Le prix de l’essence ne fait plus de sens

Par Marie-Eve Poulin 6:30 AM - 19 mai 2022
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Le prix de l’essence à la hausse apporte son lot de casse-têtes aux entreprises de la région, qui doivent tout repenser et voir comment elles pourront s’adapter, afin de maintenir leurs services.

Un petit survol dans différents secteurs d’activités nous a permis de constater que certains entrepreneurs sont optimistes d’arriver à trouver des solutions, d’autres inquiets, et à leur plus grand regret, certains ont dû carrément cesser des activités.

Fin des déménagements pour Louis-Philippe Jean

Malheureusement, certaines entreprises doivent mettre fin à leurs opérations en raison de la hausse du prix de l’essence et c’est le cas de Louis-Philippe Jean, qui annonce avec tristesse et mécontentement l’arrêt de ses services de déménagement.


Il explique aussi que le problème du prix de l’essence se combine également au manque de main-d’œuvre. Maintenant, il doit payer un employé environ 25$/heure pour réussir à en avoir. Afin d’être rentable, l’entreprise doit charger un montant qui vient couvrir les dépenses en essence, en salaire, et dans le cas des déménageurs, il faut payer les hôtels et les repas.

En bout de ligne, est-ce que le client est capable de payer ça?»

Il aimerait que le gouvernement donne un crédit aux entreprises, par rapport aux taxes sur l’essence. Étant essentiel à leur fonctionnement, il croit que cette aide pourrait donner une chance aux entreprises et par la bande, aider les citoyens à garder les services.

«Je suis déçu de voir les gens se battre pour les droits et libertés, et là, ces mêmes gens-là, ne sortent pas pour une vraie bonne raison», déplore-t-il.

En juin 2020, Louis-Philippe Jean posait fièrement devant ses camions de déménagement, ne s’attendant pas à devoir y mettre un terme en 2022, en raison de la hausse du prix de l’essence. Photo courtoisie

«C’est plate à dire, mais cet hiver, c’était beau de voir ça les convois de la liberté, sauf que là, on a un vrai enjeu social qui va pas juste toucher le transport, mais toucher tout ce qui nous entoure», poursuit M. Jean. «On parle de nourriture, des vêtements de nos enfants, les fournitures scolaires, tout ce qui est transporté sur la Côte-Nord, même les voitures», explique-t-il.

«Si ça continue comme ça, on va devenir une région malnutrie, parce que les compagnies pourront plus venir livrer ici. C’est déjà le cas pour certaines entreprises qui ne livrent plus à Sept-Îles», avance-t-il, très concerné par l’ampleur de la situation qu’il voit se dresser.

Pour mieux visualiser la situation, il y va d’un exemple concret.

«Un gars est venu me voir pour un prix pour un déménagement. Je lui ai dit d’aller voir une grosse entreprise de déménagement, parce que déménager les gens avec le prix du gaz, c’est rendu que ça n’a plus de sens.» «Je lui ai demandé s’il s’était fait un budget pour se déménager, parce que c’est rendu comme ça maintenant», raconte-t-il.

Louis-Philippe Jean voit bien plus loin que les malheurs de son entreprise et s’inquiète pour l’avenir des gens, en regardant à plus long terme.

«Le monde va s’appauvrir. Les moins riches ne seront plus capables de manger. Nous, en tant qu’entreprise, on est diversifiés on est capable de s’organiser, mais sinon, tout ça, ce n’est pas drôle pour les autres», conclut-il, visiblement inquiet.

«Ça fait mal» – Frédéric Gagnon

L’essence étant essentielle à son entreprise, il débute par trois mots qui veulent tout dire: «Ça fait mal». Frédéric Gagnon, propriétaire de Remorquage FG, commence l’entretien avec une comparaison entre les petites et grosses entreprises.

Comme la sienne comprend de nombreux véhicules, des frais fixes importants reviennent, comparativement à une entreprise qui n’a qu’un, ou deux camions stationnés sur un terrain personnel. Pour son entreprise, les coûts ont doublé.

Pour donner un exemple, si ça me coûtait 14 000$ de carburant, maintenant ça m’en coûte 28 000$.

Pour être rentable, il explique avoir mis une surcharge de carburant.

«C’est le client qui est impacté», dit-il, découragé et visiblement agacé de devoir appliquer cette mesure.

Malgré tout, l’entrepreneur bien connu pour son implication dans la communauté, fait de son mieux pour impacter le moins possible les gens. Pour ce qui est des petits remorquages, il dit être resté au statu quo.

