« Je m’excuse » -Daniel Girard

Par Marie-Eve Poulin 4:00 PM - 3 mai 2022
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Monsieur Girard et les Innus ont déjà eu des relations plus harmonieuses, comme le démontre cette photo datant de novembre 2017 lors de la remise de la mention d’honneur du civisme décernée pour leur acte de bravoure lors de l’écrasement d’hélicoptère survenu en septembre 2015. De gauche à droite: Édouard Rock, Jean-Baptiste Pinette, Daniel Girard et Valère Fontaine. Photo courtoisie

En juin 2021, une vidéo montrant un échange corsé entre un Innu et Daniel Girard, un ancien président de l’Association de protection de la rivière Moisie (APRM), avait fait réagir sur les réseaux sociaux. Un an plus tard, M. Girard décide de publier une lettre ouverte (en bas de page) afin de s’excuser. Suite à la réception de la lettre ouverte, le journal a rejoint par téléphone Daniel Girard.

Maintenant que la poussière est retombée, il juge que c’est le moment où les gens seront ouverts à recevoir ses excuses. « Ç’a permis à tout le monde de dessouffler la baloune si je peux dire. Maintenant, avant la saison de pêche, ça me permet de replacer tout ça dans l’ordre », ajoute-t-il. Cette situation l’a blessé au plus profond de lui-même et il était difficile pour lui de surmonter ce dur moment.

Pour revenir sur les faits, selon M. Girard, la vidéo ne montre pas la totalité de la situation, ce qui lui porte préjudice. « J’ai été filmé à mon insu, on m’a pris dans une situation particulière. On n’a même pas montré toute la partie où j’ai discuté calmement avec l’Innu, où je lui ai expliqué pourquoi on n’avait pas le droit de pêcher avec une troll dans cet endroit-là. Ils ont juste montré la partie où il m’a fait sortir de mes gonds. Il était en train de me conter une menterie et c’est ce qui m’a fait mettre en colère », explique-t-il.

Daniel Girard explique avoir un parcours important et nomme les nombreux hommages, prix et distinctions qu’il a reçus dans les dernières années. « Honnêtement, les autochtones savaient que c’était moi le plus connaissant dans le domaine du saumon de l’Atlantique. J’ai toutes les connaissances avec la société historique de la Côte-Nord, sur où étaient les portages des autochtones, à quelle place ils pêchaient le saumon sur la rivière Moisie à l’aide d’un nigogue, donc ils ne peuvent pas dire n’importe quoi », dit-il.

Il ajoute qu’« ils ne peuvent pas dire mes ancêtres pêchaient ici et pêchaient là, ce n’est pas vrai. J’ai une connaissance de la rivière Moisie qui est très importante, je dirais même comme mes amis disent que je suis présentement l’encyclopédie de la rivière Moisie ». 

« C’est pour ça que c’est important pour moi de m’excuser et c’est important pour moi de pouvoir continuer à côtoyer les Innus », ajoute-t-il. De plus, il mentionne que des projets importants le long de la rivière concernant le transport ferroviaire et la période des œufs ne sont pas terminés et il croit avoir encore du travail à faire dans ces dossiers.

M. Girard dit avoir envoyé une lettre à Gordon Gund, président du Camp de pêche de la rivière Moisie, la semaine passée, et espère que celui-ci fasse marche arrière suite à la décision de lui interdire à tout jamais son accès.

« Je lui ai envoyé une lettre qui explique toute la situation, comment ça s’est passé. L’an passé, quand ils ont envoyé leur communiqué de presse, ça été une réaction comme de menace. Les Innus à ce moment-là ont dit au Camp de pêche “on est en négociation avec vous autres, si vous n’excluez pas Daniel Girard à vie de la rivière Moisie, on arrête de négocier”, donc ils leur ont comme mis un couteau sur la gorge. Ils sont allés trop vite dans leurs démarches. Si tout le monde n’avait pas poigné les nerfs, le 15 juin au soir, le lendemain, je me serais excusé », explique-t-il.

