CHRONIQUE | Et pourtant…

Par Anne-Sophie Paquet-T. 7:00 AM - 6 mars 2025
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Le 1er juin 2024, dans la Capitale-Nationale, des groupes féministes, syndicaux et citoyens se sont rassemblés pour affirmer que le recul des droits des femmes au pays est inacceptable. Photo Hélène Nazon 

Le 8 mars est la Journée internationale des droits des femmes. Ça, tout le monde le sait. Même que certains et certaines lèvent les yeux au ciel lors de cette journée de sensibilisation se demandant la pertinence de son existence. Et pourtant…

Si je vous posais la question : avons-nous fait du chemin à propos des droits des femmes depuis les dernières décennies ? D’emblée, nous allons rapidement affirmer que oui. Et pourtant…

Pensons au droit à l’avortement.

Décriminalisé au Canada en 1988, ce droit semble solidement ancré dans notre société depuis les trois dernières décennies. Et pourtant…

Aujourd’hui, en 2025, nous sommes au sommet d’une pente glissante, très glissante. À un projet de loi de dégringoler pour atterrir dans le passé.

Carol-Ann Boudreau, coordonnatrice en périnatalité à la Maison des familles et Centre de ressources périnatales de Baie-Comeau, travaille quotidiennement avec une clientèle féminine confrontée à ce choix. Souvent difficile comme choix. Non pas par peur de regretter, mais parce que ce n’est pas de gaîté de cœur qu’elles se rendent à l’hôpital, les deux pieds dans les étriers, à fixer le plafond pour décider de ce qu’elles désirent conserver ou non dans leur système reproducteur. 

C’est leur corps, leur utérus, leur choix et personne ne devrait décider pour elles. Et pourtant…

Encore en 2025, les politiciens, les manifestants anti-choix, la religion et la pression sociale souhaitent débarquer sans invitation dans cette prise de décision personnelle. 

Chez nous, pour les femmes de la Côte-Nord, c’est encore moins facile. 

Seules Baie-Comeau et Sept-Îles offrent le service d’avortement chirurgical. Celui-ci est réalisé une fois par semaine, et ce, après une première rencontre qui s’est déjà déroulée en présentiel. 

Si je pense à celles vivant dans des zones plus isolées, l’accès à l’avortement devient un parcours du combattant, exigeant en temps, déplacements et coûts. Il vient avec une organisation complexe.

Les centaines de kilomètres qui séparent les résidences et les points de services en ramènent plusieurs dans le passé et malheureusement, ce choix n’est pas un choix. 

Oui, l’avortement médicamenteux se réalise au Canada et ici dans notre région. Par contre, seuls certains professionnels de la santé, comme les médecins et les infirmières praticiennes, peuvent le prescrire. Le traitement doit être pris avant neuf semaines de gestation, ce qui est relativement court comme délai et rapidement n’est plus une option. 

La Journée internationale des droits des femmes est aussi l’occasion de rappeler notre alliance à ce droit fragile. À titre d’exemple, Carol-Ann Boudreau souligne l’importance des mots utilisés lors d’une interruption de grossesse. Le système de santé parle d’interruption volontaire de grossesse (IVG) et d’interruption médicale de grossesse (IMG), comme si l’une était un caprice et l’autre une nécessité impérieuse. Et pourtant…

La procédure médicale est la même. Cette distinction est avant tout morale.

Dans ce contexte, plusieurs militantes et intervenantes en santé préfèrent parler simplement d’interruption de grossesse afin de ne pas sous-entendre un jugement de valeur sur le choix des femmes.

Nous devons continuer d’avancer.

En tant que société, devons-nous accepter qu’une femme de notre région doive parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour exercer un droit reconnu depuis 37 ans ? Non ? Et pourtant… C’est la réalité de plus d’une Nord-Côtière.

Le 8 mars, avant de lever les yeux au ciel, profitons-en pour nous rappeler que l’avortement est un soin de santé qui devrait être accessible à toutes les femmes qui décident de le choisir.

Faisons-le pour toutes celles qui nous entourent, toutes celles qui grandiront dans notre société et toutes celles qui, dans ce monde, n’ont toujours pas le droit de se sentir libres de choisir l’avenir de leur cavité utérine.