Le visage caché de l’itinérance à Sept-Îles

Par Fanny Lévesque 7 Décembre 2016
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Victoire pour le Petit Drakkar à son premier match au Tournoi international de hockey pee-wee de Québec.

On ne la voit peut-être pas dormir sur un banc de parc ou quêter au coin de la rue, mais elle est bien là. À l’abri des regards, elle sévit autrement et laisse tout autant de traces. L’itinérance n’a pas le même visage en ville qu’en région, mais elle en a bien un. Reportage sur l’itinérance cachée des régions éloignées.

À la maison Transit Sept-Îles, les intervenants décorent l’arbre de Noël. L’ambiance est calme, réconfortante. «Ici, les gens restent le temps qu’il faut», lance d’un ton rassurant Doris Nadeau, le directeur général de l’organisme qui héberge les sans-abris. «Quand ils sont à la porte, c’est pas demain qu’ils ont besoin d’aide, c’est là».

À Sept-Îles, ils sont quelque 300 par an à frapper à la porte du Transit. Des hommes et des femmes de partout, des communautés autochtones ou même de la Basse-Côte-Nord. «Le trois quart c’est des hommes», poursuit M. Nadeau, assis à son bureau. «Parce que ce sont des maudits gars, un gars attend d’être rendu dehors avant de demander de l’aide».

Et ça ressemble à quoi l’itinérance en région? «C’est une itinérance qu’on ne voit pas», explique-t-il. «De l’itinérance chronique comme dans les grands centres, on en voit très peu ici. Du chronique, c’est souvent un mode de vie, mais avant d’en arriver là, il y a l’itinérance épisodique et c’est ce qu’on voit plus en région.»

Itinérance épisodique

Comme le dit son nom, elle survient à une période assombrie de la vie de l’individu. Elle est plus sournoise et elle frappe n’importe quand. C’est un couple qui explose, l’homme qui perd son emploi, la femme qui sombre dans la maladie mentale ou l’adolescent qui décroche. «L’itinérance, c’est une résultante, la cause de quelque chose».

«Un gars attend d’être rendu dehors avant de demander de l’aide.» -Doris Nadeau

«Autant de monde que tu peux voir dans la ville de Sept-Îles, autant de raisons d’avoir à héberger des gens quand c’est un épisode de leur vie qui ne va pas bien. On appelle ça aussi l’instabilité résidentielle, il n’y a personne à l’abri», résume Doris Nadeau. «C’est aussi à ce moment où les gens sont les plus fragiles, où il faut leur tendre la main».

Et cette main tendue est plus facile à agripper en région, estime M. Nadeau. «En étant une plus petite communauté, on est tissé serré à Sept-Îles, on les voit passer. Il y a plus de gens qui vont les référer rapidement» ce qui prévient l’itinérance chronique par exemple. «Il faut éviter qu’ils sombrent et qu’ils choisissent de se désaffilier du système».

L’accompagnement, ça marche

Au Transit, l’organisme a fait le pari de l’accompagnement depuis un peu plus d’un an. «On voulait quelque chose à notre image, on n’est pas dans une grosse agglomération, nous avons la possibilité de récupérer les gens», indique-t-il. Un intervenant, qui pilote le projet, a été embauché et peut suivre un usager jusqu’à 18 mois après sa sortie.

À la fin de l’entretien, le sapin de Noël est maintenant illuminé. «C’est pas sexy la pauvreté», dit M. Nadeau.

«C’est mieux les préparer lorsqu’ils sont hébergés, mais il faut qu’ils soient acheteurs de services. C’est-à-dire qu’il faut qu’ils soient prêts à recevoir, accepter des conseils et à être suivis», prévient le directeur. «Dix-huit mois, c’est le temps qu’il faut pour qu’ils développent une autonomie et qu’ils ne retournent pas dans leurs vieilles pantoufles».

Faire du sport, du bénévolat, peu importe. «Il faut briser l’isolement de ces gens-là, parvenir à changer leurs réflexes», énumère M. Nadeau pour éviter qu’ils ne reviennent cogner à la porte. Le pont est également fait avec les autres organismes du milieu pour tisser un filet social solide autour de l’individu.

Et jusqu’à présent, l’accompagnement apporte ses fruits, assure M. Nadeau. Mais tout n’est pas gagné. «La pauvreté existera toujours, mais il faut lancer un message d’espoir. Le message c’est, demande de l’aide, tu vas en avoir». À la fin de l’entretien, le sapin de Noël est maintenant illuminé. «C’est pas sexy la pauvreté», dit M. Nadeau.

«Pourquoi, on y pense juste à Noël? Après, ça redevient des maudits BS. Il n’y a pas de maudits BS, il y a juste une société mal habile à prendre soin de ses gens défavorisés. Ça donne bonne conscience de donner un 10 sur le coin de la rue, mais soyons généreux à l’année, pas juste en argent, dans nos jugements aussi».

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Des témoignages porteurs d’espoir

Quatre usagers du Transit ont accepté avec une grande humilité de raconter leur histoire au Nord-Côtier. Ce qu’ils souhaitent, c’est que comme eux, ceux qui ont besoin d’aide en demandent.

