Retour en classe : des enseignants s’expriment

Par Sylvain Turcotte 1:38 PM - 29 avril 2020
Temps de lecture :

Depuis l’annonce du premier ministre du Québec François Legault, lundi, pour le retour en classe le 11 mai pour les écoles primaires, les enseignants sont envahis de sentiments ambivalents. Au fur et à mesure qu’on s’approchera de la date, ils auront réponses à certaines questions, d’autres interrogations apparaîtront. Quelques enseignants de Sept-Îles nous ont exprimé ce qu’ils ressentent.

Joëlle Vignola, école Mère d’Youville, Port-Cartier

« Étant une personne pas très stressée des facteurs extérieurs, j’entrevois assez bien le retour à l’école d’un point de vue de la maladie. Je vais suivre toutes les règles établies pour éviter d’attraper le virus. S’il advenait que je sois infectée quand même bien j’aurai fait au mieux, mais ça peut arriver. Il n’y a personne dans mon entourage que je dois absolument protéger, c’est probablement la raison pour laquelle je ne suis pas très inquiète vis-à-vis du virus.

Côté logistique, par contre, il n’y en aura pas de facile. Mes cours d’éducation physique devront se faire à l’extérieur ou en classe, en respectant le 2m de distanciation. Tout ça avec peu ou pas de matériel puisqu’il faudrait l’utiliser de manière individuelle et le désinfecter entre chaque usager. Pas de jeu où l’on partage un même objet, pas de jeu avec des contacts… Je pense que je vais vite arriver au bout de mon imagination pour éviter la redondance.

Mais j’ai hâte de revoir les enfants et mes collègues. »


Patricia Boudreau, école Jacques-Cartier, Sept-Îles

« Ah! Le retour en classe! Oui, il faut commencer le déconfinement graduel quelque part! On a choisi de renvoyer les jeunes enfants à l’école puisqu’ils sont très peu atteints par la COVID-19, mais qu’en est-il de la santé des enseignants et celle des familles qui vivent avec ces jeunes en dehors des heures de classe?

La distanciation de 2 mètres et l’annulation des rassemblements sont deux points primordiaux depuis le début de cette crise. Est-il vraiment réaliste de dire que les écoles y arriveront même avec la plus grande volonté du monde autant de la part des directions d’école que des employés? Vous n’avez qu’à penser au mode de fonctionnement d’une école : les rangs, les casiers, la petitesse des locaux, les tout-petits de 4-5-6 ans, les élèves anxieux ou en trouble du comportement, les élèves à besoins particuliers qui demandent la proximité de l’adulte et j’en passe.

Qu’on décide d’envoyer le personnel du système de l’éducation au « champ de bataille » pour le bien-être psychologique des enfants c’est une chose, toutefois, nous savons très bien qu’il nous sera impossible d’avoir une protection individuelle optimale contre ce virus. À mon avis, le respect des règles et des protocoles de protection sera difficilement applicable malgré la bonne volonté de tous: on travaille avec des enfants!

Les défis ont toujours été très grands en éducation, mais il est inutile de vous dire qu’ils le seront encore plus à partir du 11 mai 2020. Enfin, il reste encore beaucoup de questions sans réponse. Malgré cela, j’ose croire qu’ensemble on va y arriver! »


Sandra Deschênes, école Camille-Marcoux, Sept-Îles

« En tant que déléguée syndicale de mon école, je reçois beaucoup de questions de la part de mes collègues de travail. Plusieurs ne comprennent pas pourquoi le gouvernement est si pressé d’ouvrir les écoles. Notre direction a essayé de nous sécuriser dès le début de l’annonce lundi après-midi, mais il n’avait pas de réponses à nos questions. Il (Daniel Giasson) a eu des rencontres avec la Commission scolaire ainsi qu’un compte-rendu de la Fédération québécoise des directions d’établissement aujourd’hui (28 avril) où il a pu éclaircir certains points. En plus des points que l’on connait déjà (2 mètres de distanciation, présence à l’école non obligatoire, groupe de 15 élèves maximum, etc.), le ministère devrait écrire un scénario plus précis, mais il va laisser beaucoup de latitude aux écoles et aux commissions scolaires.

Plusieurs enseignants croient qu’il sera impossible de respecter le 2 mètres de distanciation. De plus, nous ne comprenons pas pourquoi l’on recommande le port du masque en public, mais que pour les enseignants à l’école, il n’est pas obligatoire. Le masque est obligatoire dans les éducatrices en CPE pour les groupes des 4 ans, mais pour le préscolaire (4 et 5 ans) à l’école, il n’est pas obligatoire. De plus, les locaux ne sont pas tous adaptés à cette situation. Les corridors sont étroits. Dans notre espace commun pour le 2e cycle, nous avons deux lavabos pour 3 classes. Le lavage des mains sera laborieux. Nous serons tenus d’enseigner aux élèves en classe, mais aussi de superviser les élèves à la maison. Nous croyons ainsi que notre tâche s’alourdisse. Cependant, notre direction se veut rassurante en nous disant qu’elle prendra tous les moyens pour que ce retour en classe se fasse dans les meilleures conditions pour tout le personnel et les enfants. Nous avons une visioconférence le 29 avril avec notre direction qui en saura peut-être plus qu’il en savait aujourd’hui (28 avril). »


