Les « nôtres »

Par Emy-Jane Déry 11:39 AM - 13 juin 2025
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Michel Somin, venu de l’Ukraine dans l’espoir d’une vie meilleure à Sept-Îles, a marché la route entre l’aéroport et chez lui des dizaines de fois. Il y va pour travailler comme concierge. Une vingtaine de kilomètres quotidiennement. Puis un jour, quelqu’un lui a donné un vélo. Photo archives, Jacob Buisson

Il était une fois des gens qui donnent des vélos à des immigrants pour les aider à s’intégrer et qui se font lancer des roches, parce qu’ils les aident. OUI OUI.

Je parle de roches au sens figuré, juste pour être certaine. Quoi que, on ne doit pas être loin que ça se produise au sens propre. Mise en contexte : nous avons partagé un texte sur les réseaux sociaux du Journal Le Nord-Côtier, le 10 juin. Le titre : Des vélos réparés puis donnés aux nouveaux arrivants de Sept-Îles.

La publication a dégénérée. Plus d’une centaine de commentaires. Des gens sont en colère parce que des vélos destinés à la dump ont été donnés à de nouveaux arrivants et pas, pour en paraphraser certains, « aux nôtres ». Heureusement, des adeptes de la page constatent que cette colère n’a pas de bon sens et l’écrivent, contribuant au nombre élevé de réactions sous la publication. 

Ça manque de Jacob à Sept-Îles. Et j’espère qu’il y a plus de Jacob qui sont en train de grandir en se balançant au parc, au moment où on se parle. Je l’espère de tout mon cœur. C’est du moins ce qui me permet d’avoir foi en l’humanité. 

C’est qui Jacob ? 

C’est un gentil jeune homme, étudiant à l’université, que nous avons accueilli en stage au journal, un été. Jacob était toujours gentil avec tout le monde. Il n’avait pas de voiture. Il se rendait les week-ends, sur le pouce, rejoindre sa blonde basée à Baie-Comeau. Elle y faisait un stage à la ferme Gaïa. 

À un moment donné, Jacob avait emprunté la voiture du boss pour aller faire une couverture. Il a croisé un homme qui marchait sur la 138, vers l’aéroport. Il lui a proposé un lift. C’est là qu’il a pu en apprendre plus sur son histoire.

Pourquoi cet homme marchait-il le long de la route ? Chaque jour, 20 km de marche pour se rendre travailler à l’aéroport de Sept-Îles, comme concierge, et en revenir. Le salaire qu’il en retire ne lui permet certainement pas de se payer une auto et à peine un loyer. Il a fui un pays où il gagnait à une époque 20 $ par mois comme ingénieur, donc pour lui, ce n’était pas plus mal. 

Jacob lui a donné son vélo, pour qu’il puisse aller travailler plus facilement. Comme ça. C’est tout. 

Ça ne lui a fait aucun mal. Il ne s’est pas posé 1 000 questions. Il lui a juste donné. Et savez-vous quoi ? Ce soir-là, Jacob a mangé à sa faim, il a dormi au chaud et il a même eu un sentiment de plénitude. Ça fait ça, donner. Ces gens en colère sur les réseaux sociaux pourraient peut-être essayer ça aussi, de donner sans trop se poser de questions. Ça pourrait les aider à combler le vide qui les pousse à y écrire des choses horribles sur ce qu’ils ne connaissent pas. 

Les nôtres ? C’est qui ça « les nôtres » ? Dans cette vision qui me paraît égocentrique, ça donne l’impression d’être probablement quelque chose du genre toute personne née à l’Hôpital de Sept-Îles avec la peau blanche, dont le seul accent qu’on lui autorise à avoir sans juger serait peut-être celui qui lui fait dire « crâbe » au lieu de « crabe ». 

Les autres, rejetés. Ce ne sont pas « les nôtres ».

Hey bien, je vous annonce, chers commentateurs des réseaux sociaux, que vous vivez sur une planète qui est plus grande que Sept-Îles, que la Côte-Nord, que le Québec et même, que l’Amérique au grand complet. Sur cette magnifique planète qu’on appelle la Terre, il y a des gens de toutes les couleurs, qui parlent plein de langues différentes, qui prient des Dieux différents et qui mangent des affaires dont vous ignorez même l’existence. Mais toutes ces personnes ont une chose en commun : ce sont des humains. Ce sont par définition, les « nôtres ».

Misère et souffrance ne connaissent ni frontière, ni couleur de peau, ni statut social. Ça peut toucher tout le monde, n’importe où, n’importe quand.

Et si moi, ou n’importe qui d’autre avons envie de donner un bécyle qui ne sert plus, à peu importe qui en a besoin pour apaiser un peu tout ça, ça nous regarde. 

De votre côté, chers commentateurs déchaînés, je suis prête à vous en fournir un, un bécycle. Je pense qu’on peut arranger quelque chose. Pour que vous puissiez embarquer dessus et rouler, rouler, rouler… loin, loin, loin. Pour découvrir, apprendre, vous enrichir, comprendre. 

Après, vous reviendrez échanger avec « les nôtres », chez nous, chez vous. 

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Marie Drouin
Marie Drouin
1 mois il y a

je suis à montréal mais j’ai vécu à Port-Cartier une vingtaine d’année. Je l’entends souvent ici aussi…ils nous volent nos jobs, nos loyers, etc. Dans les faits, ils font des jobs que des quèbècois refusent de faire et ils sont vaillants. Merci pour ce texte, j’apprécie vraiment

Augustin Michel
Augustin Michel
1 mois il y a

Bravo pour cet article

Catherine Gignac
Catherine Gignac
1 mois il y a

Merci pour votre texte. Rien à ajouter!