Faire la police autrement

Par Emy-Jane Déry 9:50 AM - 18 novembre 2022
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L’agent Nathan Robert en compagnie du sergent Dominique Alain, à Natashquan. Photo courtoisie

Laisser une famille venir prier auprès d’un corps sur une scène de crime en expertise n’est pas chose du commun dans le monde policier.

«On ne fait pas la police ici comme ailleurs», lance le sergent Dominique Alain, responsable de Mission nordique et superviseur pour la Sûreté du Québec à Natashquan.

C’était au printemps. Deux corps ont été retrouvés le long de la route 138. L’enquête n’est pas terminée, mais on parlait alors de morts «suspectes». La petite communauté était sous le choc. Les autorités ont laissé une famille faire des prières à proximité des corps pendant une vingtaine de minutes.
«On essaie de s’adapter, parce qu’on sait que c’est très important pour eux autres, au niveau de leurs rites funéraires», explique le Sergent Alain.

«On peut le faire, parce que nous avons cette conscience culturelle là, ce qui peut ne pas toujours être le cas», poursuit-il.

C’est le genre d’interventions que le projet-pilote Mission nordique vise à permettre. La Sûreté du Québec a décidé de changer ses façons de faire. La communauté innue de Nutashkuan compte environ 1 200 âmes. Le village de Natashquan a une population d’un peu moins de 300 personnes. Le secteur était jusqu’à tout récemment desservi par des policiers en fly-in fly-out.

Difficile dans ce contexte de tisser des liens avec la communauté et de comprendre les réalités qui lui sont propres. Depuis environ trois semaines, Mission nordique s’implante. Plus de 80 policiers ont postulé pour obtenir une des quatre places permanentes disponibles. Les quatre retenus ont été soigneusement choisis.

Ils seront soutenus et supervisés par le Sergent Dominique Alain. C’est un policier d’expérience qui compte plus d’une vingtaine d’années de services. Le père de famille de la Gaspésie a notamment travaillé à Schefferville. Il a aussi fait des missions de paix en Haïti.

«Ce n’est pas fait pour tout le monde. Certains sont venus l’essayer et ont bien aimé leur semaine, mais rester un an, ce n’est pas la même chose», dit-il.

Il faut aussi le bon tempérament.

«Disons qu’à cinq policiers disponibles, ce n’est pas le temps de commencer à aller mettre de l’huile sur le feu durant une intervention», illustre-t-il.

Une formation sur les réalités autochtones, condensée sur deux journées intensives, a été donnée aux candidats. Ils ont aussi suivi un stage d’une semaine.

Confiance

Les aînés de Nutashkuan sont clairs. Un des gros enjeux, ce sont les stupéfiants. La population espère enrayer ce fléau du territoire. En étant sur place plus longtemps, les policiers font le pari de pouvoir créer un lien de confiance qui permettra de meilleures interventions.

«Tout le monde me connaît ici: ‘’le grand policier roux’’. Je croise des gens au gym, à l’épicerie. Il y a un lien de confiance qui s’installe», dit le Sergent.

D’ailleurs, la population fait bien la distinction. Ceux qui restent, elle les appelle les «permanents».

Les adultes de demain

Le Sergent vise à ce que sa petite équipe de policiers se rapproche des jeunes, qui semblent particulièrement nombreux dans le village.
«Ce sont les adultes de demain et l’image qu’ils auront de la police pourrait venir faire toute la différence», explique-t-il.

Ainsi, tout récemment, il est sorti de son véhicule avec son partenaire pour aller jouer au hockey avec un groupe de jeunes croisé au hasard.

«Ils étaient vraiment surpris et contents. On n’avait pas d’appel. C’est un 20 minutes qu’on aurait pu passer à brûler du gaz, mais on a considéré que c’était mieux investi.»

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