La drag qui dérange

Par Anne-Sophie Paquet-T. 12:30 PM - 27 avril 2023
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Les finissants de la polyvalente des Baies désiraient avoir un souvenir avec Barbada pour leur album souvenirs du secondaire. (Photo : CSS de l’Estuaire)

Attention, je me lance! Je m’embarque dans un sujet chaud, un sujet d’actualité, un sujet qui dérange, je dirais même qui divise. Attention tout le monde, on prend son souffle, j’aborde Barbada la drag queen qui s’adresse aux jeunes. 

Parce qu’on est rendu là, diviser la société face à nos opinions à 360 degrés. Rien de moins! Deux clans qui ne s’écoutent pas et qui essaient de crier plus fort que l’autre pour avoir raison. J’ai l’impression de revivre le débat sur les mesures sanitaires de la pandémie de COVID-19 ou même, de reculer près de 30 ans en arrière au moment du référendum en 1995.

Heureusement, à cette époque, nous n’avions pas les réseaux sociaux qui donnaient la place à tout le monde qui s’obligeait à donner son opinion ou à commenter avec une émoticône du genre « passif agressif ». Ça s’obstinait dans les rassemblements familiaux en étant tout de même obligé d’écouter le point de vue de l’autre si l’on voulait passer une belle soirée.

À cette époque, j’avais dix ans. Pas encore en âge de voter, mais déjà très intéressée à connaître le fond des pensées différentes. Je me rappelle seulement que la gang de souverainistes gardait position qu’on devait voterOUI si l’on voulait garder notre langue française. Les nationalistes eux, se défendaient à dire que « ça ne se sépare pas un pays ».

Bon… ça manquait un peu de matière vous me direz comme arguments. J’avoue que j’aurais aimé pousser les réflexions pour me faire ma propre idée à moi. Être en mesure de me servir de ma pensée critique. Je me reprends donc 28 ans plus tard sur le sujet de l’heure… une drag queen qui s’adresse aux enfants et adolescents.

L’heure du conte

Sérieusement, si l’on se ramène à l’essentiel, on parle d’une activité familiale, destinée aux enfants de 3 à 8 ans, accompagnés de leurs parents, intéressés à entendre des histoires d’auteurs québécois parler de différence, de tolérance et d’unicité. L’événement ludique est lu par un personnage de drag queen nommée Barbada déjà connu par la clientèle jeunesse puisqu’une émission éducative et musicale du même nom existe sur la chaîne Tou.tv depuis mars 2022. La drag queen est incarnée par Sébastien Potvin, un professeur de musique dans une école primaire. C’est tout.

Pendant ce temps, des manifestations, des pétitions et un tsunami de haine prennent toute la place pour faire entendre son désaccord. Ma question : pourquoi ?

Est-ce que l’activité se déroule dans un cadre scolaire obligatoire ? Est-ce qu’on doit être en accord avec le choix d’activité ? Est-ce qu’on doit obligatoirement être intéressé à participer à ce genre de conférence ? Dans les trois cas, la réponse est non. Le simple fait de passer notre tour n’est-il pas suffisant ? 

En tant que journaliste, c’est moi qui ai couvert l’événement sur l’heure du conte à la bibliothèque Alice Lane de Baie-Comeau. J’avoue que je ne me doutais pas de la vague de commentaires qu’on allait devoir gérer sur notre page Facebook.

Sur certaines publications ont pouvait lire : « Laissez nos enfants tranquilles », «tordu », « perturber le développement de nos enfants » ou encore « sont assez mêlés de même ». Évidemment, j’ai choisi de vous citer des commentaires que je pouvais transcrire. Il y en avait des extrêmement violents et leur place n’est pas dans ma chronique, mais bien dans la corbeille où ils ont fini.

Pour essayer de comprendre, j’ai donc moi-même assisté à l’activité. Des dizaines d’enfants impatients de voir le personnage étaient présents avec leurs parents ou de leurs grands-parents.

Barbada est arrivée vêtue d’une robe longue, brillante et colorée. Elle portait une perruque verte avec un passe-cheveux qui faisait tenir son livre inscrit Le Conte de Barbada sur sa tête. J’ai entendu rire et j’ai vu sourire toutes les générations présentes. Les enfants l’ont accueillie avec amour comme n’importe quel personnage qu’ils estiment. Elle a eu une présence bienveillante et à l’écoute pour les enfants qui voulaient s’exprimer.

Les contes qui ont été lus comportaient des valeurs sur l’acceptation, la différence et la tolérance par des auteurs jeunesse. Les enfants ont été amusés pendant 45 minutes. Rien de choquant et rien de déplacé. En toute honnêteté, je me suis dit que je devrais fréquenter plus souvent les bibliothèques avec mes enfants. 

Conférence pour ados

Puisque tout s’est bien passé pour l’heure du conte, j’ai pensé que les commentaires des personnes très inquiètes pour « nos jeunes» pouvaient peut-être se justifier lors des conférences que Barbada a données aux deux polyvalentes de Baie-Comeau. 

Pour m’en assurer, j’ai parlé avec une psychoéducatrice du Centre de services scolaire de l’Estuaire, au personnel enseignant et aux directions des écoles qui, je le rappelle, ont tous applaudi la pertinence de la conférence.

J’ai également discuté avec les jeunes de cinquième secondaire de la poly des Baies pour savoir ce qu’ils en avaient pensé. Je vous rapporte leurs paroles. Ils ont trouvé ça « intéressant, impressionnant et différent ». Ils ont avoué ne pas comprendre la raison en lien avec leur vie et leur éducation lorsqu’ils ont su qu’une conférence avec une drag queen était organisée.

Évidemment, l’activité était sous participation volontaire. La plupart des jeunes étaient curieux et ont voulu vérifier la pertinence par eux-mêmes. Leur conclusion est frappante! L’activité leur a permis de prendre plus conscience du libre choix de chacun, d’interagir dans le non-jugement et avec plus de tolérance. Ils se sentent même plus outillés pour l’avenir. High five Barbada! 

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