Derrière les cartes des missionnaires, le savoir des Innus

Par Alice Young 3:15 PM - 29 juin 2025
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Tiffany Pinette, Danielle Descent et Sylvestre Rock. Photo Alice Young

Des cartes datant du 19e siècle, dont on a longtemps cru qu’elles avaient été réalisées par des missionnaires, seraient en fait l’œuvre des Innus.

Danielle Descent, Yasmine Fontaine et plusieurs autres membres de Uashat mak Mani-utenam ont présenté l’histoire derrière trois cartes anciennes lors d’une exposition les 27 et 28 juin.

« La carte du père Babel, la carte de Henry Hind, en fait c’est toutes des cartes autochtones », explique Danielle Descent, initiatrice de l’exposition et passionnée des expéditions dans le Nitassinan, territoire ancestral innu. 

Le clou du spectacle : une carte datant de 1859 de Sept-Îles jusqu’au Labrador tracée et signée par six Innus à la demande du missionnaire Charles Arnaud. 

Entre les rivières, des lignes pointillées et des flèches indiquent les chemins de portage. 

Une carte tracée par les Innus à la demande du père Charles Arnaud en 1859. Photo Alice Young

Ces tracés fournissent des informations rares et précieuses sur le mode de vie nomade des Innus et sur le Nitassinan avant la colonisation. 

Danielle Descent explique qu’à cette époque, les missionnaires, voyant les Innus revenir de l’intérieur des terres chaque été, voulaient eux aussi découvrir le large territoire. 

L’apport des autochtones aux réalisations des missionnaires est méconnu, rapporte-t-elle. En apportant des copies des cartes à Mani-utenam, les Innus peuvent découvrir la richesse des savoirs de leurs ancêtres. « C’est pour rétablir certaines injustices concernant la cartographie », dit-elle. 

Une découverte inattendue pour Tiffany Pinette

La première fois que Danielle Descent a étudié la carte aux Archives nationales de Québec, elle se trouvait avec Tiffany Pinette qui voulait en apprendre plus sur les anciens chemins de portage. Cette dernière a découvert au même moment qu’un de ses ancêtres, Barthélémy Meneik, était signataire de la carte. 

« Ça me fascine toute la mémoire qu’ils avaient », affirme Tiffany Pinette. Elle se sent fière qu’un « ancien » de sa famille ait eu cette connaissance approfondie du Nitassinan, reflétant sa propre connexion puissante avec le territoire. 

Les sœurs Anne-Marie et Évelyne St-Onge en ont profité pour retrouver sur la carte les endroits qu’elles ont visités dans leur « territoire sacré ».

« C’est une preuve qu’ils avaient toutes ces connaissances, tout ce savoir. C’est émouvant », confie Anne-Marie St-Onge à propos des ancêtres innus.

Les flèches indiquent les chemins de portage sur cette carte du Nitassinan de 1859. Photo Alice Young

La chercheuse en cartographie du territoire québécois, Andréanne Martel, a aidé Danielle Descent a trouver la carte des Innus commandée par le père Arnaud.

« C’est vraiment rare dans les cartes anciennes d’avoir des signatures de personnes autochtones qui ont contribué », explique-t-elle. Elle est ravie que les archives puissent être utiles aux Innus pour revaloriser les savoirs et les pratiques liées au territoire, notamment en retrouvant les chemins de portage ou en découvrant les toponymes innus.