Une histoire encore jamais racontée
La SPCA de Sept-Îles déborde d’animaux, particulièrement de chats.
À la SPCA Côte-Nord, c’est la tempête parfaite qui souffle à plein régime. Le refuge déborde et n’accepte plus de nouveaux pensionnaires, faute d’espace. Mais le problème est grand, car il n’est pas question ici d’infrastructures, de matériel ou d’argent, mais bien d’humains.
Enfin c’est lumineux. Les fenêtres sont immenses dans le nouveau bâtiment de la SPCA Côte-Nord. Nouveau… de moins en moins (2023), mais il a été attendu si longtemps qu’on peut se permettre d’étirer le terme encore un bout.
Terminée la shed (oui, oui, la shed !) désuète cachée au fond de la rue Holliday. Les dévoués employés peuvent finalement arriver le matin dans un lieu de travail digne de ce nom. Un problème majeur de plusieurs millions de dollars de réglé pour l’organisme, qui est cependant loin d’être au bout de ses peines.
Même avec de nouveaux locaux, la SPCA n’arrive pas à offrir tous ses services à la population. Si bien, que la ligne d’urgence 24/7 existe, mais la personne au bout du fil pourrait bien vous dire qu’elle ne peut pas intervenir, car elle n’a plus d’espace pour de nouveaux animaux. Ça dépend des jours.
L’abri de secours ? Il est là, mais il est cadenassé.
La petite cabane chauffée (fruits d’une magnifique initiative citoyenne) avait initialement comme vocation d’empêcher les abandons d’animaux devant la porte de la SPCA, en dehors de ses heures d’ouverture. Quelqu’un, par exemple, qui trouvait un chien à minuit le soir, pouvait aller le porter dans cet abri, beau temps, mauvais temps. L’animal y serait en sécurité jusqu’au matin, où un employé de la SPCA allait s’en charger.
Mais le moment venu, dans le contexte actuel, la SPCA n’a pas plus d’espace pour accueillir le pensionnaire à l’intérieur de ses murs. Elle a mis un cadenas, parce que des gens, s’étant vu refuser l’abandon de leur animal dans la journée, se rendaient le déposer dans l’abri le soir venu.
Une fois l’abri de secours cadenassé, les gens ont commencé à abandonner les animaux dans les enclos, à l’arrière de la SPCA, qui servent pour dégourdir les pensionnaires.
Là aussi, on a dû installer des cadenas.
Bref, si vous vous retrouvez avec un animal errant sous les bras, vos options sont limitées. Votre meilleure chance est de retrouver son propriétaire.
En chiffres ? Chaque jour, il y a en moyenne 2,5 entrées animalières à la SPCA pour 0,5 adoption. Rapidement, pas besoin d’être un actuaire pour saisir qu’on est dans le trou.
Les photos d’animaux perdus sont chose du quotidien sur les réseaux sociaux du refuge.
« Errant, trouvé à tel endroit, si non réclamé après 3 jours, l’animal devient considéré comme appartenant au refuge », c’est à peu près la petite phrase d’introduction qu’on peut lire pour chaque petite binette qui s’y retrouve.
Pour les chiens, dans 50-60 % des cas, on pourra ajouter à la publication « de retour à la maison ». Pour les chats, seulement 20 %.
« Il y a même des gens qui se servent de nous comme garderie en nous répondant qu’ils partent à l’extérieur pour quelques jours et qu’ils reviendront chercher leur animal après », affirme Daphnée Gwilliam, directrice de la SPCA Côte-Nord.
En passant, Côte-Nord ne veut pas dire que l’organisme a une vocation régionale. Sauf que les options sont très limitées, ou inexistantes dans les kilomètres avoisinants.
En Haute-Côte-Nord les services de refuges sont inexistants. À Baie-Comeau, le Chapitou déborde lui aussi. À Baie-Trinité, une petite organisation lutte pour gérer la population de chats errants qui se transforme tranquillement en problème de chats sauvages. À Port-Cartier, la SPA n’a pas d’espace en trop non plus, ce qui nous mène à Sept-Îles. Ensuite ? Plus rien. Jusqu’à la fin de la route 138. Aucun service. Pas de refuge, pas de vétérinaires. Juste beaucoup d’animaux, qui souvent, par défaut, se retrouvent, ou se retrouvaient à la SPCA « Côte-Nord ».
Désormais, la SPCA ne les prend plus. La population de Havre-Saint-Pierre ne peut plus venir abandonner d’animaux à Sept-Îles, qui n’a simplement plus les capacités techniques pour les prendre en charge.
Certains sont plus rusés que d’autres, ou plus cruels, c’est selon. Mercredi matin, je suis arrivée à la SPCA pour ma visite, presque en même temps que deux petits chiots retrouvés abandonnés dans une cage, au beau milieu d’un stationnement.
La cage est là, à côté de la vadrouille, pendant qu’une employée prépare une pièce improvisée pour les installer pour leur quarantaine.