«On essaie d’aider monsieur madame tout le monde, mais pour les gros transports, les compagnies, on n’a pas le choix de mettre une surcharge», explique-t-il.

Il affirme avoir remarqué une diminution sur la quantité de remorquages à effectuer au quotidien. Selon lui, la situation pourrait être attribuable au fait que les gens utilisent moins leur véhicule, en raison du coût élevé de l’essence.

D’ailleurs, pour limiter les dépense, le propriétaire demande à ses employés de remplir seulement un réservoir sur deux dans les camions de remorquage, pour les services locaux. Les véhicules voyagent ainsi plus léger et dépense moins de carburant.

Devoir tout repenser

Aménagement Quatre-Saisons en est à sa onzième année d’activité. Or, cette année, le prix de l’essence lui en fait voir de toutes les couleurs. L’entreprise travaille à la recherche d’une solution idéale qui lui permettrait de maintenir la qualité de ses services à prix abordables pour le client, tout en demeurant rentable.

Les stratégies d’opérations sont à revoir et les planifications budgétaires sont à refaire. L’entreprise offre divers services, dont la fertilisation et l’ensemencement de pelouse Nutrite, terrassement, excavations, installation septique et déneigement.

«Il faut revoir toutes nos méthodes, par exemple, est-ce qu’on sort trop souvent? Est-ce qu’on en offre trop? Peut-être sortir moins, donc à 5 cm au lieu de 3 cm, on regarde aussi pour diminuer notre marge de profit. Il faut trouver la juste marge entre faire un profit et offrir du bon service », explique Pascale Dubé, adjointe administrative chez Aménagement Quatre-Saisons.

Les nombreuses variations du coût de l’essence représentent un défi de taille.

«J’avais fait des prévisions budgétaires en mars jusqu’à par exemple 2,58$ et nous sommes déjà rendu à 2,52$. Donc, les prévisions que j’ai faites ne sont déjà plus bonnes», explique Mme Dubé. «Si par exemple le prix augmente à 3$, ça va être triste quelque part, parce qu’il y a des clients qui ne seront pas en mesure de se payer le service auquel ils voudraient avoir droit.»

Selon l’adjointe administrative, la hausse vient frapper dure l’industrie du déneigement. Malheureusement, certains entrepreneurs vivent la situation beaucoup plus difficilement. Elle s’inquiète aussi de ce qu’il restera comme service pour les citoyens à l’hiver.

«Nous, on est au courant actuellement de trois entreprises qui ne feront plus de déneigement. On a peur un petit peu de la hausse qui s’en vient, parce que s’il y a trop d’entreprises qui ferment, tous ces gens n’auront pas de déneigeurs et nous, on n’est pas capable nécessairement d’en prendre plus», souligne Mme Dubé, expliquant que prendre plus de clients entraînerait son lot de problèmes pour l’entreprise.

«On va avoir les mêmes problèmes soit la hausse des prix et difficulté à recruter de la main-d’œuvre.»
L’adjointe espère que le prix de l’essence prenne une pente descendante.

« Je suis quand même optimiste que ça va s’arranger », conclut-elle.

Difficile de recevoir les voitures

Dans l’industrie de l’automobile, la situation est tout aussi difficile. La limitation et parfois même la coupure des services de transport ne facilitent pas les choses. Matthew St-Pierre, employé chez Sept-Îles Chevrolet Buick GMC, raconte qu’il est difficile pour eux de recevoir les véhicules par le biais du service de transport.

«Suite au prix du gaz, les compagnies qui viennent de l’extérieur ne veulent plus venir livrer sur la Côte-Nord, ou encore, limitent leur transport», rapporte Matthew St-Pierre.

L’entreprise doit envoyer des équipes à Montréal, ou à Charny, pour récupérer les véhicules de leurs clients et absorber ces frais. Résultat: un véhicule acheté neuf n’arrive pas avec zéro kilomètre au compteur.

M. St-Pierre ajoute qu’en raison du contrat, la compagnie de transport doit être payée, même si elle ne livre pas le véhicule.

«On ne veut pas refiler la facture au client, surtout qu’il reçoit son véhicule avec un 600 à 700 km et s’il le recevait par van il serait à zéro», explique-t-il.

Dans ce contexte, des entrepreneurs de Sept-Îles et Port-Cartier demandent une rencontre avec la Chambre de commerce.

« Il va y avoir des impacts plus grands prochainement. Certaines compagnies ne voudront plus livrer, mais ce sera dans quel domaine? L’alimentation, les pharmacies, qu’est-ce qu’ils vont couper?», se questionne-t-il.

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