Dire merci un rituel à la fois

Par Alexandre Caputo 6:00 AM - 14 avril 2023 Initiative de journalisme local
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Un crâne de cervidé blanchi exposé au Musée Le Shaputuan.

Les catholiques se rendent à l’église tous les dimanches pour communier avec le Saint-Esprit, alors que les musulmans, eux, se tournent vers La Mecque cinq fois par jour pour prier. En ce qui concerne le judaïsme, on préfère rendre grâce trois fois dans la journée, idéalement en groupe de 10 personnes. Chez les Innus, c’est le Créateur qu’on interpelle lorsqu’on se recueille, mais il n’y a pas d’horaire pour ce genre de spiritualité. 

Aucun gaspillage, même pas les os

« La meilleure façon d’honorer le Créateur, c’est de faire attention à sa création », explique Lauréat Moreau, alors qu’il nettoie méticuleusement les ossements du lièvre qu’il venait de déguster. 

Il raconte qu’à l’arrivée des Européens en Amérique, ces derniers étaient terrifiés à la vue des panaches de caribou accrochés aux arbres des campements.

Cette tradition a été d’abord perçue comme de la « diablerie », ou bien comme une forme d’admiration un peu malsaine. « Ce n’est pas ça du tout », mentionne M. Moreau. « C’est un moyen que nous avons de remercier le Créateur pour ce qu’il nous amène et de respecter l’animal ; il n’y a aucun gaspillage. » 

Celui qui travaille comme muséologue au Musée Le Shaputuan explique que lorsqu’il était jeune, sa mère accrochait les ossements des animaux que la famille mangeait au-dessus du foyer. Lorsque la famille quittait la communauté pour se rendre sur le territoire, la guirlande d’ossements faisait partie du nécessaire à trimbaler. 

La lecture des ossements, aussi appelé scapulomancie, s’effectuait à l’aide d’ossements d’animaux éclatés à la chaleur. En chauffant l’omoplate de l’animal, souvent d’un caribou, celui qui officiait le rituel était capable de situer le gibier sur le territoire. 

Prières et fumée

Dû aux conditions météorologiques de la Côte-Nord, le tabac est arrivé relativement tard chez la Nation innue. En fait, ce n’est que lorsque les peuples ont commencé à commercer entre eux que cette plante a fait son apparition. 

Questionné au sujet de la signification du tabac au sein des rituels, M. Moreau explique que la symbolique n’est pas dans le tabac, mais dans la fumée qui s’en dégage lorsqu’il est brûlé.

« La boucane aide les prières à monter vers le Créateur, même principe que pour l’encens », image-t-il, lui qui suppose que le plaisir de fumer est peut-être venu damer le pion aux encens.

On utilise également la fumée, mais de la sauge, cette fois, dans une optique de purification. Pour chasser les mauvaises énergies sur sa personne, la fumée de la sauge est amenée, les mains jointes, à sa tête. Lors de la purification d’une pièce, il s’agit plutôt de rependre la boucane à l’intérieur de celle-ci.   

Le teueikan : entre l’homme et l’animal

Maintenant davantage utilisé pour annoncer le début d’une rencontre officielle entre des membres de la communauté, le teueikan servait jadis à connecter l’esprit de l’homme à celui de son gibier, lorsque la famine se faisait sentir. « Ce n’est pas un instrument de musique à proprement parler », mentionne Lauréat Moreau, muséologue au Musée La Shaputuan. « Il s’agit à la base d’un outil de survie », précise-t-il.

Dans certaines communautés, le teueikan peut être légué de père en fils, alors que pour d’autres, il est donné à un membre y ayant rêvé trois fois dans un court laps de temps.

Celui qui est honoré par la remise du teueikan doit, au préalable, avoir fait ses preuves comme chasseur et homme spirituel. C’est lorsque la chasse n’était pas concluante et que le chasseur était désespéré qu’il faisait appel à l’outil sacré. Pour celui qui détenait une puissance spirituelle assez forte, le teueikan pouvait indiquer, à même la zone de percussion, où le gibier se trouvait sur le territoire.

La tente de sudation

La cérémonie de la tente de sudation, ou matutishan, est l’un des plus anciens chez les Premiers Peuples et est toujours pratiqué aujourd’hui, malgré les tentatives de répression de l’Église catholique. 

Les Premiers Peuples considèrent ce rituel comme étant un moyen d’entrer en contact avec le Créateur, qui est à la base de la vie. Le but, à travers la chaleur intense et l’inconfort soutenu, est de s’abandonner corps et âme pour ne faire qu’un avec celui qu’on interpelle et ainsi lui communiquer prières et reconnaissance.  

La tente, bâtie en forme de hutte, est formée de bois souple ainsi que de toiles et autres couvertures étanches. Le sol est recouvert de branches de sapin et au centre est creusé un trou, où seront déposées les pierres qui produiront la chaleur nécessaire au rituel. Ces pierres, nommées grands-pères, ou ashini, représentent les ancêtres et agissent comme canaux pour transmettre les messages au Créateur. Elles sont chauffées pour une durée d’environ trois heures, dans un feu sacré qui se trouve l’extérieur de la tente. Une fois les préparatifs terminés et les participants purifiés, les pierres sont méticuleusement placées dans la fausse à cet effet et la tente est refermée. Le rituel est divisé en quatre périodes, ou « portes », pouvant durer d’une douzaine à une quinzaine de minutes chacune. Ces portes représentent les quatre directions sacrées, soient les quatre points cardinaux.