4 000 heures sans ambulance en un an sur la Côte-Nord

Par Johannie Gaudreault 12:00 PM - 28 juin 2022
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La crise des soins préhospitaliers d’urgence touche également la Côte-Nord qui a enregistré 4 005 heures de ruptures de service ambulancier en 2021-2021. Photo : Courtoisie

Le vaste territoire de la Côte-Nord n’échappe pas à la crise qui touche les soins préhospitaliers d’urgence (SPU). Du 1er avril 2021 au 31 mars 2022, 4 005 heures de ruptures de service ont été cumulées, laissant des ambulances au repos, sans paramédics disponibles pour les opérer.

Selon les données confirmées par le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord, c’est la ville de Baie-Comeau qui est le plus fortement touchée par ces ruptures de service avec un total de 857 heures.

Elle est suivie de Forestville, Havre-St-Pierre et Les Escoumins qui en enregistrent respectivement 649, 619 et 554 heures À Sept-Îles, on indique 111 ruptures de service pour un total de 492 heures de découverture.

Les raisons indiquées dans le document officiel, dont le Journal Haute-Côte-Nord a obtenu copie, sont le manque de personnel (45 %), le débordement SST* (25 %), la COVID-19 (28 %) et autres (3 %).

Le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord et Paraxion, entreprise ambulancière desservant la grande majorité des municipalités de la région, ne se mettent pas la tête dans le sable.

Ils confirment tant l’un que l’autre que les interruptions de service des véhicules ambulanciers prennent encore de l’ampleur.

« Depuis le mois d’avril 2022, on note une hausse des interruptions de service des véhicules ambulanciers par l’entreprise responsable de la desserte de ces secteurs », affirme par écrit le conseiller en communication au CISSS de la Côte-Nord, Pascal Paradis.

Le directeur des opérations intérimaire Côte-Nord chez Paraxion, Manuel Charest-Imbeault, va dans le même sens.
De son avis, « les services préhospitaliers d’urgence vivent la pire période en termes de pénurie de personnel et de ruptures de service dans le cas de notre entreprise ».

Solutions

Les intervenants ne restent pas les bras croisés à attendre qu’un miracle survienne de lui-même. « On ne réussira pas à régler la situation demain matin, mais Paraxion met des incitatifs en place afin d’attirer et retenir la main-d’œuvre », laisse tomber M. Charest-Imbeault.

Pour aller chercher des techniciens ambulanciers paramédics (TAP) de l’extérieur, par exemple, « on défraye leur kilométrage, on leur donne un per diem pour leurs repas ainsi qu’une prime de contribution et on leur garantit des heures », précise-t-il en mentionnant que même les agences externes n’arrivent plus à combler les trous dans les horaires.

De plus, Paraxion n’adhère pas au temps supplémentaire obligé, ni au report des vacances de ses employés. Il s’agit d’une autre façon pour ne pas nuire à la rétention du personnel. « On ne veut pas garder des paramédics de force dans une ambulance », déclare le dirigeant.

Questionné à savoir si la compagnie ambulancière prenait à cœur les intérêts de ses employés, Manuel Charest-Imbeault répond par la positive.

« Paraxion est en constante évolution. Est-ce qu’on peut en faire plus? Peut-être. Nous sommes conscients des difficultés du domaine et on veut donner le maximum à nos gens pour qu’ils demeurent avec nous. On travaille là-dessus. »

Renforts

À ce jour, l’entreprise a embauché 11 nouveaux ambulanciers qui ont terminé leurs études, en attente de leur droit de pratique. « Les TAP ne sont pas régis par un ordre professionnel pour le moment, mais ils doivent détenir un permis pour pouvoir travailler », explique le directeur des opérations par intérim.

Dès qu’ils seront en possession de leur permis de pratique, ces nouvelles ressources seront immédiatement ajoutées aux effectifs de Paraxion et certaines pourront déjà se voir offrir un poste à temps plein.

Afin de favoriser la relève, Paraxion s’implique avec le Cégep de Baie-Comeau pour offrir la formation technique en soins préhospitaliers, dont la permanence a été confirmée récemment.

« On libère des TAP pour enseigner, on participe au développement du programme de formation et on a offert gracieusement un camion pour le volet pratique des étudiants », témoigne M. Charest-Imbeault.

* Le débordement SST survient lorsqu’un technicien ambulancier n’a pas obtenu 8 h de pause consécutives durant sa garde de 24 h.

