté. «Le médecin m’a incitée à porter plainte». Ce qu’elle a fait, mais après quelques mois, elle aurait été incitée à abandonner ses démarches par manque de preuve, ce qu’elle attribue au fait qu’elle soit autochtone.

«Il faut qu’on se lève, il faut que ça s’arrête. Mon souhait, c’est qu’on soit bien dans notre peau», assure celle qui affirme avoir pris sa vie en main, il y a huit ans.

Jeudi à 18h, une vigie est organisée à Uashat en soutien aux femmes de Val-d’Or et à toutes les autres, qui ont été d’une façon où l’autre, victimes de violence et d’abus.


(Photo: Le Nord-Côtier)

Partager cet article