Un projet autochtone innovateur soulève inquiétudes et préjugés

Par Mathieu Morasse 10:14 AM - 2 juillet 2019
Temps de lecture :

Le projet pilote de résidences autochtones étudiantes est développé par le RCAAQ avec divers partenaires locaux comme le Centre d’amitié autochtone de Sept-Îles (sur la photo), la Ville de Sept-Îles, le Cégep et les commissions scolaires.

Un projet pilote de résidences étudiantes près du Cégep de Sept-Îles destinées aux autochtones souhaitant retourner aux études a soulevé les craintes – emplies de préjugés – d’une quarantaine de citoyens venus rencontrer les promoteurs le 25 juin lors d’une séance d’information préliminaire.

Le projet évalué entre 8 à 10 M$ consiste à construire 32 unités de logement de différentes grandeurs pour accueillir les raccrocheurs autochtones de la Côte-Nord et de toutes les communautés du Québec. Il est pensé pour accueillir les étudiants, mais aussi leurs conjoints et leurs enfants. Il est mené à Sept-Îles et Trois-Rivières par le Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) sur mandat du ministère de l’Éducation.

Les résidences seraient situées près du Cégep, sur les terrains vacants entre la rue Holliday, la rue Denis-Perron, l’ancienne salle de quilles et la maison du 263, Holliday. Le complexe comprendrait des aires et services communs comme une garderie, un gymnase ou un parc.

Tanya Sirois, directrice générale du RCAAQ, a donc organisé la rencontre du 25 juin pour consulter les futurs voisins avant de faire préparer les plans et esquisses.

«Ça n’existe pas, on trace un sentier qui n’est pas déblayé encore. On s’en va dans l’innovation», lance-t-elle fébrilement.

Elle était accompagnée de la coordonnatrice du projet, d’un consultant, de la directrice du Centre d’amitié autochtone de Sept-Îles (CAASI), d’une administratrice du CAASI ainsi qu’un architecte.

Des préjugés tenaces

Tanya Sirois se réjouit que la rencontre ait permis d’expliquer le projet aux personnes sur place et de recueillir leurs idées et préoccupations. Elle se désole toutefois de l’attitude fermée de plusieurs personnes face à la venue de familles autochtones dans le quartier du haut Sainte-Famille.

«Les préoccupations au début étaient vraiment en lien avec le projet. Mais après, je me suis rendu compte qu’il y avait des choses pas en lien avec le projet. On parlait vraiment de la question autochtone, de pourquoi les gens ne restent pas sur leur communauté, de pourquoi ils ne s’intègrent pas comme tout le monde», relate la directrice du RCAAQ.

Par exemple, certains craignaient une hausse du taux de criminalité, une perte de tranquillité, voire une baisse de la valeur de leurs résidences.

«Depuis 2015-2016 au Québec, suivant la crise de Val-d’Or et les diverses commissions et enquêtes, je me disais qu’il y avait sûrement des préjugés qui étaient tombés. Je pensais que les gens auraient une meilleure connaissance du contexte historique qui fait que les populations autochtones vivent avec les conséquences de certaines politiques mises en place depuis 100, 150 ans», soupire l’Innue originaire de Pessamit.

La Ville de Sept-Îles appuie le projet. Le maire Réjean Porlier, qui assistait à la rencontre, s’est également insurgé contre l’accueil fait au projet et à ses promoteurs. Voici copie de sa lettre ouverte publiée sur Facebook.

Sentiments partagés

Aujourd’hui (26 juin), mes sentiments étaient partagés.

J’aurais dû être heureux, la députée fédérale, Mme Gill, me décernait une médaille, parce que disait-elle, elle avait été témoin de mes efforts pour réunir les différents acteurs de la région, autochtones et allochtones, pour enfin pouvoir défendre efficacement nos dossiers régionaux, dont notre désenclavement.

En même temps, nous faisions la manchette, affichant notre fermeture à un projet déposé par les Centres d’Amitié Autochtones.

Je suis bien attristé de cette histoire et il est clair que nous accompagnerons ce projet jusqu’au bout, peu importe l’endroit où il atterrira.

Que veut dire le terme réconciliation si personne n’en est responsable. Qui connaît moindrement l’histoire sait que nous sommes débarqués ici, avons profité de l’hospitalité des peuples autochtones, les avons confinés dans les réserves pour mieux disposer des ressources naturelles dispersées ici et là sur leur territoire.

Ensuite, nous les avons regardés de haut en leur reprochant d’être là dans ces réserves où nous les avions confinés à ne rien faire.

Dernière partie de l’histoire, lorsqu’ils décident de sortir de ce mauvais rôle et prendre leur place dans ce modèle que nous leur avons imposé, comble du malheur, on leur reproche de vouloir prendre nos jobs et leur part de l’économie.

En parallèle de tout ça, on leur enlève leurs enfants pour les placer dans les orphelinats, on ferme les yeux sur la disparition et la violence faites aux femmes autochtones, etc., etc., etc.

Après tout ça, parler de raciste du bout des lèvres, qu’est-ce que ça veut dire? Le racisme, il est systémique et perdure depuis des décennies. Quand j’entends: ils n’ont qu’à faire comme nous! S’ils avaient fait comme nous et nous avaient servi cette médecine, ferions-nous preuve de cette même résilience ou serions-nous là à espérer, voire exiger qu’enfin on nous laisse notre chance?

Malgré tout ce que je viens d’énumérer, ces gens, nos voisins, nous accueillent à chaque occasion et nous offrent le repas qu’ils ont préparé, parce que l’hospitalité, c’est dans leur nature.

Nous avons tout un chacun l’occasion de participer à cette réconciliation ou entretenir le préjugé.

Hier, j’ai vu cinq personnes dédiées à l’amélioration des conditions de vie des familles autochtones sortir complètement bouleversées de cette rencontre où on leur a livré ce message: vous avez un beau projet, mais trouvez un autre endroit pour le faire.

Aujourd’hui, c’est tout le Québec qui regarde ce que nous allons faire de ce projet pilote que tous nous voulons exemplaire et respectueux des préoccupations de bon voisinage. Un projet qui rappelons-le vise le retour aux études principalement de femmes autochtones qui souhaitent améliorer leur sort et celui de leur famille.

Nous avons le choix de faire de ce projet un succès en l’améliorant où il peut l’être ou espérer que par miracle le fossé entre nos communautés disparaîtra de lui-même, ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire.

J’ai choisi de travailler à la réconciliation parce que c’est la seule voie qui peut mener à un avenir prometteur pour nos communautés respectives. J’espère que vous m’y rejoindrez nombreux. La suite des choses se passera avec la population, bien conscient qu’il y a des préoccupations.

Réjean Porlier, maire de Sept-Îles

Partager cet article