Contrairement à ce que l’on dit souvent, je ne crois pas que les Québécois se soucient généralement peu de l’effritement de notre mémoire collective. J’en ai pour preuve mon attachement et celui de nombreux de mes anciens concitoyens pour l’hôtel de ville de Sept-Îles, menacé de destruction.
J’ai quitté ma ville natale, mais chaque visite me rappelle la fierté d’appartenir depuis plusieurs générations à cette communauté courageuse de bâtisseur.euse.s. J’ai profité des récentes Fêtes pour sonder comment les Septilien.ne.s autour de moi perçoivent l’hôtel de ville. Alors qu’aucun n’avait de connaissance particulière en architecture, tous ont relevé les sentiments de grandeur, d’importance et d’ouverture ressentis quand ils l’ont visité. Certains ont parlé de rêve, d’inspiration et de fierté. C’était exactement les intentions de nos aïeux lorsqu’ils ont doté la Ville d’un pareil bâtiment en 1961. Après 1945, Sept-Îles avait l’ambition de devenir un carrefour industriel américain incontournable. Le conseil de ville a été audacieux et a retenu les services de l’architecte Guy Desbarats (fondateur d’ARCOP, firme la plus brillante de sa génération), pour concevoir un bâtiment de style international alors jamais construit à l’est de Québec.
Le patrimoine architectural moderne est plus difficile à apprécier, mais il s’avère tout aussi important que le patrimoine d’Avant-guerre: il reflète l’affirmation du Québec de son appartenance au concert des nations. L’hôtel de ville de Sept-Îles en est un témoin matériel important. Les dernières années, j’ai participé, comme architecte, à la revitalisation de la Place Ville Marie de Montréal, conçue à la même époque en collaboration avec ARCOP. Je vous assure que ce mouvement architectural est innovant, élégant et simple; il propose une qualité d’espace inégalée.
S’il est choquant que les administrations précédentes aient altéré et entretenu avec si peu de considérations l’hôtel de ville, il est scandaleux que l’on envisage de le démolir pour en faire un stationnement. À l’heure de la lutte aux changements climatiques, on ne doit démolir que pour construire mieux; un stationnement n’est jamais mieux que rien. Au Québec et partout ailleurs, de plus en plus d’instances de planification urbaine refusent la démolition des bâtiments. Une démolition complète et un déménagement sur un nouveau site ont des coûts environnementaux non négligeables.
L’hôtel de ville a été victime de plusieurs transformations irrespectueuses, mais aujourd’hui, que le bâtiment soit ou non cité patrimonial par les autorités, sa valeur demeure supérieure, tant pour les spécialistes que pour les résidents. Il est porteur de la mémoire de la région, en plus de donner du sens à la communauté et de marquer le territoire. Il fait partie d’une bande de lots institutionnels qui relie le Vieux-Quai au boulevard Laure et qui structure l’ancien noyau villageois de la ville. Le déménager n’aurait aucun sens.
Bien qu’elle soit idéale, l’option d’une restauration intégrale n’est pas la seule solution possible pour respecter notre devoir de mémoire. Une valorisation du bâtiment passant par une transformation tout en conservant sa vocation publique doit au moins être considérée. Le lieu appartient à la communauté et doit le demeurer; l’administration n’en est que la fiduciaire. À l’exception d’une démolition complète, plusieurs scénarios sont encore possibles. Il suffit que l’administration actuelle soit visionnaire et comprenne le potentiel du petit joyau de modernité québécoise qu’elle a entre les mains.
À tous celles et ceux qui ont l’Histoire et le patrimoine à cœur, je vous encourage à vous rassembler, à unir vos voix et vos efforts pour convaincre l’administration d’envisager un scénario plus ambitieux, porteur des valeurs de 2023. Les Septillien.ne.s possèdent un actif dont nous pouvons être fiers: il faut s’assurer de le transmettre aux générations futures tout en le gardant vivant.
Martin Tanguay
Architecte et fier Septilien d’origine
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