Bélugas du St-Laurent : moins de carcasses, plus de questions

Des équipes se déplacent pour recueillir des échantillons lorsqu'il y a des trouvailles de carcasses de bélugas. Photo Catheline Bouchard
Le nombre historiquement bas de carcasses de bélugas dans le fleuve Saint-Laurent cette année pose toute une colle aux chercheurs. Ils n’en ont jamais autant peu trouvé, et les causes qui expliqueraient la baisse sont difficiles à cerner.
Les carcasses de bélugas échoués sur les berges du fleuve Saint-Laurent en 2024 se chiffrent à six, comparativement à une moyenne qui tourne autour de la douzaine chaque année.
Le directeur scientifique et président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), Robert Michaud, en tombe en bas de son zodiac tellement ce nombre est bas.
« On n’a jamais vu aussi peu de carcasses de bélugas depuis la création du programme de récupération des carcasses de bélugas en 1983. On a une année assez exceptionnelle », note-t-il.
Lors de cette année inhabituelle, deux femelles, trois mâles et un adulte non identifiable ont été retrouvés comparativement à 17 en 2023, où une grande proportion de femelles ayant eu des complications lors de la mise bas avait été remarquée.
Des hypothèses
Le monde scientifique a quelques hypothèses à proposer pour essayer d’expliquer ce phénomène, mais Robert Michaud rapporte qu’il y a de quoi « se gratter la tête ».
« Les endroits où on retrouve le plus souvent les bélugas, ça semble être en changement. On se pose la question à savoir si c’est possible que ça change, et si ça peut expliquer le nombre de carcasses cette année », indique-t-il.
Ce changement d’aire de répartition des bélugas pourrait en partie expliquer la diminution du nombre de décès observés en raison des courants.
« Si les individus sont allés mourir plus loin, c’est possible que les courants les aient amenés plus au large du golfe du Saint-Laurent et qu’on ait perdu leur trace », illustre-t-il.
Le président du GREMM fait savoir que le hasard pourrait également expliquer le phénomène, d’où l’importance « de prendre des gants blancs » pour la suite de l’analyse.
État des populations
Pour Robert Michaud, le fait que l’on retrouve moins de carcasses ne dit rien de significatif sur l’état de santé des populations.
« On ne croit pas que ça veut dire que la population va mieux. On note que, depuis quelques années, il y a des indications que la diète et l’aire de répartition changent, mais c’est à peu près tout », fait-il savoir.
Fort de quelques exercices de projection, le chercheur estime avoir de bonnes bases pour évaluer le taux de reproduction chez les bélugas à l’aide de modèles de population.
« Théoriquement, on sait qu’on peut avoir un nombre de 3 % de production de veaux dans la population, et on peut estimer que la population peut doubler chaque 30 ans », signale-t-il à propos de la population du Saint-Laurent dont le nombre tourne autour de 1 850.
Cependant, le chercheur ne peut s’avancer sur un chiffre net de décès annuels, qui viendrait contrebalancer celui des naissances.
« C’est un peu le Saint Graal pour nous. On l’estime tant bien que mal, mais étant donné que normalement c’est comparable d’une année à l’autre, ça nous laisse croire qu’il est stable », indique M. Michaud.
Des carcasses pour comprendre
Bien qu’un consensus ne fixe pas hors de tout doute le taux de remplacement exact chez les bélugas du Saint-Laurent, on s’entend pour dire que les scénarios sont tous trop beaux pour être vrais.
« Même s’il n’y a pas de facteurs limitants d’origine anthropique comme le bruit et les contaminants, le taux naturel de croissance d’une population va quand même varier en fonction des conditions climatiques et la prédation », rappelle Robert Michaud.
Toutefois, l’arrivée de carcasses vient en quelque sorte aider les scientifiques à se renseigner sur la démographie et la diète des bélugas.
« Au fil des années, il y a des choses que l’on a apprises avec l’examen des carcasses, dont beaucoup de choses que l’on ne savait pas », observe le chercheur.
Ce dernier fait savoir qu’une étude des isotopes stables révèle la signature des aliments consommés par les bélugas et les endroits où leurs proies se situent dans la chaîne trophique.
« C’est encore approximatif, mais on peut reconstituer la diète des individus que l’on retrouve. Il y a aussi la proportion de femelles et de mâles qui peut nous renseigner sur la démographie. »
Comme le veut la sagesse populaire, seul le temps nous le dira pour la suite des choses. Robert Michaud assure que lui et son équipe vont continuer « de faire un travail herculéen » pour la récupération et l’analyse des carcasses.
« C’est vraiment comme une longue enquête. Pour nous, le roman d’Agatha Christie se poursuit », mentionne avec humour Robert Michaud.
À découvrir
Des contenus marketing présentés par et pour nos annonceurs.