Enseignante qui a demandé l’anonymat

« Quand on me demande comment je me sens face à la réouverture des écoles je suis incapable d’avoir une réponse claire. J’ai vraiment envie de recommencer, de revoir mes élèves, de leur enseigner en personne et non par Internet. Mais en même temps, je ne me sens pas rassurée. Je n’ai pas l’impression que je trouverai des réponses aux questions que je me pose. Je ne sais toujours pas comment je pourrai garder une distance de 2 mètres avec mes élèves qui auront besoin de se faire rassurer et encadrer. Je me pose des questions quant aux mesures d’hygiène avec 2 salles de bain pour une école et un lavabo par classe. Je me demande quelles mesures seront prises pour assurer la sécurité de mes jeunes, la mienne et celle de ma famille.

J’ai aussi de la difficulté à comprendre que je ne peux côtoyer ma famille, qui sont tout comme moi, en confinement depuis le début et qui, je sais, suit à la lettre toutes les consignes sanitaires. Mais je vais être en contact avec 15 enfants qui viennent de milieu dont j’ignore complètement les pratiques. Je sais que je n’ai reçu que la pointe de l’iceberg en informations, mais j’ai bien hâte de connaître la totalité des mesures mises en place et je souhaite qu’elles soient réalistes et rassurantes. Disons que 15 élèves dans une classe à 2 mètres de distance chacun, c’est déjà un bon problème mathématique.

D’une prof qui espère avoir réponse à ses questions. »


Dave Pineault, école Maisonneuve, Sept-Îles

« Je comprends très bien que les enfants doivent reprendre tôt ou tard l’école. Cependant, je crois que plusieurs aspects n’ont pas été pris en compte. Il y a plusieurs configurations d’école. Les locaux sont souvent petits ce qui ne permet pas une distanciation physique de deux mètres avec un maximum de 15 élèves. Honnêtement, pour l’école où je travaille, ce serait tout au plus 5 à 8 élèves par classe, bien sûr, en les obligeant à demeurer assis en tout temps et de demander la permission pour se lever. C’est tellement simple au primaire avec les plus jeunes (ironie).

Dans la plupart des écoles, les élèves partagent leur casier avec un ami de la classe. L’école où je travaille comporte un seul corridor, et il doit faire tout au plus 2 mètres de large… alors comment respecter les consignes strictes émises?

Pour une personne comme moi, immunosupprimé, c’est très fortement déconseillé d’être en contact avec d’autres dans un contexte de COVID-19. Il y a déjà pénurie de personnel alors comment pallier au nombre de travailleurs de l’éducation qui ne pourront reprendre? Le gouvernement a dit qu’il ferait appel aux étudiants. Un étudiant sans expérience qui va tenter d’enseigner dans un contexte de guerre avec des élèves emprisonnés dans l’école. Pas le droit de jouer avec des amis des autres classes, rotation pour la cour de récréation.

C’est toute qu’une réorganisation! On nous demande de changer le système scolaire en deux semaines! Parlons de la désinfection : en temps « normal », nous avons de la difficulté à avoir des lieux propres et bien nettoyé 1 x par jour. Et là il va falloir que ce soit fait plus d’une fois par jour…. Oui il y a énormément d’inquiétude pour les membres du personnel, les élèves et sans aucun doute les parents. Les éducatrices spécialisées qui sont normalement en contact direct avec les élèves et qui parfois doivent contenir un jeune en crise ne peut pas effectuer son travail en respectant le 2 mètres, tu ne peux pas aller au pupitre d’un élève pour des explications en respectant le 2 mètres. Les services de garde scolaire… très souvent, un nombre élevé d’élèves se retrouvent dans des locaux trop petits. On nous demande d’agir en professionnel de l’éducation au meilleur de nos compétences. J’ai plutôt l’impression que le personnel agira en gardien d’élèves en prison scolaire! »


Enseignant en éducation physique qui a demandé l’anonymat

« Pour l’éducation physique, on est plutôt dans le néant. Le ministre a mentionné qu’il n’y aurait pas de cours d’éducation physique et notre gymnase est fermé pour la pratique d’activité sportive. Il faut comprendre qu’en s’essoufflant les projections vont plus loin et avec un rythme respiratoire augmenté il y a plus de projections dans l’air, alors c’est tout à fait normal dans le contexte. Cependant, il y a moyen de faire de l’éducation physique à l’extérieur et de parler de saines habitudes de vie à l’intérieur.

Je m’explique alors mal le message du ministre qui dit que les enseignants en éducation physique pourraient être réaffectés à appeler des élèves ou a faire un remplacement.

Je vois d’un bon œil la réouverture des écoles pour le côté humain et social, et aussi pour la sécurité de plusieurs enfants. »

Partager cet article