Les Innus traversent une sorte de révolution tranquille

Par Jean-Louis Bordeleau, Initiative de journalisme local 12:43 PM - 14 janvier 2025
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Inauguration des nouveaux bureaux de la SDEUM. De gauche à droite, Kenny Régis, Ken Rock, Bruce Michel, Johnny Régis, Karine Fontaine-Jourdain et Mike Mckenzie. Photo archives

Une première mine de propriété autochtone au Québec ? Le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, y croit. Une signature en décembre dernier a confirmé que sa nation pourra devenir partenaire financière dans l’exploitation du territoire avec un promoteur allochtone.

« C’est un projet de mine de phosphate à proximité de notre communauté, dans un secteur où on ne pratique pratiquement pas nos activités traditionnelles, explique le leader de la communauté du Lac-Saint-Jean. C’est un concept drôlement intéressant pour nous. On prend la voie d’être promoteurs et partenaires, pas juste bénéficiaires d’une compensation. »

Cette entente n’est que la dernière d’une liste de prises de pouvoir économique qui continue de s’allonger. L’an dernier, son équipe s’est entendue avec Hydro-Québec pour être « partenaire » dans la création d’un gigantesque parc éolien. Quelques mois auparavant, elle s’associait avec la nation attikamek pour la construction d’une minicentrale hydroélectrique dans Lanaudière. Un nouveau quartier d’affaires a aussi vu le jour sur la rue principale de Mashteuiatsh l’an dernier pour attirer des partenaires commerciaux et industriels.

On pourrait croire qu’une sorte de révolution tranquille traverse présentement la nation innue. « C’est fini, l’ère où les grandes industries, les grandes entreprises ou les grandes sociétés d’État arrivent avec leurs idées conçues d’avance et nous imposent leurs projets », assène-t-il. « On est aussi sur la chaise du conducteur avec une main sur le volant. »

Trop longtemps « enraciné dans un problème de dépendance étatique », son conseil de bande a rédigé l’an dernier les premières lignes d’une nouvelle « gouvernance économique » de la nation établie sur les berges du lac Saint-Jean. « Le grand changement, c’est la conscience qu’il faut utiliser l’économie pour développer nos Premières Nations », résume le chef Dominique.

« Entre Gilbert [Dominique] et nous, qui sera le premier ? On ne sait pas », lance pour plaisanter Ken Rock, le directeur général de la Société de développement économique d’Uashat mak Mani-Utenam, communauté vivant près de Sept-Îles. Lui aussi est en discussion avec une société minière en vue d’une participation dans un projet d’extraction. « Mais on voit que la donne change. »

La première mine possédée par des Autochtones pourrait cependant naître en Ontario. La Nation Taykwa Tagamou a investi 20 millions de dollars pour créer une mine de nickel sur son territoire.

Les ERA, « une époque révolue »

« Au début, on envoyait partout des mises en demeure. Ça a commencé beaucoup comme ça. »

Mike Mckenzie, le chef des Innus d’Uashat mak Mani-utenam, a vu l’économie de sa nation se transformer depuis son arrivée en politique, en 2007. Autrefois basée sur les redevances et les compensations, elle est maintenant assise sur des « partenariats » et des « actionnariats » toujours plus diversifiés. « Les finances du conseil étaient très basses [en 2007], confie-t-il. On est parti à environ 35 millions de dollars. Aujourd’hui, on gère quasiment 300 millions. »

L’argent des redevances d’hier a été utilisé comme levier pour investir dans les projets d’aujourd’hui. Le parc éolien Apuiat, qui doit entrer en service avant la fin de l’hiver, en est peut-être le meilleur exemple. Les Innus sont promoteurs et actionnaires à 50 % de ce projet, qui a tout de même déboisé une partie de leur territoire ancestral. « Avant, nous subissions le développement économique, et maintenant, nous le bâtissons. »

Négociateur en chef pour les Innus depuis des décennies, Ken Rock observe que le principe des « ERA », acronyme pour « ententes sur les répercussions et les avantages », a presque toujours été la marche suivie. Il permettait l’exploitation du territoire en échange « d’emplois, de formation et de quelques bénéfices en fonction de la production, mais pas du prix du minerai ». Cette époque « est une époque révolue », affirme-t-il aujourd’hui.

« Pour les nouveaux projets, on doit être actionnaires, on doit être partenaires. On veut siéger aux conseils d’administration, participer aux décisions. Évidemment, le territoire, on le connaît. Il y a des décisions qu’on sait qu’il ne faut pas aller par là, que ce ne sera pas accepté par la communauté. »

Le premier exemple, c’est la protection de la rivière Moisie. Le cours d’eau appelé Mishta-shipu en innu est central pour la migration de son peuple à l’intérieur des terres, et ce, depuis des millénaires. La conserver intacte demeura éternellement une priorité, dit-il.

« On ne s’oppose pas aux projets pour le plaisir de s’opposer aux projets. […] Utilement, ce que je fais, c’est pour améliorer nos conditions socio-économiques. »

La page sombre des pensionnats est aussi tournée. La jeunesse innue se trouve maintenant sur les bancs des universités. À Uashat mak Mani-Utenam, pour quelque 4500 personnes, on compte trois médecins, six ou sept avocats, « plein » d’administrateurs et « quelques » ingénieurs, énumère-t-il.

Ce changement de cap n’a pas lieu dans tous les villages, nuance cependant Ken Rock. Les plus petits conseils de bande « n’ont pas les outils et les ressources » pour faire reconnaître leurs droits. « On n’est pas typique de toutes les communautés. »

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.