Là où les élections municipales ne vont pas

Par Gabrielle Cantin 2:48 PM - 21 octobre 2025 Initiative de journalisme local
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«Wendake n’a jamais fait partie de la charte [électorale]. Ça a toujours été le cas, c’est encore le cas aujourd’hui et ce sera encore le cas demain», tranche le grand chef de la Nation wendat, Pierre Picard. Caroline Grégoire, Le Soleil

Il existe, au cœur de la capitale nationale, un endroit d’une superficie de 2,2 km² où aucun candidat ne fera de porte-à-porte et où aucune pancarte n’ornera les rues d’ici le 2 novembre. 

À Wendake, la communauté wendat située en banlieue de Québec, l’automne ne rime pas avec joute politique, bureaux de scrutin ou promesses électorales. Du moins, pas cette année. 

«Wendake n’a jamais fait partie ni de la charte [électorale], ni de la Ville. Ça a toujours été le cas, c’est encore le cas aujourd’hui et ce sera encore le cas demain», explique le grand chef de la Nation wendat, Pierre Picard, en entrevue avec Le Soleil. 

Sur la carte électorale, la communauté wendat est enclavée, à cheval entre les districts de Loretteville-Les Châtels et de Lac-Saint-Charles-Saint-Émile. Mais sa situation géographique n’a rien à voir avec son statut politique, précise Pierre Picard, élu il y a tout juste un an, lors d’élections entièrement indépendantes de celles déclenchées à date fixe dans les nombreuses municipalités du Québec.

«Dans les faits, sur le plan géographique et topographique, c’est vrai. Mais dans la réalité, on n’est pas enclavé dans la mesure où on est des entités politiques, juridiques et historiques complètement distinctes.»

Ainsi, les résidents de Wendake, au même titre que ceux de L’Ancienne-Lorette, par exemple, n’ont pas le droit de vote à Québec. Ils n’ont pas non plus le droit de poser leur candidature à la mairie ou comme conseiller de district.

Différent d’une communauté à l’autre

Toutes les communautés autochtones du Québec ne sont pas exclues, comme Wendake, des cartes électorales municipales. 

«Les membres de 21 communautés autochtones ont le droit de vote et le droit de présenter leur candidature lors d’élections municipales parce qu’ils sont domiciliés sur le territoire d’une municipalité», précise Julie St-Arnaud-Drolet, porte-parole d’Élections Québec. 

Quelque 19 municipalités ont au moins une communauté autochtone ou un établissement appartenant à une communauté sur leur territoire. «Les membres de ces communautés sont donc des résidents de la municipalité», résume la porte-parole. 

Parmi eux, les membres des communautés de Pikogan, Wôlinak, Essipit, Kanesatake, Lac-Simon et Uashat mak Mani-utenam peuvent prendre part au scrutin organisé sur le territoire de leur municipalité respective, selon la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités.

Dans ces cas de figure, les résidents des communautés autochtones peuvent participer aux élections municipales comme électeur ou candidat, au même titre que la population allochtone. 

«Aucun intérêt» de changer les choses

Pour Pierre Picard, la situation électorale de Wendake reflète parfaitement la réalité de la Nation. 

Il ne voit «aucun intérêt» à entreprendre quelconque démarche pour modifier le lien qui unit Wendake et la Ville de Québec. Forte de son propre processus démocratique, la communauté wendat peut asseoir son autonomie et sa souveraineté face à la Ville de Québec, croit-il. 

«Le fait que nous soyons exclus de la charte de la Ville […] est tout à fait en adéquation avec nos traditions de souveraineté et notre volonté de demeurer complètement indépendants de la ville de Québec. On est nullement un territoire municipal et on est bien à l’aise avec ça», tranche-t-il, au bout du fil. 

«On continue d’honorer les batailles durement menées par nos ancêtres pour faire reconnaître le statut spécifique des Wendat en préservant notre identité et notre souveraineté.»

Il indique tout de même garder un œil sur la campagne électorale qui bat son plein sur le territoire de la ville. «J’essaie de voir l’intérêt de certaines personnes à l’égard de Wendake. Évidemment, […] je ne me mêle d’aucune manière de la campagne, indique-t-il. On est attentifs.»

Satisfait de l’accord-cadre signé entre la Ville et la Nation wendat en juin dernier, Pierre Picard souhaite voir les «excellentes relations» perdurer, au-delà du 2 novembre prochain. 

Le cas de Natashquan

En 2021, la municipalité de Natashquan, sur la Côte-Nord, est devenue le symbole de cette disposition électorale. 

À l’issue du vote, le 7 novembre 2021, Henri Wapistan, un membre de la communauté innue de Nutashkuan, a défait la mairesse sortante, Marie-Claude Vigneault, par moins d’une vingtaine de voix. 

Les 260 résidents de Natashquan n’ont pas fait le poids face aux quelque 600 électeurs innus, mobilisés pour voir M. Wapistan accéder à la mairie. 

Henri Wapistan est ainsi devenu maire de Natashquan, sans y être résident et sans même y payer de taxes.

De quoi chambouler la petite municipalité de la Côte-Nord, village natal de Gilles Vigneault. Rapidement, des voix se sont levées pour dénoncer les potentielles répercussions de cette disposition électorale. 

Quatre ans plus tard, devant l’absence de changements législatifs, le président des élections de Natashquan, Benoît Léger, a même remis sa démission, le 8 octobre dernier, quelques semaines avant le vote. 

Selon les dires de M. Léger, rapportés par Radio-Canada, le «déséquilibre démographique» qui existe entre les communautés nuirait à la représentation adéquate des payeurs de taxes natashquanais. 

Le 2 novembre prochain, Henri Wapistan tentera d’être réélu à la tête de la municipalité de la Côte-Nord, aux côtés d’un autre membre de la communauté innue, Jean-Sébastien Ishpatau, qui brigue un poste de conseiller municipal. 

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