Le CISSS suit de près la situation

Le CISSS de la Côte-Nord se tient au fait de la situation des SPU afin de s’assurer du respect des obligations des titulaires de permis (comme Paraxion), notamment celle de livrer le service ambulancier prévu, qui sont énoncées clairement au contrat, de même que dans la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence.

« Nous avons des rencontres régulières avec les gestionnaires de l’entreprise ambulancière concernée. Des mesures concrètes et des plans d’action sont exigés pour remédier à cette situation », soutient Pascal Paradis.

Comme solution à long terme, les deux organisations ont collaboré pour favoriser l’implantation d’un diplôme d’études collégiales en soins préhospitaliers au Cégep de Baie-Comeau.

« L’an prochain, en mai 2023, les premiers finissants viendront combler une partie des besoins régionaux, et ce, pour les trois années suivantes », informe le conseiller en communication.

Les horaires de faction sont jugés dépassés

Les ambulanciers des petites communautés de la Côte-Nord, comme ceux d’autres régions du Québec, doivent conjuguer avec des horaires de faction, aussi appelés horaires sur appel. Un frein au recrutement et à la rétention de la main-d’œuvre, clame un ambulancier qui a témoigné à visage couvert.

Ces horaires de faction obligent les paramédics à être libres pour travailler, à leur domicile 24 heures sur 24, pendant sept jours consécutifs, pour se rendre au travail en cas d’urgence, et ce, en moins de cinq minutes. Il s’agit de 168 heures de garde, payées à environ 50 % puisque l’ambulancier est rémunéré 11,43 $/heure pour chaque 24 heures en service.

« C’est éreintant, lance d’entrée de jeu la source anonyme du Journal. On n’est pas en congé même si on est à la maison. Il faut toujours être prêt à partir sur un appel, le plus rapidement possible, dans l’espoir de sauver une vie. Après nos sept jours de garde, on est fatigué physiquement et mentalement. »

Ce type d’horaire sur appel avait été instauré en 1989 dans le cadre d’un projet pilote. Pourtant, depuis les 33 dernières années, il n’a pas été revu dans toutes les régions du Québec. « En ville, comme à Montréal et Québec, les ambulanciers sont payés à l’heure. Ils font des quarts de travail de 12 heures et sont payés comme tel. C’est ce qui devrait être appliqué partout », souligne le TAP.

Investissement de 26 M$

Le 14 juin, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé a annoncé la conversion ou la bonification de 46 horaires de faction dans 11 régions du Québec, pour un investissement gouvernemental de 25,9 M$.

Il s’agit de la moitié des horaires sur appel encore présentes dans la province, selon l’homme politique qui n’a pas précisé les régions touchées par ces conversions. Toutefois, le CISSS de la Côte-Nord affirme qu’il n’y a pas d’annonce en ce sens prévue pour la région.

Dans le cadre de cette conférence de presse, destinée spécifiquement à faire le point sur le système des soins préhospitaliers d’urgence, M. Dubé a dit vouloir « transformer en profondeur les services préhospitaliers d’urgence (SPU) offerts aux Québécois pour les années à venir ».

Dans cette optique, le ministre a dévoilé l’adoption d’une politique gouvernementale sur les SPU « qui s’accompagnera d’une amélioration notable de la couverture ambulancière particulièrement en région ». Cette politique nécessite des investissements supplémentaires de 28,4 M$.

D’autres actions seront également entreprises, dont la création d’un ordre professionnel, la mise en place de projets pilotes de paramédecine communautaire et le déploiement de défibrillateurs cardiaques dans les guichets automatisés, notamment.

Des conditions de travail « inhumaines »

Pour le technicien ambulancier paramédic qui a témoigné sous le couvert de l’anonymat, l’entreprise ambulancière Paraxion a son rôle dans la crise qui touche les soins préhospitaliers d’urgence sur la Côte-Nord. Pour celui-ci, qui n’a pas voulu dévoiler son identité publiquement par peur de représailles, les conditions de travail jugées inhumaines sont aussi au cœur de la problématique.

Selon l’ambulancier d’expérience, la situation des paramédics nord-côtiers s’est empirée depuis la vente il y a trois ans d’Ambulances Côte-Nord à Paraxion.

« Ç’a changé énormément. Tout ce qui est géré par Paraxion va mal. La façon dont il traite leurs employés provoque des démissions et du mécontentement », déclare-t-il.

Pour lui, il est impensable de « jouer de cette manière avec des vies humaines ». « Encore la semaine dernière, on a été à 10 minutes près de perdre une personne en crise cardiaque. Est-ce que le gouvernement attend de frapper le mur? », conclut-il en espérant l’application de mesures concrètes.

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