Manquer d’air, la face dans le sapin
Armature d'une tente de sudation. Photo courtoisie Wapikoni mobile
La chaleur suffocante, le manque d’air et l’absence de lumière ont créé un état de trance dans mon esprit ; j’ai une soudaine envie de hurler de rage, ou de peine, ou bien les deux. J’en discute avec Rocky lors de notre pause entre les deux premières portes de la célébration. Il me sourit, puis me dit : « laisse-toi aller mon ami, ça veut dire que tu as un bon contact avec le Créateur ».
Je pensais avoir déjà été incommodé par la chaleur, mais non. J’ai réalisé que je n’avais rien vu au moment de participer à ma première tente de sudation, plus précisément lorsque je cherchais désespérément mon air, le nez et la bouche enfoncés dans les branches de sapin sur lesquelles j’étais assis.
La première chose que je remarque en arrivant chez Waldo, un Guide spirituel de Mani-utenam qui s’apprête à officier une cérémonie, c’est un énorme feu, en forme de tipi. Il brûle dans la cour arrière. Le Guide m’informe qu’il s’agit du feu sacré et qu’à l’intérieur de ce tipi enflammé se trouvent les 22 grands-pères, des pierres, aussi appelées ashini, qui chaufferont la tente.
Il m’invite à entrer dans le garage ; c’est là que se trouve le matutishan. Une hutte qui m’arrive environ au bassin lorsque je me tiens debout. Les murs intérieurs du garage sont recouverts de crânes d’animaux blanchis. Devant la tente, je remarque une tête de faucon installée sur un manche planté au sol et entourée d’un tapis rouge. Sur ce tapis se trouve du tabac, d’autres têtes d’animaux blanchies et des offrandes au Créateur. Je rencontre alors Régina, la femme de Waldo, et Rocky, un bon ami à lui, adepte de ces cérémonies.
Waldo m’informe qu’il ne me sera pas possible de prendre de photos du lieu cérémonial. Il m’explique que lorsqu’une photo est prise, une porte est ouverte aux esprits, ce qui peut risquer de briser le lien que le Créateur entretient avec le site.
Pour la purification préliminaire de mon corps, Waldo me sert une boisson chaude infusée au sapin, à l’épinette et au genévrier. Pour que mon âme soit également pure, il m’invite à amener à ma tête de la fumée de sauge.
Je suis maintenant pur ; Waldo m’indique la place qui m’est assignée dans le matutishan. Je m’installe, assis sur une couverture qui recouvre les multiples couches de branches de sapin qui se trouvent au sol. Rocky y va d’un précieux conseil avant que la cérémonie débute ; « si tu sens que tu étouffes, couches toi sur le côté et respires à travers le sapin ».
Pendant qu’il s’affaire à placer onze grands-pères dans la fausse, en commençant par la position des quatre points cardinaux, Waldo prend place dans la tente et bourre son calumet avec le tabac qui me servait d’offrande. Tout en propageant la fumée dans le matutishan, il récite quelques prières au Créateur en innu-aimun. La tente n’est pas encore fermée. Les grands-pères ne sont pas tous installés. Je transpire déjà à grosses gouttes.
On y est ; le matutishan est prêt et l’embouchure qui nous y donnait accès est fermée. Aucune lumière ne pénètre dans la hutte, tellement que je ne peux même pas voir Rocky, qui est à quelques pouces de moi.
Je m’attendais à devoir prendre la parole, mais je reste surpris lorsque Waldo me demande d’exprimer mes prières et mes gratitudes en premier. Je me lance, un peu hésitant ; ma dernière prière remonte à l’école primaire. Je remercie d’abord le Créateur d’avoir mis Waldo sur mon chemin, afin que je puisse vivre ce moment. Je le prie ensuite de me donner la force de caractère et le calme pour pouvoir traverser les moments difficiles. À chaque mot que je prononce, je sens la chaleur s’intensifier dans ma gorge et mes poumons. Rocky et notre Guide, Waldo se sont adressés au Créateur, comme on parle à un ami, dans leur langue natale.
Pour conclure la première porte de la cérémonie, notre Guide y va d’un chant traditionnel, tout en aspergeant les grands-pères de l’infusion que nous avons bue plus tôt.
Deuxième porte ; Waldo m’invite à nouveau à m’adresser au Créateur. Si la première porte avait été relativement confortable côté chaleur, ce serait mentir d’en dire autant de la deuxième. Rocky terminait sa prière et Waldo commençait son chant annonçant la fin de la porte. J’étais étendu de tout mon long, trempé de sueur, le visage plaqué contre les branches de sapin au sol. J’ai remercié Rocky de m’avoir partagé cette sage astuce et j’ai du même coup remarqué que Régina, qui participait à la cérémonie avec nous, ne semblait pas du tout incommodée par la chaleur, elle qui était vêtue tout de long, alors que je n’étais habillé que d’une paire de shorts.
« C’est parce qu’elle est connectée au Créateur », m’indique Waldo. « Reste calme et fais confiance aux esprits, c’est ça, le truc ».
Entre la deuxième et la troisième porte, onze grands-pères sont ajoutés aux onze se trouvant déjà dans la fausse. Ce serait vous mentir de dire que j’ai un souvenir clair de cette troisième porte. J’ai usé l’énergie dont je disposais encore pour exprimer ma troisième prière, avant de m’échouer et de retourner aux branches qui me servaient de bombonnes d’oxygène.
Au final, je n’aurai complété que trois des quatre portes de cette cérémonie que certaines personnes peuvent célébrer quatre, ou cinq fois par semaine. J’ai néanmoins quitté Mani-utenam léger comme une plume, tant physiquement que mentalement.
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