Vous souvenez-vous de Karlos ?

Karl Bergeron et Emy-Jane Déry, juin 2015. Photo courtoisie
Karl Bergeron, alias Karlos, est l’être le plus généreux que j’ai croisé dans ma vie. J’ai eu la chance de travailler avec lui pendant de belles années, au 99,1 La RadioActive. Notre duo d’animation à la barre de l’émission du Retour à la maison de Sept-Îles connaissait un bon succès. Karl le gentil, intelligent. Moi, la méchante sans pitié, toujours à l’affût du punch. Bref, ça fonctionnait. Les contrastes, c’est toujours efficace. Un jour, après le bulletin d’information national, je n’ai pas allumé le micro de Karl à 15 h 3. Puis, je ne l’ai plus jamais réouvert.
En plus de notre relation de travail sur les ondes, on était des amis quand le micro fermait. Je pouvais toujours compter sur Karl. C’était comme un grand frère protecteur. On avait du fun. On était jeunes et sans responsabilité autres que nos chiens respectifs. On gagnait notre vie en divertissant les gens. La belle époque !
À un moment donné, Karl n’a pas pu venir faire Le Retour avec moi. Quand ses jours d’absence ont commencé à devenir des semaines, j’ai compris qu’il n’avait pas la gastro.
Je savais que Karl avait une maladie qui lui donnait du fil à retordre, mais ni lui, ni moi à ce moment, ne savions à quel point. Elle avait, jusque-là, été relativement en dormance.
Quand elle s’est réveillée, tout a changé. La Dystrophie sympathique réflexe. Avec un nom de même, on sait tout de suite que ça va être compliqué. C’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui, elle a été rebaptisée Syndrome régional de douleur complexe. Un peu moins rushant, quand même.
Pourtant, cette rare maladie a fait vivre à Karl des choses inimaginables. Du jour au lendemain, à un certain point, Karl ne savait même pas s’il pourrait remarcher un jour. Il était méconnaissable, prisonnier de cette maladie que même les meilleurs experts du pays ne comprenaient pas.
« Monsieur Michelin », illustre-t-il, pour parler de son allure physique, dans les moments creux.
Karl n’est jamais revenu faire Le Retour avec moi. Et à travers cette tempête et ce combat qu’il a mené, je l’ai perdu aussi.
Au début, on allait le voir à l’hôpital, on lui rendait visite à la maison et les bonnes journées, c’est lui qui venait nous voir dans les studios de radio. « On » étant ses amis et collègues de travail.
Il est venu voir jouer notre traditionnelle équipe de la catégorie Z, au Tournoi Orange. Évidemment, il n’avait pas pu être des nôtres pour taper le ballon, cette fois-là. Il est entré dans le gymnase du Centre socio par le petit ascenseur pour personne à mobilité réduite. Il était là, mais dans son fauteuil roulant.
On était tous à la fois extrêmement heureux de le voir, troublés et gelés par la tournure des événements.
Je vous rappelle que Karl était pour nous le jeune collègue en pleine santé, qui du jour au lendemain, est devenu incapable de se lever de son lit.
Du jour au lendemain. Comme ça. Sans crier gare.
Il avait des hauts et des bas. On a pensé quelques fois qu’il allait nous revenir, puis une rechute se présentait.
Je me souviens encore de la fois où, lors d’une de ses visites, il nous a raconté dans la salle de break l’expérience avec l’au-delà que lui a fait vivre un ultime traitement, duquel il ne savait pas si les conséquences seraient positives, ou potentiellement mortelles.
Je vous le dis, une histoire de fou. De quoi rendre fou d’ailleurs.
Mais Karl, avec toute sa résilience surnaturelle, est passé au travers.
Il est venu me voir au bureau, mardi. Ça faisait des années que je ne l’avais pas vu. Par contre, je l’avais quand même croisé quelques fois. Je lui avais aussi rendu visite avec mon fils, dans sa maison. Il ne s’en souvient pas, de ça, comme d’une bonne partie des dernières années, m’a-t-il dit.
En collaboration avec son médecin traitant et l’Association québécoise de la douleur chronique, il lance un groupe d’entraide en la matière pour la Côte-Nord. Un peu comme les AA, le groupe permettra aux gens qui composent avec ça d’échanger, de s’encourager, de trouver des solutions pour mieux gérer le quotidien et pour cheminer, face à la douleur.
— Pourquoi tu fais ça, Karl ?
— Ça fait partie de mon processus de guérison : je veux redonner, aider.
— Mais Karl, tu n’as pas tué quelqu’un avec ton char en boisson ! T’as été malade. C’est pas de ta faute !
Puis, en disant ça, je me suis souvenue de mon Karl. Le gars qui a rencontré la femme de sa vie en servant bénévolement, avec elle, des déjeuners pour le Transit en compagnie de Doris Nadeau. Vous vous rappelez ? Karl c’est l’être le plus généreux que j’ai croisé de ma vie. Ça a toujours été dans sa nature d’aider. Pourquoi ce serait différent maintenant ?
Il m’explique ce que ce groupe pourrait apporter aux gens qui souffrent. Ils sont souvent stigmatisés. Il y a beaucoup d’incompréhension face à leur réalité qu’on surnomme « l’handicap invisible ».
« Bon il est encore pas à la job à matin celui-là ».
Le jugement des autres peut les mener jusqu’à un état dépressif.
Je n’ai jamais douté de la douleur ressentie par Karl. Par contre, face à l’inconnu, comme plusieurs de ses amis, je n’ai pas su quoi faire, ni comment agir, ou comment aider. J’ai figé. Je m’en voudrai toujours, essentiellement parce que je sais que lui aurait su quoi faire. Et que, dans la situation inverse, mon « grand frère protecteur » aurait été là pour moi.
Aujourd’hui, Karl va mieux. À travers ses années de maladie, de guérisons, de rechutes, il s’est réinventé maintes fois, il a commencé un cours en soins infirmiers, il a eu un enfant.
Un médecin spécialiste du CHUM l’a entraîné dans la méditation, m’explique-t-il.
« C’est comme ça que j’ai fait la paix avec la maladie. »
En gros, l’énergie qu’il mettait à angoisser et à craindre un retour en force de cette maladie incurable et imprévisible, il la met ailleurs, maintenant. Dans le groupe d’entraide, par exemple.
« Je n’ai plus peur. Si ça revient, je vais l’affronter, c’est tout. »
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