Le gardien des baleines

Par Emelie Bernier 12:00 PM - 17 octobre 2024 Initiative de journalisme local
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Les mammifères marins et les bateaux cohabitent dans le fleuve, mais cette cohabitation est plus périlleuse pour les animaux que pour les géants de fer, rappelle Jacques Gélineau.

Même s’il désapprouve aujourd’hui les méthodes peu orthodoxes de Jacques Cousteau, Jacques Gélineau reconnaît que le commandant à l’emblématique bonnet rouge lui a donné, le premier, le « goût de l’eau ». 

Jacques Gélineau a adopté la Côte-Nord à la mi-vingtaine. À cette époque, il est un entrepreneur en construction plutôt prospère à Montréal. 

« Je sortais de l’armée, je travaillais sept jours sur sept, j’étais fatigué. J’avais l’impression de passer à côté de mes rêves. Je voulais vivre dans la nature, bâtir une cabane en bois rond… » 

Épris d’aventure, il déploie une carte du Québec sur une table et regarde où finit la route. « Sur ma carte qui n’était pas jeune jeune, ça arrêtait à Sept-Îles. Finalement, quand je suis arrivé, j’ai vu que ça continuait jusqu’au Havre-Saint-Pierre! Ah!Ah! J’ai continué. » 

À l’époque, Jacques Gélineau connaît surtout la mer, la forêt, la faune et la flore grâce aux livres qu’il a lus, aux documentaires qu’il a vus.

Lorsqu’il embarque pour la première fois à bord du bateau du poète Jomphe en direction des îles Mingan, intouchées à l’époque, il vit une épiphanie. 

« C’est là que j’ai vu mon premier petit rorqual. Je suis devenu à moitié fou! Je connaissais les mammifères marins en théorie, parce que j’avais beaucoup appris là-dessus quand j’étais jeune, mais là, c’était autre chose! Et j’ai dit “je m’en viens vivre ici”. »  

De retour à Montréal, il vend tous ses meubles, et il reprend la route vers la Côte-Nord. 

Il se rappelle y avoir été accueilli à bras ouvert. « J’ai rencontré plein de monde, je me suis fait donner un premier bateau. C’était plutôt une épave… Une dame m’a permis de me construire sur sa terre à Baie-des-Homards. J’ai bâti ma cabane au Canada! À partir de là, je suis allé de découverte en découverte. »

Après trois hivers dans sa cambuse sans eau ni électricité construite en lisant le livre Vivre au temps jadis du Reader’s Digest, Jacques Gélineau décide de réintégrer la société!

« Pendant que je construisais ma cabane et que je vivais mon rêve de cabane au Canada, j’ai fait différents cours. J’ai ouvert une compagnie, Nortek, en 1984, en plein marasme économique. On faisait toutes sortes de trucs assez techniques… » 

Puis la crise économique et un « nouveau gérant de banque mandaté pour faire le ménage » ont eu raison de son entreprise. 

« Trois mois après ma faillite, ça n’allait pas très bien et je devais trouver une job. J’ai été photographe pour le journal Le Port-Cartois et je travaillais à la tourbière de Port-Cartier avant que la minière ArcelorMittal, dans le temps Québec Cartier, m’appelle pour me dire qu’il y avait un poste d’ouvert. Je suis resté 30 ans là. »

Pour un écologiste comme Jacques Gélineau, n’est-il pas paradoxal d’avoir fait carrière dans une industrie aussi polluante que la sidérurgie?

« Au final, j’ai surtout été représentant syndical » , lance-t-il en riant.

Photo courtoisie Jacques Gélineau

Rendez-vous manqués avec la politique

L’homme est, à tout le moins, engagé. Il a d’ailleurs été candidat à huit élections, à tous les paliers. « Municipales, provinciales, fédérales, je les ai toutes faites. Et toutes perdues » , dit-il sans ambages. L’apitoiement, très peu pour lui. 

« J’ai voulu faire de la politique pour changer les choses. Finalement, ce n’était pas mon médium ». Il n’est pas amer. « Ça m’a donné une tribune pour communiquer mes idées, parler d’environnement, pas juste de greenwashing, là, d’environnement, d’écologie, de développement durable pour vrai. » 

Durant ces années chez ArcelorMittal, Jacques Gélineau n’a jamais cessé de cultiver sa relation avec la mer. « J’ai toujours eu cette passion-là. Même à Montréal, je naviguais, mais quand je suis arrivé à Baie-des-Homards, que j’ai eu un vrai bateau, c’est passé en vitesse supérieure. Être sur l’eau salée, avec les animaux, les baleines, les phoques, c’est ce que je préfère dans la vie. » 

En 1982, il visite la Station de recherche de Mingan. Sa rencontre avec Richard Sears, le scientifique en charge, est déterminante. « J’y retournais tous les ans et en 1988, j’ai dit “avez-vous besoin d’un coup de main?”  J’ai travaillé à la construction d’une tour, mais comme j’avais des connaissances scientifiques un peu plus élevées que la moyenne. Richard m’a proposé de faire de la recherche. J’ai dit “donne-moi un mustang et une caméra” et je suis parti. Depuis ce temps-là, je n’ai jamais arrêté. » 

25 ans plus tard, il arpente encore avec autant de bonheur les eaux de la Côte-Nord, à partir du camp de base où est stationné son bateau, Port-Cartier. 

« Je suis autodidacte, mais j’ai pris quelques formations en sciences de l’environnement, en géologie, et suivi la formation Planète terre de l’Université Laval. Je suis abonnée à Académia, je reçois les projets de maîtrise et de doctorats pour me tenir à jour. J’essaie de faire un travail de vulgarisation en produisant des émissions à NousTV » , ajoute-t-il.

Jacques Gélineau est un environnementaliste engagé. Si ce qu’il voit le décourage souvent, il préfère nourrir l’espoir d’une vaste prise de conscience collective. 

« Actuellement, il se passe de grandes choses. On va avoir besoin de la science citoyenne pour atteindre nos objectifs. Ça prend le concours de tout le monde. De mon côté, je travaille avec la station. Ce sont les meilleurs dans leur domaine. S’il me demande ma contribution, je dis oui. Quand vient le temps de se battre pour ce qui me tient à cœur, je suis un bon soldat. » 

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