Chasse au phoque : pensons-y à deux fois

Par Émélie Bernier 5:59 AM - 14 février 2023 Initiative de journalisme local
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Photo Jacques Gélineau

Un blanchon du Groenland.

Non, le phoque n’est pas l’ennemi public numéro 1 et la relance de sa pêche commerciale ne devrait pas être envisagée comme une panacée, selon l’écologiste Jacques Gélineau.

Jacques Gélineau a lu avec stupéfaction l’article publié dans nos pages (et ici sur le web). Selon lui, les déclarations des intervenants cités sont déconnectées de la réalité. Il souhaite apporter un éclairage différent sur le renouveau, souhaité par certains, de cette activité commerciale.

« C’est une chasse, pas une pêche », lance-t-il d’emblée.  Il insiste sur l’importance de distinguer les différentes catégories de phoques. «Quand on parle de chasse au phoque, on parle surtout du phoque du Groenland, plus facile à chasser et plus intéressant pour les parties d’animaux. Mais le phoque du Groenland n’est pas responsable de la baisse des stocks de poissons dans le Golfe! », explique-t-il. Le ministère fédéral des Pêches et Océans (MPO) confirme d’ailleurs cette information (voir texte d’appoint).

Seule une partie de la population de cet animal au menu varié entre dans le Golfe au printemps pour mettre bas. À partir de juillet, les phoques du Groenland quittent les lieux.  « Je fais de l’observation en mer, pas juste sur les mammifères marins, mais de tout ce que je vois depuis 1997 dans la région de Sept-Îles, Mingan, Port-Cartier. Et ce qu’on observe, c’est que le phoque du Groenland a de plus en plus de difficulté à entrer dans le golfe pour mettre bas au printemps parce que le couvert de glace n’est pas là », résume-t-il.

Le MPO considère pour l’instant que le phoque du Groenland n’est pas menacé, avec une population de 7,1 millions individus dans l’Atlantique nord-ouest. « Mais on assiste a de plus en plus de mortalité des jeunes parce que le couvert de glace n’est pas suffisant », nuance toutefois M. Gélineau.

Celui-ci se réduit comme peau de chagrin, insiste-t-il. « D’habitude, on parle d’un couvert de glace d’à peu près 60%. L’année passée, c’était 10 % et cette année, j’ai l’impression que ça va être 0% ! Et cette situation-là va durer.»

Le territoire qu’il arpente est surtout un habitat pour les phoques gris et communs.

Un phoque du Groenland sur une rare glace. Photo Jacques Gélineau

Ce dernier est particulièrement fragile, selon l’écologiste. «Le phoque commun ne s’est jamais reconstitué de la grande période de chasse des années 1920-30-40 quand on massacrait des animaux à tout va. Il y en a à peu près 25 000 dans l’est Atlantique.  À toute fin pratique, on peut penser qu’il y en a beaucoup parce qu’on les voit tous ensemble, mais ils sont concentrés au Bic, dans la baie de Gaspé et il y a un cheptel d’une vingtaine d’individus à  Sept-Îles. C’est le phoque le plus sédentaire, celui qu’on voit l’hiver. »

Seul le phoque gris a un lien direct avec la morue, selon M. Gélineau et il n’y en aurait que plus ou moins 45 000 phoques gris dans le Golfe. « Ce n’est pas le boom démographique que certains se plaisent à évoquer! » 

Des phoques gris dans le secteur de Mingan. Photo Jacques Gélineau

Et les phoques ont des prédateurs, dont le requin blanc, de plus en plus présent dans les eaux du nord-est atlantique, notamment dans le secteur de l’Ile Brion. « Beaucoup de phoques avec des blessures, des morsures ont été vus. Il y a de plus en plus de requins blancs qui occupent l’espace et profitent du boom démographique sur le plateau madelinien. Certains biologistes du MPO, pas tous, disent que les phoques sur le plateau madelinien menace la reprise de la morue. , en partie c’est vrai, mais ce qu’ils ne disent pas, c’est que les gens aussi pêchent la morue. »

Le véritable ennemi de la morue est l’homme, affirme l’écologiste.

«Il n’y a aucun contrôle, ce prélèvement est à mon avis plus important que celui des phoques. Ça pêche partout! Même si les stocks de poisson de fond baissent, le MPO n’a jamais interdit la pêche personnelle. Et c’est ce qu’on déplore!  Ça aurait dû être fait. Avant d’accuser les phoques de tous les maux, on devrait commencer par contrôler le prélèvement humain! »

Selon Jacques Gélineau, les phoques pourraient à leur tour devenir une espèce fragile. «Prenons l’exemple de la tourte! On l’a fait littéralement disparaître. C’est une espèce dont il faut plusieurs millions pour assurer la pérennité, comme les phoques qui sont fragiles aux changements climatiques.

L’avenir du phoque moyen et long terme n’est pas garanti et dans ce contexte, relancer une pêche qui date du 18e siècle, ce n’est pas une bonne idée. »

Un phoque commun. Photo Jacques Gélineau

Et si les phoques favorisaient plutôt le retour de la morue?

En changeant leur régime alimentaire dû à la raréfaction des poissons de fonds, les phoques gris pourraient aider au retour de la morue puisqu’ils prélèvent des poissons-fourrage qui consomment des larves de morues dans le plancton, estime Jacques Gélineau, renversant un mythe tenace. «Il est important de préserver les grands prédateurs de la pyramide d’énergie et les phoques gris en font partie », indique-t-il.

MPO confirme

Les recherches menées par Pêches et Océans Canada confirment les propos de Jacques Gélineau.  Les nombreuses études sur les effets de la prédation des phoques sur les stocks de poissons concluent que « la prédation exercée par le phoque du Groenland n’a pas été un facteur important dans l’absence de rétablissement de la morue. » 

Les évaluations de la morue en 2019 nous ont également permis de déterminer que les phoques du Groenland « ne sont pas les principaux moteurs de l’abondance de la morue au large des côtes de Terre-Neuve ou du sud du Labrador. »