Liban : « Une véritable catastrophe humanitaire »

Par Laurence Dupin 2:00 PM - 12 août 2020
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Hussein Ibrahim est d’origine libanaise. Colère et tristesse se mélangent après la tragédie survenue à Beyrouth mardi de la semaine dernière.

Hussein Ibrahim vit à Sept-Îles depuis 2016. Libanais d’origine, il a suivi de près la catastrophe qui vient de se produire à Beyrouth où réside une partie de sa famille.

Mardi 4 août à 18h10 heure locale (soit 11h10 ici) une violente explosion a secoué la capitale libanaise, Beyrouth, détruisant le port et ravageant une grande partie de la ville. 2750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées depuis plus de six ans viennent de partir en fumée.

Les Libanais de partout dans le monde ont appris la nouvelle via les réseaux d’informations. C’est le cas d’Hussein Ibrahim, habitant de Sept-Îles. «J’étais en déplacement à Rimouski et c’est une fois sur le traversier que j’ai réellement découvert ce qui s’était passé.»

Installé au Canada depuis 2005 après deux ans et demi en France, ses parents, deux de ses frères et deux de ses sœurs habitent encore au Liban. Son frère travaille à Beyrouth même. Il y a aussi des cousins, des tantes… «J’ai rapidement tenté de les joindre. Mon frère et ma sœur vont bien. Nous avons des amis blessés et certains dont les logements ont été détruits», précise-t-il.

De la tristesse et de la colère

Lorsqu’on lui demande ce qu’il a ressenti en voyant les images qui tournent en boucle aux informations: «C’est une véritable catastrophe humanitaire. C’est très difficile de voir ça. Même si je suis quelqu’un de positif, j’ai la sensation que c’est un pays maudit en raison des actes des gouvernements. C’est une catastrophe, je ressens un mélange de tristesse et de colère. Pendant trois quatre jours j’avais l’impression d’avoir rêvé. Une fois cette période passée j’ai commencé à m’interroger; comment cela a-t-il pu arriver?».
À la question de savoir si justice sera rendue pour les victimes de cette catastrophe, Hussein Ibrahim n’est pas très positif: «Le Liban est basé sur un équilibre des pouvoirs entre les différentes communautés religieuses. Il va falloir respecter cela dans le cadre des arrestations des responsables. Si on arrête une personne d’une confession religieuse, il va falloir en arrêter une d’une autre. Il n’y aura donc pas de vraie justice. Pour moi, de toute façon, il n’y a que deux justices: la justice divine et la justice du peuple».

Autre situation qui complique la donne, les partis libanais sont soutenus par tel ou tel pays. Par exemple, le président en place Michel Aoun est soutenu par la France, d’autres sont soutenus par la Syrie

Emmanuel Macron, président de la République française, s’est d’ailleurs rendu à Beyrouth où il a été très bien accueilli par la population. Il existe en effet un lien historique entre les deux pays, puisque le Liban a obtenu son indépendance vis-à-vis de la France en 1936. Mais pour Hussein Ibrahim cette visite a aussi un goût amer: «Il s’est conduit comme si le Liban était un département français d’Outremer. On apprécie l’aide que nous apporte la France, mais Emmanuel Macron a donné des instructions comme si nous appartenions à la France. Il a dénoncé la corruption, mais s’est ensuite assis avec les corrompus! Si je veux envoyer un message fort, je ne m’assieds pas avec ces gens-là.»

Une aide à destination des organismes

Le choix que le Canada fait pour aider le Liban lui plaît beaucoup plus. «Il vaut mieux donner l’aide à des organismes ou envoyer des Canadiens sur place. C’est ce qui a été fait après la guerre de 2006 et la reconstruction a pu se faire. Si vous donnez l’argent au gouvernement vous ne savez pas où il va disparaître.»

Pour lui, si un tel événement a pu se produire c’est en raison de la négligence, de la corruption, de l’irresponsabilité de l’État libanais. «On interdit au Liban d’avoir des relations avec certains pays, comme la Syrie, qui pourraient les aider, et ce en raison des pressions notamment américaines. Les conditions de vie au Liban ne sont pas idéales, il y a de réels problèmes d’approvisionnement. Derrière chaque politicien, il y a des intérêts de pays étrangers.»

Il cite en exemple les problèmes récurrents d’électricité au Liban. La Chine s’est portée volontaire pour construire des centrales sur place, mais cela est resté lettre morte sans doute en raison du fait que les politiciens concernés sont soutenus par des pays eux-mêmes soutenus par les États-Unis. «Les projets sont bloqués et en attendant rien d’autre n’est fait. La situation n’avance pas. »

De plus, le pays est particulièrement touché par la pandémie avec plus de 300 nouveaux cas par jour. «Trois hôpitaux sont hors service et d’autres ne fonctionnent que partiellement», confie-t-il.  Il voudrait que les gens réalisent que le Liban est un pays qui souffre depuis longtemps. Lui-même est né pendant la guerre, il a connu l’occupation israélienne, les privations, les situations difficiles.

«Donnez-moi un peuple capable de supporter tout ce que les Libanais ont supporté et supportent encore aujourd’hui. Il faut prendre en compte que, même s’ils se relèvent, il y a de la souffrance psychologique.»

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