Un gardien de phare raconte l’histoire de la Côte-Nord

Par Emy-Jane Déry 11:00 AM - 27 mai 2021
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Déchargement d’un navire après son naufrage, xixe siècle. Photo Récits de naufrages

Les récits d’un modeste gardien de phare de l’Île-aux-Perroquets permettent de mettre en lumière des éléments majeurs de l’histoire de la Côte-Nord et du Québec maritime.  

Ses écrits jusqu’ici inédits sont présentés et annotés par des chercheurs de l’UQAR dans Récits de naufrages, publiés par VLB éditeur.

Le fils de pêcheur Placide Vigneau n’a pas reçu une grande éducation. Il a pourtant développé une passion pour l’écriture en tenant le journal de bord du bateau de pêche de son père durant son adolescence. 

Placide Vigneau vers 1920. Photo Récits de naufrages

Toute sa vie, il l’a passée sur des bateaux de pêche au large d’Anticosti, à faire des petits travaux à gauche et à droite, puis comme gardien de phare à l’Île-aux-Perroquets. C’est en ce dernier lieu qu’il aura recueilli les confidences de navigateurs venus se reposer le temps d’une soirée.

À un moment, des religieux historiens reconnus ont même commencé à se référer à lui.

Cannibalisme sur Anticosti

Le naufrage du Granicus, aussi appelé le massacre de l’Anticosti, est le récit qui a mené les chercheurs de l’UQAR à s’intéresser plus particulièrement aux écrits de Vigneau. C’est un des faits les plus spectaculaires qu’il a rapporté.

Ce navire quittait Québec vers l’Irlande en 1828 et a fait naufrage sur la pointe est de l’île d’Anticosti. Il n’y avait pas de vivres à bord. Les marins ont tenté de survivre tout l’hiver avec pratiquement rien. Au printemps 1829, ils en ont été réduits à commettre des actes de cannibalisme.

Vigneau raconte cette histoire et la collige plus d’un demi-siècle plus tard, en 1894. Malgré le temps écoulé, c’est grâce à sa version que cet événement a fait son chemin.

« L’épisode serait probablement connu, mais pas de cette façon-là. Ça donne une tout autre ampleur au drame », précise Jean-René Thuot, professeur d’histoire à l’UQAR.

Placide Vigneau a tenté de rassembler la véracité des faits tout en maintenant une objectivité, notent les chercheurs.

« Le récit du Granicus a eu l’histoire qu’il a eu à cause de Vigneau », affirme-t-il. « C’est une nouvelle d’envergure pannationale, internationale. Ça a eu des répercussions partout dans le monde, en Angleterre, aux États-Unis. »

L’économie des naufrages

À l’époque, à partir du moment où il y avait une épave quelque part, la vie du bateau n’était pas terminée, explique le professeur Thuot. Il y avait des marchandises, des matériaux et des cargaisons toujours à bord.

Les populations nord-côtières étaient exposées aux dangers de la navigation et connaissaient cela. Des excursions s’organisaient. Elles venaient au secours des équipages, récupéraient des marchandises pour en vendre et survivaient en partie grâce à ce qu’on a appelé « l’économie des épaves ».

« C’est une économie qui était informelle, mais tout à fait réelle et qui participait directement à faire en sorte que les familles pouvaient joindre les deux bouts à la fin de l’année », dit Jean-René Thuot.

L’économie des naufrages est peu documentée et connue, selon les chercheurs. Placide Vigneau rend le tout explicite dans son manuscrit.

« Il participe à nous aider à mieux nommer ça et à rendre ça correct. Ce n’est pas du vol, du banditisme. On utilise, on récupère, on recycle, on rentabilise et on rend service aussi. Il y a des échanges de bons procédés. On aide des navigateurs qui ont besoin d’aide », résume M. Thuot.

Les écrits du gardien de phare motivent même les chercheurs à approfondir les recherches sur le sujet dans l’avenir.

« C’est probablement ça qui sera fait dans les prochaines années, pour comprendre toute l’économie des naufrages, l’importance de ça dans la survie des populations du littoral de l’Est-du-Québec. »

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