Il a vécu sur les terres, loin des pensionnats

Par Lucas Sanniti 5:00 AM - 25 mars 2025
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Grégoire « Kenikuen » Jourdain n'est jamais passé par les pensionnats autochtones. Photo Lucas Sanniti

Jusqu’à l’âge de 17 ans, Kenikuen Jourdain a arpenté son territoire ancestral aux côtés de sa famille, chaque automne, pour y récolter les bienfaits d’un mode de vie traditionnel innu. Un privilège qu’il a pu savourer, ayant échappé aux pensionnats autochtones.

Pendant plus de 150 ans, au-dessus de 150 000 enfants autochtones, inuits et métis ont été enlevés de leurs familles, forcés à fréquenter des pensionnats loin de chez eux. Beaucoup n’en sont jamais revenus.

En 1920, la Loi sur les Indiens a rendu obligatoire la fréquentation des pensionnats pour les enfants de 7 à 15 ans ayant le statut d’Indien. Kenikuen, de son nom français, Grégoire Jourdain, a pu échapper à cette réalité.

À l’âge de 12 ans, il a été envoyé à une école de jour, à Uashat, aux côtés de sept autres écoliers. Ce passage fut de courte durée ; l’école a fermé et la plupart des élèves ont été transférés au pensionnat de Maliotenam, mais pas Kenikuen.

« Nos familles ne nous ont pas obligés à aller là-bas », dit-il.

Mis à part des lettres envoyées aux domiciles et des menaces de la part des pensionnats d’envoyer des agents pour chercher les enfants, la famille de Kenikuen n’a pas vécu d’arrachement, à proprement parler.

Ses parents, ayant entendu parler des mauvais traitements qui y avaient lieu, n’ont pas insisté sur la question. Il était septembre, les terres appelaient. Kenikuen Jourdain a répondu et n’a plus remis les pieds dans un établissement scolaire. 

Les terres plutôt que l’école

« Je suis né dans les bois, aux environs de Schefferville, près d’une rivière », se remémore-t-il.

L’homme de 83 ans, qui habite aujourd’hui Uashat, a vécu une enfance teintée de souvenirs marquants sur le territoire.

L’automne, il accompagnait ses parents dans le Nutshimit, à l’intérieur des terres, pour y récolter le gibier. Les revenus des peaux et des fourrures qu’ils vendaient à la Baie d’Hudson servaient comme moyen de subsistance pour le reste de l’année. Le jeune Kenikuen aidait comme il le pouvait.

« J’ai appris à faire des petits travaux. Je me rappelle avoir joué, être allé chercher de l’eau et avoir rentré du bois dans la tente. Ce n’était pas difficile », partage-t-il. 

Apprendre autrement

À 17 ans, il a réussi à trouver des petits boulots en arpentage, ici et là. Il allait où le travail était, le labeur ne manquait pas. Il donnait toutes ses économies à sa famille.

« Je n’étais pas là pour tenir une hache ou une pelle. C’était des apprentissages que les arpenteurs me donnaient », témoigne Kenikuen Jourdain.

Au fil des emplois, il s’est retrouvé à travailler pour IOC pendant près de 30 ans. Ce travail lui a donné une grande liberté, ainsi que des enseignements manuels pour lesquels il est très reconnaissant.

« J’aurais eu de la misère à seulement recevoir de la pension », fait-il remarquer. « Je suis reconnaissant de pouvoir encore bouger, d’aller dans les bois n’importe quand, n’importe comment. »

Un regret révolu

À l’origine, Kenikuen Jourdain vivait une certaine déception du fait de ne pas avoir reçu une éducation formelle. S’il a reçu des échos des abus qui se produisaient en pensionnats autochtones, il explique qu’il ne les a jamais vus de ses propres yeux.

« Oui, j’ai entendu des choses, mais je n’ai jamais été là pour le voir. J’avais de la misère à y croire », résume Kenikuen Jourdain. « Je suis vraiment bien content aujourd’hui. Je n’ai plus de regrets de n’être jamais allé à l’école », ajoute-t-il.

Désormais retraité, Kenikuen Jourdain est souvent invité à des événements culturels pour transmettre ses connaissances auprès des jeunes. S’il est reconnaissant de pouvoir faire vivre ses enseignements auprès des générations futures, il reconnaît qu’il « ne sait pas tout ».

« Moi-même, je manque beaucoup de culture », admet-il. « À avoir travaillé si longtemps dès un jeune âge, je n’ai pas pu tout voir, mais je suis content de pouvoir amener mes sœurs dans le bois et qu’elles ne manquent de rien. » 

– Collaboration Sylvie Ambroise 

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