Brian*, 59 ans

Brian a le regard franc, le dos droit. Pourtant, il revient de loin, lui qui rentre tout juste d’une thérapie de 28 jours pour se défaire de sa dépendance à l’alcool. «Il a fallu que je le fasse. Quand je suis arrivé ici, j’étais gêné. C’est pas évident d’admettre que t’es rendu-là. Mais, il a fallu que je passe pas là».

Des ennuis financiers et sa traversée du cancer ont laissé des marques. Cet été, il a comme il le dit «pris la bouteille au lieu du téléphone». «C’est là que j’ai planté, confie Brian. Il y a eu d’autres circonstances qui m’ont poussé où je suis. Il y a plusieurs choses qui entrent en ligne de compte. C’est difficile à expliquer».

Il trouve les mots par contre pour la suite. «Je ne veux plus de ça. Je me sens très fier, très heureux». Si Brian habite toujours le Transit, il sait qu’il pourra bientôt le quitter. Il recherche activement un appartement et un emploi. «J’ai beaucoup de forces, de qualité. Je sais que je vais m’en sortir. C’est un jour à la fois, mais je fonce».

Geneviève*, 30 ans

La vie de Geneviève a basculé lorsqu’elle a reçu un diagnostic de TDAH sévère après le décès de son père. Plusieurs longs mois à essayer de mettre le doigt sur la médication adéquate ajoutés à un deuil difficile lui ont fait tout perdre. En mai, elle n’a eu d’autres choix que de frapper à la porte du Transit.

Elle y passera tout l’été. «Il fallait que je me remette sur pied, que je stabilise ma médication. Je devais trouver mon équilibre», confie la trentenaire. Geneviève va mieux, mais la tempête qu’elle a traversée ramène parfois ses remous. «J’y vais graduellement, j’ai maintenant un toit où c’est bien, c’est stable».

Geneviève fait partie de la clientèle «externe» du Transit. Elle profite depuis sa sortie du programme d’accompagnent de l’organisme. Si elle a un souci, elle lâche un coup de fil à David, «son lien de confiance». La jeune femme terminera en janvier un projet avec le Carrefour jeunesse-emploi. Ensuite, elle entend mener des études en menuiserie.

Transit Sept-Îles

409, avenue Gamache, Sept-Îles

418 968-9190

«Ce que je souhaite c’est d’être assez stable pour aller à l’école, être capable d’avoir un métier… Avoir une vie normale dans le fond. J’ai hâte d’avoir la paix», rigole-t-elle. «Quand je serai assez stable, je pourrai aussi penser à avoir une relation amoureuse et peut-être bien avoir des enfants, on sait jamais».

Pierre*, 50 ans

Il y a un an, Pierre allait tout droit vers la faillite. Une séparation, des dépendances et la perte de sa maison le font sombrer. «Quand je me suis dit que j’allais mettre fin à mes jours, c’est là que je me suis dit qu’il fallait que je passe par-dessus mon orgueil», admet-il. Il passera près de sept mois au Transit.

«Même si on dit que c’est pas si pire, je souhaite ça à personne», confie-t-il. Pierre a quitté le Transit et habite maintenant un organisme en santé mentale. «Je suis encore en dépression majeure. Je ne me sens pas prêt à retourner sur le marché du travail. Je suis loin d’être le gars que j’ai déjà été. Je jongle encore un peu avec moi».

S’il met les efforts pour chasser les idées noires pour de bon, Pierre navigue néanmoins dans des eaux plus calmes. «Je vais mieux, mais ce n’est pas évident. Je me sens mieux d’avoir fait ce pas-là. Je sais qu’il y en a qui n’osent pas le faire. Si tu ne demandes pas de l’aide, personne ne va t’en donner.»

Chantale*, 31 ans 

La vie de Chantale allait bien. Elle travaillait dans le domaine de la santé, avait presque son bac en soins infirmiers en poche. «Il m’est arrivé que, suite à des événements, je ne suis retrouvée en prison», raconte-t-elle sans les nommer. «J’ai pris six mois. Impossible de garder un logement».

Elle purge sa peine à Sept-Îles et Québec. La maison de transition où elle habitait a fermé ses portes. Chantale choisit de revenir près de sa famille. Avec une mince allocation de 200$ par mois, elle se tourne vers le Transit, qui l’accompagnera «dans sa transition» pour reconstruire sa vie. «De venir ici, ça m’a permis de repartir du bon pied».

Chantale sait maintenant ce qu’il faut pour «ne pas retourner» où elle a déjà été. Elle a son loyer depuis deux mois. Cette semaine, elle s’est fait brancher le câble et Internet. «Ça va super bien. Je suis bien.» Chantale se fait toujours accompagner par un intervenant du Transit et un autre, d’un organisme en toxico.

Pour la suite, la jeune femme veut prendre son temps. Elle n’a pas encore repris le marché de l’emploi. «Je ne suis pas encore décidée. Je pense à m’occuper de moi. Ce que je souhaite, c’est pas compliqué, c’est d’être bien avec moi-même, j’ai accepté, mais, être vraiment en paix, avec ma fille et ma famille.»

*Noms fictifs

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