Un mal répandu
Qu’est-ce qui se passe ? La Covid a frappé fort. Tous ces animaux adoptés sur un coup de tête, qui soudainement, deviennent un fardeau. Le contexte est difficile partout au Québec pour les refuges, Sept-Îles ne fait pas exception à la règle. Pire, en région plus éloignée, le bassin de potentiels adoptants est clairement désavantagé. En ce sens, il y a eu longtemps des transferts d’animaux de Sept-Îles vers de plus grands centres, afin d’augmenter leurs chances d’adoption. Des pilotes d’avion bénévoles faisaient même la navette pour éviter de longs trajets pénibles aux animaux, tout en augmentant leurs heures de vol, nécessaires à leur avancée dans le domaine de l’aviation. Un beau win win, comme on dit. Mais c’est de l’histoire ancienne, ou rarissime, car la SPCA Laurentides-Label, qui a longtemps collaboré à cette belle idée en accueillant des animaux septiliens, déborde maintenant, elle aussi.
On est dans une période de jamais-vu à la SPCA et dans le monde des refuges animaliers, dans une histoire qui n’a encore jamais été racontée.
Daphnée Gwilliam
« On est dans une période de jamais-vu à la SPCA et dans le monde des refuges animaliers, dans une histoire qui n’a encore jamais été racontée. Les animaux ne sont plus traités comme des membres de la famille, c’est ça le problème », déplore Mme Gwilliam.
Les règles du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) se resserrent, imposant plus de contraintes aux refuges, qui sont déjà très limités. Les abandons sont en hausse, les naissances continuent d’affluer. On peut penser que la pénurie de vétérinaires qui frappe partout en province n’aide pas la cause des castrations. On a fermé la chambre à gaz de la SPCA. Faire des euthanasies de masse était juste contre les principes et la mission de protection des animaux de l’organisme. Ça ne faisait pas de sens pour les employés et c’était une grande source de démotivation.
Le manque de responsabilisation et de connaissances de bien des propriétaires d’animaux est flagrant (pas besoin de remonter bien haut dans ce texte pour y retrouver quelques exemples). Quand je nommais en introduction que le problème était de nature humaine, c’est ça. Il faut changer des perceptions, des coutumes, des principes… des valeurs ! Pas un petit défi…
C’est en partie la constitution de cette tempête parfaite que traverse actuellement la SPCA de Sept-Îles.
En vrille
Mais comment arrêter cette vrille qui semble sans fin ?
La SPCA mise sur la sensibilisation, entre autres. Récemment, elle a mis à son calendrier plusieurs activités, ce qui est relativement nouveau pour l’organisme. Le Complexe Canin Boréal vient, dans la nouvelle grande salle de conférence, donner des cours pour aider les humains et les chiens à mieux se comprendre. Fin août, il y aura un séminaire canin donné par l’entreprise CoeurCanin dans la même optique (des formations sur la réactivité canine et sur le rappel et la marche en laisse). Il y a aussi des cliniques de micropuce à l’horaire de la SPCA et des activités de coupe de griffes, question de faire voir un peu plus le refuge au passage et de sensibiliser la population à sa réalité.
Barrières à l’adoption
Jusqu’au 1er septembre, le prix de tous les animaux de l’organisme est réduit à 50 $. Cette solution ne fait pas toujours l’unanimité, mais elle a fait ses preuves aux États-Unis, entre autres. Des études récentes démontrent que cela n’engendre pas un retour des animaux en refuge suite à un achat non réfléchi, bien au contraire. On observe simplement une hausse des adoptions. Aussi, terminés les rendez-vous pour adopter et les questionnaires à l’infinie. Pour Mme Gwilliam, il était clair qu’il fallait et qu’il faut changer l’approche de l’organisme envers la population. Les employés sont désormais des « conseillers à l’adoption ». Ils vont s’assurer de faire les meilleurs match, en fonction des besoins et réalités des potentiels adoptants qui se présentent.
« Il y avait trop d’étapes à franchir, on a vraiment simplifié le chemin », dit-elle.
De plus en plus, la SPCA est présente sur les réseaux sociaux, où elle affiche des « vedettes » de la semaine, où elle présente aussi ses adoptés.
Quand on y pense, tous les domaines sont un peu en crise, depuis quelques années. Il n’y a plus de crevette au large de Sept-Îles, on n’a jamais eu autant de feux de forêt, il n’y a plus de sauveteurs à la plage, plus de profs pour enseigner, plus d’éducatrices pour tenir des garderies et plus d’intervenantes à la DPJ pour donner des services. Actuellement, même l’Hôpital de Sept-Îles n’est pas capable de fonctionner à plein régime. Donc, que les animaux aussi traversent une époque inquiétante… ce n’est pas surprenant, mais je pense qu’il faut le dire, le raconter.
Horizon
Horizon, des contenus marketing présentés par et pour nos annonceurs.