Selon M. Girard, toute cette situation a eu des impacts positifs. « Ils n’ont pas décidé comme ça d’empêcher les filets. Dans la lettre que j’ai envoyée au Chef l’an passé, j’en ai parlé des filets illégaux, de la pêche illégale dans certains secteurs de la rivière, j’ai quand même envoyé une lettre expliquant les problèmes de la rivière. Il y a eu quand même un mouvement qui a fait en sorte qu’il y a des choses qui se produisent cette année qui sont dues justement à cet événement-là. Donc, pour moi, c’est important », explique-t-il.

Daniel Girard espère recevoir le pardon des Innus et pouvoir travailler de nouveau avec eux. « J’ai encore un dossier à l’Institut national de la recherche scientifique. On devrait connaître les résultats au cours des prochaines semaines et s’il arrive des choses par rapport à ça, moi je suis prêt à m’impliquer encore s’ils veulent bien de moi », ajoute-t-il.

Il conclut en disant « ce que je souhaite, c’est qu’on ait une harmonie sur la rivière. Qu’il y ait des droits particuliers pour les Innus dans les secteurs de la ZEC qu’ils ont le droit de pêcher sans permis, avec des cuillères, etc. Il y a une entente là-dessus, je suis entièrement d’accord, c’est moi qui l’a négociée en 1998. Je suis d’accord, mais où il y a une entente, sinon qu’ils suivent les consignes comme tout le monde. C’est comme sur la 138, ils doivent respecter les consignes ».

Les Innus mes amis (Lettre de Daniel Girard)

Kuei,

Je vous écris maintenant parce qu’il était impossible de vous écrire le 16 juin dernier à la suite de l’événement du 15 juin sur la rivière Moisie. Tous, vous m’aviez dès lors condamné et je ne n’aurais pas été écouté.

Je dois dans un premier temps m’excuser pour avoir dit que vos ancêtres n’avaient jamais pêché à cet endroit de leur  «câl..»­ de vie. J’aurais dû simplement dire que vos ancêtres n’avaient pas pêcher là de leur vie. Je ne veux pas en faire un débat, mais je veux simplement vous faire comprendre que peu importe la personne, qu’elle soit allochtone, arabe, chinoise, japonaise, etc, j’aurais eu la même réaction. Ça fait quarante ans que je défends la rivière Moisie, la « Mishtashipu », la grande rivière, et ce ne fut pas toujours facile, même parmi les miens. Donc, quand je vois de la pêche illégale, parce que dans les rivières à saumon, la pêche à la mouche est obligatoire au Québec à moins qu’il y ait une entente particulière comme c’est le cas dans la ZEC de la rivière Moisie. Vous avez des droits et je le reconnais. Je vais donc vous résumer une partie de ma vie pour vous démontrer que je ne suis pas raciste.

Ce récit est une partie de ma vie. Je suis arrivé à Sept-Îles en août 1965. J’ai laissé mes amis et mon entourage parce que mon père voulait une meilleure vie pour sa famille. Mon père a fait différents travaux avant de prendre un poste au Ministère des affaires indiennes et du Nord Canadien. J’ai appris grâce à mon père la situation des Innus (Montagnais de l’ensemble de la Côte-Nord ) et nous avons eu plusieurs discussions en famille parce que nous ne partagions pas toujours les idées de mon père. Un jour, j’ai dit à mon père : c’est vrai, les Innus ont subi plusieurs préjudices. À partir de ce moment, j’ai toujours eu un grand respect pour votre peuple.

J’ai pris mon premier saumon à l’âge de 14 ans et, à partir de ce jour, j’ai toujours pêché le saumon (…)

J’ai travaillé avec plusieurs Innus et j’ai toujours eu des échanges positifs. J’ai malheureusement vécu un drame lors d’un voyage en hélicoptère à la passe migratoire de la rivière Nipissis. Une des vôtres est décédée ainsi qu’un des nôtres. J’ai pris plusieurs mois en m’en remettre, mais encore aujourd’hui, la blessure est profonde.

Je ne suis pas raciste et je ne le serai jamais, mais il faut comprendre que dans la vie, il arrive des situations particulières. Comme m’a dit un de mes amis « Facebook te permet de voir l’arbre mais pas la forêt ».

Daniel Girard, Sept-Îles

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