Une itinérance de plus en plus visible sur la Côte-Nord

Par Johannie Gaudreault 7:00 AM - 15 avril 2025
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L'itinérance devient plus visible sur la Côte-Nord. Des campements étaient installés près des lacs de la région cet été. Photo iStock

Josée Mailloux, directrice générale de Centraide Haute-Côte-Nord Manicouagan, qualifie l’année 2024 comme « la pire année de sa vie d’intervenante ». L’itinérance est un phénomène avec lequel elle n’a jamais eu autant à composer depuis l’an dernier, elle qui cumule 22 ans dans le domaine.

« Je n’ai jamais vu ça à ce niveau-là dans notre région des personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir. Ce sont des choses qu’on voyait juste à Montréal, mais là c’est débarqué chez nous », commente-t-elle. 

L’itinérance était autrefois qualifiée d’invisible sur la Côte-Nord. Il y avait des personnes sans domicile fixe, mais on ne les apercevait pas dans les parcs. Maintenant, l’itinérance est de plus en plus visible, selon Mme Mailloux.

« L’été passé, c’est fou le nombre de campements qu’il y avait autour des lacs de la région, de personnes qui étaient sans domicile fixe qui couchaient dans les moyens du bord pendant la période estivale. Pendant l’été, on se dit qu’ils n’ont pas froid, mais il y en avait une cinquantaine. À l’hiver, on est capable d’en reloger quelques-uns, mais il y en a qui ne l’ont pas facile encore », raconte-t-elle.

Le visage du phénomène a également évolué comme a pu l’observer la directrice de Centraide. On ne parle plus seulement du cas typique d’un jeune homme de 25 ans aux prises avec des problèmes de dépendance.

« Cette année, j’ai vu des mamans qui se sont fait mettre à la porte de leur logement, qui sont débarquées à mon bureau avec des enfants en dessous des bras, qui ont été obligées de coucher dans leur véhicule parce qu’on n’était même plus capable un moment donné de les loger. Les hôtels étaient pleins, tout était plein partout. On n’avait plus d’espace à nulle part », divulgue Josée Mailloux.

Cette dernière est sur le terrain dans la Manicouagan, mais la Haute-Côte-Nord et le secteur est de la Côte-Nord ont vécu des situations tout aussi particulières, selon elle.

Des causes multiples

La crise du logement est désignée comme la cause principale de la hausse de l’itinérance. Josée Mailloux confirme qu’elle joue un grand rôle dans la région, mais qu’il existe aussi d’autres facteurs.

« La situation économique qui est vraiment difficile, la hausse du prix des logements, l’inaccessibilité au logement, avec aussi la problématique de santé mentale qui a augmenté depuis la pandémie et la problématique de la dépendance. C’est un gros melting-pot de plein de problématiques qui fait en sorte qu’on a atteint un summum », énumère-t-elle.

Habituellement très positive, la directrice n’arrive plus à mettre ses lunettes roses. « J’espère que c’est la fin et qu’on ne pourra pas aller plus loin que ça. C’est un sommet au niveau de la vulnérabilité », exprime celle qui croit que la situation s’améliorera quand la crise économique et l’accès au logement seront rétablis. 

Mettre la main à la pâte

L’ampleur qu’a prise l’itinérance dans la région a surpris plus d’un organisme, mais tous n’ont pas hésité à mettre la main à la pâte pour prendre le phénomène de front. 

« Quand l’itinérance est arrivée dans notre région au printemps passé, tout le monde s’est concerté. Chacun des organismes, même si ce n’est pas sa mission, a mis en place des mesures pour qu’on travaille ensemble et que personne ne reste dans l’oubli », félicite Josée Mailloux.

Il y a même des organismes qui se sont transformés pour répondre directement à la problématique. Mme Mailloux donne l’exemple du Carrefour Solidaire Haute-Côte-Nord qui a instauré un service de travail de rue ainsi qu’un programme d’hébergement pour les personnes en situation d’itinérance.

« À Baie-Comeau, le CJE Manicouagan qui a mis en place Entre deux portes pour ouvrir des lits pour des personnes itinérantes parce que la Résidence Saint-Joseph n’y arrivait plus. Tout le monde a fait preuve de créativité pour répondre aux besoins », renchérit-elle.

De l’argent et des logements

Le financement pour l’itinérance est plus que nécessaire ces derniers temps, mais Centraide Haute-Côte-Nord Manicouagan aimerait que plus de logements se construisent. “ Le besoin est vraiment là. Pour ce qui est de l’accompagnement psychosocial, on n’a jamais assez de sous ”, affirme l’intervenante de longue date.

Centraide a alloué 150 000 $ en 2024-2025 au Fonds de secours aux familles qui soutient notamment les personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir. Il s’agit d’un montant exceptionnel jamais investi jusqu’à maintenant, selon Josée Mailloux. “ Les années d’avant, on se gardait à peu près 10 000 $ par année pour ça, mais l’année passée, ça a été épouvantable les besoins ”, se désole-t-elle en précisant qu’une somme de 100 000 $ est attitrée à ce fonds pour 2025-2026. Celle-ci pourra être revue à la hausse si les besoins explosent. 

Bonne nouvelle, une enveloppe supplémentaire est accordée à tous les Centraide du Québec par le gouvernement pour un fonds de secours pour l’itinérance. La ministre Chantal Rouleau en a fait l’annonce la semaine dernière. Pour Centraide Haute-Côte-Nord Manicouagan, ça signifie 150 000 $ de plus pour les deux prochaines années.

“ On est en train de se concerter avec les deux MRC pour voir comment on va l’utiliser pour que ce montant soit vraiment efficace et qu’il réponde encore plus à des besoins. C’est très bienvenu, on ne l’avait pas vu venir. C’est un bon coup de pouce supplémentaire qui va nous aider à faire plus ”, se réjouit Mme Mailloux.

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