Jaws aime bien la Côte-Nord

Par Emy-Jane Déry 4:00 PM - 18 septembre 2024
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Photo Groupes de recherche du MPO sur les requins et les phoques de l’Atlantique

Le plus gros poisson carnivore au monde aime de plus en plus traîner dans les eaux du golfe et de l’estuaire du Saint-Laurent.

Le requin blanc peut faire jusqu’à 5 mètres de long et pèse en moyenne 5 000 livres. Naturellement, on l’imagine davantage dans les eaux chaudes des plages touristiques de Cape Cod, dans le Massachusetts. D’ailleurs, c’est là que le cinéaste Steven Spielberg a tourné le film Jaws, dans les années 70’. À ce jour, on ferme parfois des plages dans le secteur, en raison de la présence de l’animal. 

Qu’en est-il au large de la Côte-Nord ? Il y a eu quelques détections du requin blanc à la hauteur de Rivière-au-Tonnerre, dans les dernières années. Les signalements de carcasses de phoques gris avec des marques qui s’apparentent à des attaques de requins sont aussi de plus en plus fréquents. 

Historiquement, dans les années 40’, des pêcheurs ont déclaré en avoir capturé à Tête-à-la-Baleine et aux Islet-Caribou. Un autre aurait été abattu par un biologiste près de Portneuf-sur-Mer. 

Le requin blanc aurait donc toujours fréquenté les eaux canadiennes, mais c’est qu’il semble s’y plaire de plus en plus. Tellement, que depuis 2021, Pêches et Océans Canada compte un programme de recherche qui s’intéresse particulièrement au phénomène et à ses impacts. Les chercheurs regardent notamment l’interaction du requin blanc avec une de ses proies de prédilection : le phoque gris. 

« Les requins qui sont principalement marqués aux États-Unis, dans les eaux de Cape Cod pour la plupart, ont une plus grande probabilité, dans les dernières années, de migrer en eaux canadiennes et quand ils le font, on voit qu’il y a une augmentation du temps qu’ils y passent », affirme Xavier Bordeleau, chercheur à l’Institut Maurice-Lamontagne. 

Les scientifiques marquent des requins à l’aide de tag, qui leur permettent de les suivre par satellite. On les observe principalement au large des Îles-de-la-Madeleine et de la péninsule gaspésienne. Il y en a aussi au large de la Côte-Nord, mais de manière moins importante. Cependant, ce n’est qu’une petite partie de la population qui est suivie, note M. Bordeleau. Il faut donc faire attention avant de sauter trop rapidement aux conclusions.

« L’eau est plus froide [sur la Côte-Nord], c’est plus loin en termes de distance à parcourir. Mais, on voit que nous avons déjà documenté des mouvements et ça, c’est juste pour la proportion des requins qui portent un tag. La majorité des animaux dans la population ne sont pas marqués, donc ça n’exclut pas qu’il puisse y en avoir plus », indique-t-il. 

Les scientifiques ne savent pas encore exactement ce qui explique l’augmentation de la population de requin blanc dans les eaux canadiennes. Ils ont toutefois certaines hypothèses : le réchauffement des eaux, la présence importante du phoque gris (une proie importante pour lui) et le rétablissement des populations de requins qui jouissent désormais d’un statut de protection aux États-Unis et au Canada, après avoir été énormément exploités dans les 30 dernières années.

« Il y a donc de plus en plus d’animaux et l’eau est de plus en plus intéressante pour eux », illustre Xavier Bordeleau. 

Le requin et l’humain

En Nouvelle-Écosse, on commence à signaler aux baigneurs la présence de l’animal. 

« Je pense que c’est important que les gens soient conscients », dit M. Bordeleau.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la communauté scientifique fait l’effort de médiatiser les nouvelles données sur le requin. Des gens qui se baignent près de colonies de phoques, il y en a, déplore-t-il. 

« Une colonie isolée à 20 km de la côte, avec des gens qui se baignent là, quand l’année précédente, c’est là qu’on a marqué la majorité des requins », rapporte-t-il. 

Au-delà de la sensibilisation, il demeure que c’est la responsabilité de chacun d’être conscient et prudent, souligne Xavier Bordeleau. Un peu au même titre que lors d’une balade en forêt : c’est l’habitat naturel de plusieurs espèces, il faut être vigilant. 

« Le risque d’attaque est quand même infime par rapport a beaucoup d’autres sources d’incidents dans la vie », nuance le scientifique, sans toutefois vouloir minimiser les risques qui seraient plus présents en eaux profondes, qu’aux abords des plages comme à Cape Cod. 

« C’est des choses qu’on voit moins pour l’instant ici. Mais ça n’exclut pas le fait qu’ils peuvent être dans des eaux de 2 mètres de profondeur », dit M. Bordeleau.  

Malgré sa taille imposante et sa dentition aiguisée, le requin blanc demeure un animal « timide ».  

« Même quand on essaie très fort d’attirer le requin à proximité du bateau dans un objectif scientifique de le marquer, on voit que ce sont des animaux curieux, mais aussi peureux », dit-il. « On s’imagine qu’ils se lancent sur les appas dès la première seconde, mais pas du tout. Ça peut prendre plusieurs heures avant qu’un requin devienne assez confortable pour même s’approcher à moins de 5 mètres du bateau. »

Les découvertes à propos du requin blanc continuent d’affluer, même après plusieurs années de recherches. 

« Plus on apprend à les connaître, plus ça démystifie aussi. On voit le bel animal que c’est, pas juste à quel point ça pourrait être dangereux. »